Thème du jour : « La relation franco-arabe et la possibilité d'une renaissance européenne ». Le conférencier déploie ses arguments : l'avenir politique, économique et social de l'Europe se joue autour de la Méditerranée - comme c'est le cas depuis au moins deux millénaires. Les pays du Golfe et du pourtour méditerranéen représentent plus de 600 millions de personnes et un PIB de plus de 10.000 milliards d'euros. Au lieu de se regarder le nombril et de pleurnicher sur son soi-disant déclin, l'Europe devrait regarder vers l'avant et imaginer une nouvelle CECA avec les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, où se trouvent croissance, démographie dynamique, et confiance dans l'avenir.
Dans la salle, 150 personnes, hommes et femmes mêlés, écoutent, réagissent, posent librement leurs questions. S'enthousiasment, s'opposent. Bref, débattent. Scène banale pour un think-tank parisien. Sauf que nous sommes à Riyad, capitale de l'Arabie saoudite, monarchie autoritaire dont les aspects sombres sont connus, et spectaculaires : police religieuse féroce ; décapitations en place publique ; interdiction aux femmes de conduire, de côtoyer des hommes dans l'espace public, etc. Or les femmes représentent ici au moins 20 % de l'assistance, dans l'amphithéâtre de la Fayçal Foundation. Plus ou moins voilées, elles côtoient les hommes et posent leurs questions. Le modérateur essaie de les neutraliser, sans succès. Le voici débordé par une révolution douce : la lente émergence des femmes dans l'une des sociétés les plus conservatrices du monde arabe.
On s'est beaucoup et imprudemment enthousiasmé en Europe, et particulièrement en France, pour le printemps arabe démarré il y a deux ans. Mais les 70.000 morts de la guerre civile en Syrie, la prolifération du terrorisme en Libye et hors de Libye (jusqu'au Mali), l'assassinat du chef de l'opposition tunisienne, Chokri Belaïd, dans un pays en pleine régression des libertés publiques, sans oublier le chaos économique et social dans l'Egypte contrôlée par les Frères musulmans, font rimer ce printemps arabe-là, celui des républiques laïques du monde musulman, avec 1793 plutôt qu'avec 1789.
L'autre printemps arabe, le plus prometteur et le plus silencieux, a lieu en Arabie saoudite. Depuis deux ans, le roi Abdallah y multiplie des initiatives révolutionnaires : en 2011, ce fut le droit de vote pour les femmes - et le droit de se présenter aux élections (municipales) à partir de 2015. Début 2013, il décréta que 30 femmes participeraient désormais au Parlement soit 20 % de cette assemblée. Une proportion comparable au nombre de parlementaires femmes en France aujourd'hui.
Jusqu'où ira cette révolution ? Elle est fragile : les manifestations se multiplient contre l'audace d'un roi qui ose un tel bond en avant. Mais, au risque d'être illisible dans un pays républicain, une réalité du monde arabe se fait jour depuis deux ans : à la notable exception de l'Algérie, les pires régressions ont aujourd'hui lieu dans les républiques et démocraties laïques (Tunisie, Libye, Egypte, Irak, Syrie). A l'inverse, les pôles de stabilité politique et économique, et de - lent - progrès social, se trouvent dans les monarchies et sociétés dites féodales : le Maroc de Mohammed VI, l'Arabie saoudite du roi Abdallah, le Qatar de l'émir Al-Thani et de la sheikha Mozah.
Nous tirons de cette observation deux enseignements : le premier est celui de l'humilité et de la patience. On ne change pas en quelques trimestres des sociétés traditionnelles qui vivaient sous des tentes il y a encore quelques décennies.
Le second est de faire le pari du partenariat avec le monde arabe. Les défis que nous avons à relever ensemble sont vertigineux, et communs : un chômage de masse pour les jeunes de moins de 25 ans, qui est la honte et le cancer de l'Occident, et une bombe à retardement dans le monde arabe (chaque année, 700.000 jeunes Egyptiens et 300.000 jeunes Saoudiens arrivent sur le marché du travail) ; les défis de l'eau, de l'environnement, de l'énergie et de l'éducation ; enfin et surtout, le défi de la sécurité, civile comme militaire, dans une région du monde où le désengagement américain est programmé, pour le plus grand bonheur de l'Iran, de la Russie, et des puissances asiatiques.
Or, il existe en Arabie saoudite, et dans le Golfe, des élites économiques et politiques mondialisées en avance sur leur temps. Ces élites n'ont pas oublié la singularité et les promesses de la politique arabe de la France, qui démarre avec François I er et le sultan de Constantinople, passe par la reconnaissance du premier royaume saoudien par Napoléon I er et la rencontre entre le roi Fayçal et le général de Gaulle en 1967. Le moment est venu de créer, par une initiative française, cette Communauté économique entre l'Europe et le monde arabe. Mais il faut faire vite : l'autre grande découverte d'un voyage en Arabie saoudite, c'est l'omniprésence de la Chine et des puissances asiatiques dans les esprits et les discours de ceux qui décident.