Tchad . Une description des années de plomb dans un pays en proie au totalitarisme.
N’Djamena City,
d’Issa Serge Coelo. Tchad. 1 h 30.
Au début, cela semble être l’histoire d’un journaliste indépendant, Adoum Baroum, qui va avoir la chance de quitter son pays pour aller faire un stage de reporter photographe en Belgique. Mais pas facile d’avoir un visa de sortie du territoire quand on est indépendant, comprendre pigiste, car la notion d’indépendance peut facilement se charger d’un parfum subversif de liberté et que l’indépendance implique de surcroît qu’il n’y a pas le poids d’un directeur de rédaction pour appuyer cette demande. Cela fait donc un mois que les formulaires traînent, un mois de plus promis pour les voir tamponnés, sinon que le départ pour Bruxelles doit advenir dans deux semaines. Encore aurait-il mieux valu que le visa ne soit jamais apposé car, comme nous le découvrirons ultérieurement, le film, se composant de plusieurs retours dans le passé non traités chronologiquement, le départ attendu se transforme en arrestation musclée alors que les moteurs de l’avion sont déjà en marche, notre infortuné héros venant d’être surpris avec dans la poche une lettre dont il affirme ignorer la provenance qui témoignerait de son appartenance à une organisation de défense des droits de l’homme.
Mais, avant que les actions se rejoignent, nous aurons fait la connaissance du sinistre colonel Koulbou aux chemises rouge sang, qui règne en tyran sur un centre d’interrogatoire secret et une prison souterraine, prison par la dimension mais tout autant camp d’extermination où, dans le volume d’une piscine, croupissent dans le noir par dizaines des hommes et des femmes raflés, parfois pour militantisme, mais tout autant pour faire du chiffre. C’est lui, en fait, le personnage central, qui ne répond qu’à une autorité, Son Excellence, voix entendue au téléphone et qui ne se concrétisera pas davantage, sinon en portraits vaguement entrevus du chef de l’État dans les lieux officiels. D’explication détaillée des rapports de pouvoir au Tchad qui nous ferait comprendre comment on a pu arriver à la barbarie décrite, il n’y aura donc pas. Cela sans doute dû à une volonté de généralisation, le Tchad n’étant pas le seul pays africain à avoir souffert de la dictature. C’est en tout cas en ce sens que le réalisateur répondait à notre question lors de la présentation du film en première mondiale à Montréal en 2007, l’oeuvre s’appelant alors DP 75 Tartina City, du numéro matricule de détention d’Adoum Baroum et du surnom de la pitance des détenus, mélange invariable de pain et de merde de mouton. Pour tenter d’éviter de tomber dans les stéréotypes de la représentation du bourreau, Issa Serge Coelo a fait de son personnage un être contradictoire, à la fois bête sans scrupule qui prend à avilir et torturer une joie intense, homme conscient d’un corps qu’il entretient physiquement, au point que ses exercices d’arts martiaux en viennent à ressembler à du tai-chi et enfant attardé capable de s’extasier devant des bulles de savon. Quelle que soit la maladresse du traitement, c’est là un des points d’intérêt du film.
Un deuxième point d’intérêt est de refuser de tout mettre sur le dos du colonisateur, argument pas faux historiquement, cela va de soi, mais qui a permis à trop de films africains de s’absoudre des responsabilités propres. Ici, l’image du Blanc est totalement positive. Elle s’exprime à deux reprises, d’abord avec les Belges qui tentent de faire venir notre journaliste à Bruxelles, ensuite à travers un diplomate allemand de l’ambassade à N’Djamena, qui tente lui aussi d’intervenir dans le respect de son statut. Ce sont donc uniquement les Africains, divisés entre personnages positifs et négatifs, qui sont tenus pour responsables de ce qui leur arrive. Le dernier point d’intérêt, toujours dans la construction générale du scénario, est de casser l’opposition habituelle entre les hommes qui seraient du côté du pouvoir, de la guerre et de la mort, et les femmes qui seraient du côté du subi, de la réconciliation et de la vie. Ici, le redoutable Koulbou est flanqué de deux épouses. Si la deuxième, haïe de la première, incarne cette figure attendue, la première au contraire est une furie que fait littéralement jouir le fait que son homme tue à bout portant. Tout cela nous donne un film qui brasse beaucoup plus de choses qu’il n’en a l’air, comme formellement il n’hésite pas à mélanger le réalisme le plus violent (les scènes de prison sont filmées en infrarouge pour qu’on n’oublie pas que ces dernières ne disposent pas de fenêtres) à des moments d’onirisme, de pures séquences de dénonciation à l’emporte-pièce à la Costa-Gavras à des poursuites soutenues au rythme des tam-tams comme dans les films d’action. Qu’on n’attende pas des merveilles. Tant la minceur du budget que l’absence de savoir-faire dans ce pays, qui n’en est qu’à son cinquième long métrage, sautent cruellement aux yeux. Mais quand même, comme on dit, il y a quelque chose.
