Passi, activiste indépendant
La crise qui secoue aujourd’hui la Centrafrique jette l’opprobre sur les forces africaines du maintien de la paix, et notamment celles intégrées dans la MISCA. Issue de l’Union Africaine qui s’est donné la mission d’assurer la promotion de la démocratie sur le continent, d’améliorer les droits de l’homme, et surtout de prendre des mesures pour asseoir la paix, la MISCA fait la honte et le déshonneur de cette institution africaine. Au regard de l’attitude des "3 Généraux" : Babacar Gaye (Sénégal), Jean-Marie Mokoko (Congo Brazzaville), Tumenta Chomu (Cameroun), l’on est presque sans voix. Sidéré, accablé, ulcéré.
Pourquoi ces "3G", vaillants fils d’Afrique sur qui compte tout un peuple, sont –ils en train de faire preuve de tant de cynisme et d’irresponsabilité en Centrafrique ? Pourquoi méprisent-ils à ce point le peuple centrafricain ?
Aujourd’hui, le centrafricain lambda s’interroge. Pourquoi le général Amadou Toumani Touré (ATT) a-t-il réussi là où trois éminents officiers supérieurs des armées africaines sont en train de sombrer honteusement ? La raison est à chercher quelque part.
Ce qui est sûr, ATT a fait montre de sa qualité d’un officier digne de ce nom pour ramener la cohésion écorchée après les mutineries de 1996-1997 et la tentative du coup d’état manqué du 28 Mai 2001 où il y a eu 59 personnes tuées, 800.000 déplacés et de nombreux dégâts matériels. Il est à préciser qu’en cette période, la crise sociale qui sévissait, n’était pas de nature à favoriser un processus de réconciliation. Mais, malgré tout, ATT a fait renaître l’espoir. Le « Général négociateur » avait convaincu les militaires centrafricains révoltés, à discuter sans langue de bois avec le président Félix Ange Patassé en exercice à l’époque à Bangui. Le résultat est propre. Ange-Felix Patassé avait retrouvé le sourire. Le peuple centrafricain s’était réjoui des résultats de la mission d’ATT. Dans son métier de négociateur, le Général Amadou Toumani Touré savait parler, dans un langage sincère, à tous les belligérants. C’est pourquoi, dans tous les différents dossiers brûlants en Centrafrique, le Général Amadou Toumani Touré était très bien écouté, parce que très bien avisé, il n’avait qu’un seul souci : donner la paix au peuple. Ce qui lui a valu la plus haute distinction et la reconnaissance du peuple centrafricain.
Un exemple qui devrait inspirer toutes les forces africaines et leurs officiers qui interviennent en Centrafrique ou ailleurs. Hélas ! Malheureusement, non. Que constatons-nous aujourd’hui ?
Entre une neutralité inefficace et une impartialité atrophiée
Pour tout témoin des événements en Centrafrique, l’inefficacité de la MISCA est plus que jamais une réalité. Cette inefficacité vient, non seulement, de leur incapacité à maintenir ou à imposer la paix, en dépit du mandat qu’elles disposent, mais aussi du fait qu’elles peinent à prévenir ou empêcher les violences commises contre le peuple. Deux attitudes, pourtant distinctes, expliquent cette inefficacité : l’absence de la neutralité et de l’impartialité. En 2000, le rapport Brahimi explicitait clairement la distinction entre une impartialité des forces de paix synonyme de « pleine adhésion aux principes de la Charte et aux objectifs du mandats » et une neutralité qui implique « un traitement égal de toutes les parties tout le temps qui peut mener à une politique d’apaisement » (cf. Report of the Panel on United Nations Peace Operations, A/55/305-S/2000/809, §48, United Nations, 21 août 2000, p. 25.). Le manque de la neutralité de la MISCA est notoire et empreint de la passivité. Cette passivité se traduit plus par le souci des intérêts personnels qu’aux besoins de protection des populations civiles. Pire encore, une crise de crédibilité ternit l’image de cette force africaine même si quelques contingents se font quand même une bonne réputation (c’est le cas de la RDC et du Rwanda). Personne ne peut comprendre que la MISCA, au lieu de protéger la population civile, lui fait subir d’autres exactions et est régulièrement mise en cause dans de nombreux cas de tortures et d’assassinats. En effet, elle cristallise les critiques aujourd’hui autour d’elle. Son comportement ne fait que renforcer l’hostilité des populations victimes de ses violences. Quelques faits en témoignent.
Le rôle ambigu des contingents de la MISCA
La MISCA est de plus en plus bourreau que force protectrice. Elle est régulièrement mise en cause dans plusieurs exactions à Bangui ou en province. Son rôle est devenu extrêmement flou et confus autant dans la conscience de la population que chez les organisations humanitaires. Déjà, de nombreux cas d’assassinats commis par le contingent tchadien dans le passé ont déjà nourri le ressentiment des centrafricains à l’encontre de la FOMAC muée en MISCA. La plupart des observateurs s’accordent même pour dire que les soldats de la MISCA commencent à devenir un facteur inquiétant. Après le retrait des soldats tchadiens, la population se plaint quotidiennement du comportement complice des soldats burundais qui emboîtent le pas aux soldats tchadiens. Mais là où le bât blesse, c’est qu’aucun des "3 Généraux" n’ose élever la voix pour dénoncer ou condamner le comportement délictueux de leurs troupes. On connaît l’adage : « Qui ne dit rien, consent ».
Du coup, l’on s’interroge sur la signification du satisfecit qu’ils se décernent à tours de bras, saluant le rôle qu’ils jouent en Centrafrique. L’on est aussi en droit de se demander sur le déni de réalité des "trois Généraux" quand ils sont toujours prêts à minimiser ou à démentir toutes les exactions commises par la MISCA, en dépit des dénonciations des organisations humanitaires.
Peter Bouckaert, Directeur de la division urgences à l’Organisation des droits de l’homme Human Right Watch, suite à un rapport selon lequel, au moins 11 personnes sont portées disparues à Boali après avoir été arrêtées par des militaires congolais (Congo Brazzaville), a excellemment fait la remarque : « les soldats de la paix sont là pour protéger la population civile, pas pour lui faire subir de nouvelles exactions ». Human Right Watch met ainsi en cause pour la ènième fois la MISCA et pour la deuxième fois le contingent congolais dans les cas des exactions sur la population civile.
Ce comportement irresponsable de la MISCA amène à se demander si l’impact des interventions des forces africaines dans les conflits n’est pas paradoxalement la poursuite des conflits. Car, une telle attitude est en totale contradiction avec la philosophie qui sous-tend les interventions internationales dans les conflits.
Et si l’impuissance de la MISCA à faire valoir les droits du peuple centrafricain face à la communauté internationale s’illustre de façon flagrante, il y a lieu de se demander si ces forces africaines de maintien de la paix sont déjà matures pour intervenir dans des conflits. Car, il ne faut pas se leurrer, la plupart de ces soldats sont généralement entraînés comme des gardes présidentielles qui disposent davantage des capacités meurtrières, puisque leur fonction première est de protéger un régime en place, et pas la population civile.