AFRIQUE

Affaire Habré/Karim Wade : Quelle justice, mon Dieu !


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar NDIAYE - 20 Septembre 2013



Par Mamadou Oumar NDIAYE
journal Le Témoin » N° 1137 –Hebdomadaire Sénégalais (Septembre 2013)

Il fallait bien trouver autre chose ! A mesure qu’approchait la date fatidique, la baudruche ne cessait de se dégonfler et le bel édifice de l’accusation de se craqueler en menaçant de s’effondrer comme un château de cartes. Comme dans un effeuillage, les feuilles mortes s’envolent les unes après les autres… De quelque 700 (plus précisément 694) milliards de francs que Karim Wade, l’ancien ministre des Infrastructures, de la Coopération internationale, des Transports aériens et de l’Energie, était accusé d’avoir volés, on se retrouve aujourd’hui à quelques dizaines de milliards. Et plus les jours passent, plus les preuves « en béton » accumulées contre le fils de l’ancien président de la République apparaissent comme des tuyaux crevés. A ce rythme, bientôt, on ne poursuivra plus Karim Wade que pour quelques petits milliards. Encore faudra-t-il prouver qu’il les aura acquis de manière illicite. Pour dire que la montagne des biens mal acquis le concernant a toutes les chances d’accoucher d’une souris. Au début, c’est-à-dire au lendemain de la deuxième Alternance survenue le 25 mai 2012, on avait chauffé le bon peuple à blanc et fait monter son adrénaline contre les « voleurs » de l’ancien régime en prétendant qu’ils avaient planqué à l’étranger un magot se montant à des milliards de francs cfa ! Expert des prédictions apocalyptiques mais aussi maître ès exagérations, le président d’honneur du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), le brave Amath Dansokho, avait juré ses grands dieux, citant des « sources occidentales », que plus de 1.000 milliards étaient sortis de notre pays. D’autres avaient fait état de centaines de milliards volés. Comme si le Sénégal était un émirat pétrolier !

Au terme d’une enquête menée à la hussarde, le très spécial procureur spécial de la Cour de répression de l’Enrichissement illicite, l’ancien policier Alioune Ndao, après des investigations abracabrantesques et une sorte d’inventaire à la Prévert, avait évalué le patrimoine du leader de la Génération du concret à… 694 milliards de francs ! Dans ce butin, la société DP World représentait la part du lion puisqu’elle était valorisée à plus de 300 milliards de francs. Or ne voilà-t-il pas, que quelques semaines plus tard, on apprend que le président de la République lui-même avait négocié avec les véritables propriétaires de DPW et que ces derniers avaient accepté de payer un ticket d’entrée de 24 milliards de francs ? A partir de ce moment-là, il fallait bien soustraire la valeur de cette société du colossal patrimoine de l’ancien « ministre du Ciel et de la Terre ». On ne prête qu’aux riches, c’est bien connu, et le Procureur spécial Alioune Ndao n’a pas manqué de mettre dans l’escarcelle de Karim Wade la société Africa Handling Service appartenant pourtant à l’homme d’affaires Ibrahim Aboukhalil alias Bibo, il est vrai ami de Karim. D’autres sociétés appartenant au même ont été attribuées d’autorité par le même Proc au fils de l’ancien président de la République. Et ce sans pouvoir établir cette propriété de façon irréfutable. Hélas, au fil de l’enquête il est apparu — ce que tout le monde savait déjà du reste — qu’aucune de ces sociétés n’appartient en réalité à Karim Wade. Il en est de même de terrains de centaines, voire de milliers de mètres carrés dans des quartiers huppés de Dakar et dont il est apparu après vérification plus approfondie qu’elles appartiennent à d’autres personnes. Bref, à l’arrivée, l’accusation du procureur spécial risquait de ressembler à une peau de chagrin et l’ancien patron de l’ANOCI avait toutes les chances de bénéficier d’un non-lieu devant la commission d’instruction de la CREI. Ou, au cas où cette dernière déciderait quand même de le renvoyer devant une juridiction de jugement, d’une relaxe pure et simple. Ce qui sonnerait comme un cinglant camouflet pour le régime en place, particulièrement l’actuelle Premier ministre, Mme Aminata Touré dite Mimi, qui a monté tout ce dossier d’accusation loufoque par le biais de son Procureur spécial. Surtout que, placé sous mandat de dépôt depuis le 17 avril, et l’instruction devant durer tout juste six mois, l’ancien ministre des Infrastructures, de la Coopération internationale, des Transports aériens et de l’Energie pouvait bénéficier d’une liberté provisoire au terme de l’instruction en attendant son procès. Lequel doit intervenir dans un délai de deux mois après la fin de l’instruction. C’est alors que le brave Alioune Ndao a sorti une accusation plus grossière encore que la précédente de sa manche. Cette fois-ci, sur la base de relevés bancaires communiqués par la justice monégasque. Laquelle s’est intéressée à une trentaine de comptes bancaires appartenant à Karim Wade (un seul en principe où dormait la somme de 1,3 milliard de francs), à Bibo Bourgi, à son frère Karim, à sa tante, à Pape Pouye, inculpé et emprisonné dans le cadre des biens mal acquis etc. Les mouvements de fonds cumulés de cette trentaine de comptes bancaires — entre lesquels il n’y a eu aucun flux, aucune transaction — se montant à 99 milliards de francs, le procureur spécial a « enrichi » Karim Wade de cette somme de 99 milliards et lui a servi une mise en demeure afin qu’il la justifie. Ça nous rappelle la fameuse réplique :

