« Nous allons tenter de protéger Saleh Dido. Il est notre frère… » Saleh Dido, le dernier musulman. Le maire de Mbaiki, Raymond Mongbandi, se voulait optimiste, il y a trois semaines, en regardant partir Catherine Samba-Panza, la présidente de Centrafrique, qui venait d'effectuer sa première visite en province, et Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la défense. La France et les officiers de « Sangaris » avaient décidé de faire de Mbaiki, une bourgade au sud-est de Bangui, un symbole de « vie ensemble entre les communautés » et de « réconciliation ».
Déjà, à l'époque, c'était un mensonge. Entre la visite de médiation du commandant de Sangaris, le général Francisco Soriano, le 4 février, et la visite de M. Le Drian, le 12 février, les milliers de musulmans chassés de leurs villages et réfugiés à Mbaiki étaient partis. Saleh Dido aurait pu le leur dire, puisqu'il était le dernier musulman de Mbaiki. Commerçant, transporteur et maire-adjoint, il avait, contre l'avis de sa famille, décidé de rester en Centrafrique. Mais personne, lors de cette visite officielle, ne l'avait écouté…
« Je suis né ici. J'ai fait des enfants ici. Je suis à la mairie depuis cinq ans, j'ai prêté serment, je suis patriote. Pourquoi devrais-je partir ? Je veux vivre dans mon pays… » Ainsi parlait Saleh Dido. Son grand-père était venu du Tchad en 1918, et lui se sentait centrafricain. Il reconnaissait que la purification ethnique avait vaincu la coexistence intercommunautaire, puisqu'il était le dernier musulman. Il reconnaissait que les miliciens anti-balakas étaient « venus trois fois [le] menacer » et que « rien ne les empêchait de [le] tuer ». Pourtant il restait.
PLUS DE MUSULMANS À TRAQUER
Depuis trois semaines, les hommes de Sangaris ne sont pas revenus à Mbaiki, et ceux de la force africaine Misca restaient dans leur base, ne patrouillant jamais. Les anti-balakas étaient, comme sur le territoire de la moitié de la Centrafrique, les maîtres de la ville.
Les tueurs sont venus chercher Saleh Dido chez lui, dans le quartier de Baguermi, vendredi 28 février, a-t-on appris par une enquêtrice d'Amnesty International. Il a fui sa maison pour chercher refuge à la gendarmerie. Les miliciens l'ont intercepté sur la route. Ils lui ont tranché la gorge.
Après sa mort, les voisins chrétiens du dernier musulman de Mbaiki ont protégé sa femme, enceinte, et ses enfants, qui ont plus tard été évacués par la Misca vers Bangui, en attendant un convoi ou un avion vers l'étranger.
« Le calme est revenu à Mbaiki », se satisfaisaient les officiels le 12 février, oubliant de préciser qu'il n'était revenu que parce que la campagne de purification ethnique avait été victorieuse, parce qu'il n'y avait plus de musulmans à traquer.
Pourtant il en restait un. Saleh Dido. Le dernier musulman. Un de trop.
Saleh Dido est mort. Il n'y a, cette fois, plus de musulmans à Mbaiki. Les anti-balakas n'ont plus de cibles. Désormais, c'est sûr, le calme va pouvoir revenir.
Rémy Ourdan
Le Monde