Jean Roy
L'Humanité
d’Issa Serge Coelo. Tchad. 1 h 30.
Au début, cela semble être l’histoire d’un journaliste indépendant, Adoum Baroum, qui va avoir la chance de quitter son pays pour aller faire un stage de reporter photographe en Belgique. Mais pas facile d’avoir un visa de sortie du territoire quand on est indépendant, comprendre pigiste, car la notion d’indépendance peut facilement se charger d’un parfum subversif de liberté et que l’indépendance implique de surcroît qu’il n’y a pas le poids d’un directeur de rédaction pour appuyer cette demande. Cela fait donc un mois que les formulaires traînent, un mois de plus promis pour les voir tamponnés, sinon que le départ pour Bruxelles doit advenir dans deux semaines. Encore aurait-il mieux valu que le visa ne soit jamais apposé car, comme nous le découvrirons ultérieurement, le film, se composant de plusieurs retours dans le passé non traités chronologiquement, le départ attendu se transforme en arrestation musclée alors que les moteurs de l’avion sont déjà en marche, notre infortuné héros venant d’être surpris avec dans la poche une lettre dont il affirme ignorer la provenance qui témoignerait de son appartenance à une organisation de défense des droits de l’homme.
Mais, avant que les actions se rejoignent, nous aurons fait la connaissance du sinistre colonel Koulbou aux chemises rouge sang, qui règne en tyran sur un centre d’interrogatoire secret et une prison souterraine, prison par la dimension mais tout autant camp d’extermination où, dans le volume d’une piscine, croupissent dans le noir par dizaines des hommes et des femmes raflés, parfois pour militantisme, mais tout autant pour faire du chiffre. C’est lui, en fait, le personnage central, qui ne répond qu’à une autorité, Son Excellence, voix entendue au téléphone et qui ne se concrétisera pas davantage, sinon en portraits vaguement entrevus du chef de l’État dans les lieux officiels. D’explication détaillée des rapports de pouvoir au Tchad qui nous ferait comprendre comment on a pu arriver à la barbarie décrite, il n’y aura donc pas. Cela sans doute dû à une volonté de généralisation, le Tchad n’étant pas le seul pays africain à avoir souffert de la dictature. C’est en tout cas en ce sens que le réalisateur répondait à notre question lors de la présentation du film en première mondiale à Montréal en 2007, l’oeuvre s’appelant alors DP 75 Tartina City, du numéro matricule de détention d’Adoum Baroum et du surnom de la pitance des détenus, mélange invariable de pain et de merde de mouton. Pour tenter d’éviter de tomber dans les stéréotypes de la représentation du bourreau, Issa Serge Coelo a fait de son personnage un être contradictoire, à la fois bête sans scrupule qui prend à avilir et torturer une joie intense, homme conscient d’un corps qu’il entretient physiquement, au point que ses exercices d’arts martiaux en viennent à ressembler à du tai-chi et enfant attardé capable de s’extasier devant des bulles de savon. Quelle que soit la maladresse du traitement, c’est là un des points d’intérêt du film.
Un deuxième point d’intérêt est de refuser de tout mettre sur le dos du colonisateur, argument pas faux historiquement, cela va de soi, mais qui a permis à trop de films africains de s’absoudre des responsabilités propres. Ici, l’image du Blanc est totalement positive. Elle s’exprime à deux reprises, d’abord avec les Belges qui tentent de faire venir notre journaliste à Bruxelles, ensuite à travers un diplomate allemand de l’ambassade à N’Djamena, qui tente lui aussi d’intervenir dans le respect de son statut. Ce sont donc uniquement les Africains, divisés entre personnages positifs et négatifs, qui sont tenus pour responsables de ce qui leur arrive. Le dernier point d’intérêt, toujours dans la construction générale du scénario, est de casser l’opposition habituelle entre les hommes qui seraient du côté du pouvoir, de la guerre et de la mort, et les femmes qui seraient du côté du subi, de la réconciliation et de la vie. Ici, le redoutable Koulbou est flanqué de deux épouses. Si la deuxième, haïe de la première, incarne cette figure attendue, la première au contraire est une furie que fait littéralement jouir le fait que son homme tue à bout portant. Tout cela nous donne un film qui brasse beaucoup plus de choses qu’il n’en a l’air, comme formellement il n’hésite pas à mélanger le réalisme le plus violent (les scènes de prison sont filmées en infrarouge pour qu’on n’oublie pas que ces dernières ne disposent pas de fenêtres) à des moments d’onirisme, de pures séquences de dénonciation à l’emporte-pièce à la Costa-Gavras à des poursuites soutenues au rythme des tam-tams comme dans les films d’action. Qu’on n’attende pas des merveilles. Tant la minceur du budget que l’absence de savoir-faire dans ce pays, qui n’en est qu’à son cinquième long métrage, sautent cruellement aux yeux. Mais quand même, comme on dit, il y a quelque chose.
Jean Roy
L'Humanité