« si ce n’est toi c’est donc ton frère, ou l’un des tiens… » Qu’importe que ces comptes bancaires appartiennent à des tiers, leurs titulaires doivent bien connaître Karim Wade ! A y regarder de près et avec beaucoup de chance, ils pourraient bien lui appartenir. Logique imparable de l’inénarrable procureur spécial Alioune Ndao ! Surtout, défense de rire sous peine de se retrouver au cachot de la CREI… Qu’importe, encore une fois, la propriété de ces comptes, l’essentiel c’est de maintenir Karim Wade en prison pour six autres mois, le temps de trouver quelque chose de plus substantiel contre lui. Car, évidemment, jusqu’à présent, le Procureur spécial et son ancienne patronne Mimi Touré, pédalent dans la choucroute. Ils ont réussi, c’est vrai, à coincer un voleur, un vrai celui-là, M. Tahibou Ndiaye, l’ancien directeur du Cadastre, qui a un patrimoine évalué à huit milliards de nos francs alors qu’il n’est qu’un fonctionnaire. Voilà donc quelqu’un qu’on aurait dû mettre fissa en prison. Pensez-vous qu’on l’a fait ? Pas du tout ! On lui a demandé simplement de s’engager à partager son butin avec ses poursuivants, il a cédé des terrains pour une valeur de 3,6 milliards et… l’Etat a classé son dossier sans suite ! Autrement dit, on a laissé le plus légalement du monde le voleur jouir de la moitié de son butin ! Un voleur que la République, tremblante, n’osait pas envoyer en prison. Pour quelle raison à votre avis ?

Restons toujours avec les juridictions spéciales ! Pour parler, cette fois-ci, des Chambres africaines extraordinaires — c’est le cas de le dire — mises en place par notre pays à la demande de l’Union africaine pour juger l’ancien président tchadien Hissène Habré réfugié chez nous depuis 23 ans. Des chambres fonctionnant en particulier grâce à un financement de quatre milliards de francs octroyé par le président Idriss Déby Itno, celui-là même qui avait la haute main sur les services de sécurité tchadiens au moment où Habré présidait aux destinées de ce pays. Eh bien, au moment où des voix s’élèvent pour réclamer l’arrestation de Déby, qui était à tout le moins un complice de Habré, voilà que lui-même finance le procès de son ancien patron ! Et les juges des chambres africaines extraordinaires ne se sont même pas émus de cet état de fait. Mieux, ils se précipitent à la queue-leu-leu au Tchad pour soi-disant enquêter sur les prétendus crimes de Habré. Et c’est Déby qui, en un quart de siècle, a eu tout le temps de détruire toutes les preuves le concernant, qui leur remet de soi-disant preuves des exactions de Habré tirées des archives de la Direction de la Documentation et de la Sécurité extérieure. Des archives conservées… dans les locaux de la présidence tchadienne ! Après le procureur spécial Mbacké Fall et sa fine équipe qui ont passé un séjour tellement agréable à Ndjamena qu’aussitôt revenus au Sénégal ils ont ordonné l’arrestation du président Habré, c’était au tour des juges de la Commission d’instruction de ces mêmes chambres africaines extraordinaires de se rendre au Tchad pour enquêter et auditionner des témoins à charge. Au total, pendant leur séjour, ils ont reçu 1092 témoins à charge et… zéro témoin à décharge. Et nos braves juges, ingénus, se sont étonnés de ne pas avoir pu auditionner un seul témoin à décharge. La raison en est simple : Déby a tué tous ceux qui auraient pu disculper Habré et l’enfoncer lui-même ! Si bien que ce procès, du moins ses préparatifs, a tout l’air d’une parodie dans laquelle Déby a payé cher pour obtenir la condamnation de celui qui hante ses sommeils. Il a payé quatre milliards et les juges sénégalais entendent bien, sous prétexte d’enquêtes, d’auditions, de confrontations, de visites de charniers et autres, multiplier les voyages d’agrément et bouffer le maximum de frais de mission. A preuve : on nous annonce un nouveau voyage à Bruxelles du Procureur spécial Mbacké Fall. Ce ne sera jamais que la deuxième qu’il va effectuer dans la capitale belge. Après quoi, il fera encore le déplacement de Ndjamena ainsi de suite. Puis ce sera au tour de la commission d’instruction de découvrir elle aussi les charmes de la capitale de l’Europe. Les voyages forment la jeunesse ! Et surtout, lorsqu’ils sont grassement « perdiemisés », comme dans le cas d’espèce, ils permettent de préparer les vieux jours. Dernier élément à charge de cette vaste farce qui montre que Habré n’aura jamais droit à un procès équitable : C’est un des avocats les plus teigneux des prétendues victimes de l’ancien président tchadien, un homme qui, tout au long de ces dix dernières années a ferraillé pour que ce dernier soit jugé, qui vient d’être nommé ministre de la Justice du Sénégal ! Un avocat qui, sitôt nommé Garde des Sceaux, s’est empressé de qualifier Habré de « bourreau ». Pour moins que ça, on aurait démissionné ailleurs. Ou on aurait été démis… Pauvre Habré. Et après tout cela, on viendra s’étonner que le fléau de la balance de notre justice penche dangereusement d’un côté dans cette affaire. Lequel, à votre avis ?

Mamadou Oumar NDIAYE
Témoin » N° 1137 –Hebdomadaire Sénégalais (Septembre 2013)

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