À l’occasion de sa grande conférence annuelle qui marquera la rentrée, le 9 septembre, le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM) recevra Robert Fowler, considéré comme l’un des plus importants acteurs canadiens des dernières décennies en matière de relations internationales.
En 38 ans de carrière au service du gouvernement canadien, Robert Fowler a été conseiller en politique étrangère auprès des premiers ministres Pierre Elliott Trudeau, John Turner et Brian Mulroney, et sous-ministre de la Défense nationale. Il a assumé le plus long mandat d’ambassadeur du Canada aux Nations unies, en plus d’avoir été ambassadeur en Italie ainsi qu’auprès de trois agences alimentaires de l’ONU. Il a aussi été le représentant personnel pour l’Afrique des premiers ministres Jean Chrétien, Paul Martin et Stephen Harper.
M. Fowler traitera de la situation politique dans les pays africains et du rôle que le Canada pourrait y jouer. Mais avant tout il parlera des 130 jours pendant lesquels il a été otage d’al-Qaida au Niger en 2008-2009. Dans une entrevue accordée à Forum, il revient sur les évènements.
Robert Fowler est retraité depuis deux ans lorsqu’il est mandaté par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, pour mener une mission de paix au Niger, dans la région d’Agadès.
À cette époque, les rebelles du Mouvement des Nigériens pour la justice, une organisation touarègue, menaient depuis 18 mois une lutte à la frontière nord du Niger, dirigé par le président Mamadou Tandja.
La rébellion n’est pas d’une très grande ampleur, mais elle eut un effet dévastateur sur le tourisme et le commerce d’un pays occupant le troisième rang au palmarès des nations les plus pauvres du monde.
Trouver une solution négociée au conflit : mission impossible ?
C’est dans ce contexte que Robert Fowler débarque au Niger en septembre 2008. Durant l’automne, il a rencontré les autorités nigériennes et différents chefs d’états africains, de même que les chefs touaregs.
« Mais le président Tandja n’aimait pas du tout mon mandat, se remémore le diplomate de carrière. Je crois qu’il avait intérêt à maintenir l’état de crise pour instaurer un gouvernement de salut national face à la menace touarègue. » En fait, le président arrivait à la fin de son dernier mandat prescrit par la Constitution et il souhaitait rester en place...
Le 14 décembre, Robert Fowler et son collègue Louis Guay profitent d’une fin de semaine de congé pour aller visiter une mine d’or appartenant à des intérêts canadiens. Sur le chemin du retour vers la capitale, Niamey, un camion les dépasse, puis leur bloque la route.
Robert Fowler pressent alors que « quelque chose de très mauvais est en train de se passer ». Dans les secondes qui suivent, les deux hommes se retrouvent dans l’autre véhicule, amorçant un voyage infernal qui durera 130 jours.
L’enlèvement sera revendiqué en février 2009 par al-Qaida au Maghreb islamique.
Otages d’al-Qaida à 1000 km au nord de Tombouctou
Les conditions de détention des otages étaient « les plus rudimentaires que vous pouvez imaginer, relate M. Fowler. Nous dormions sans couverture sur le sable, en plein désert du Sahara, où la température descend à 10 °C la nuit, en décembre, et remonte au-delà de 50 °C à midi. » Leur régime alimentaire, constitué surtout de riz, leur a fait perdre une vingtaine de kilos.
Mais le plus difficile fut de vivre avec la peur de mourir à chaque instant.
« Nous avions en tête le sort réservé à Daniel Pearl, du Wall Street Journal, qui avait été décapité en 2002 par des militants pakistanais d’al-Qaida. J’avais peur de finir comme lui, d’être emmené dans une tente où m’attendrait une caméra vidéo destinée à envoyer les images de mon assassinat à ma famille... »
Robert Fowler apparaitra finalement dans quatre vidéos, dont trois filmées dans une tente. « Quand j’entrais dans la tente, je regardais tout de suite par terre pour voir s’ils avaient couvert leur tapis avec une bâche en plastique... Heureusement, il n’y a jamais eu de plastique. »
Al-Qaida : une menace permanente en Afrique
Malgré la peur, M. Fowler a pris soin d’observer ses ravisseurs afin de saisir leurs traits culturels et leurs motivations profondes. Et celles-ci n’augurent rien de bon, selon lui.
« Le plus frappant est leur relation au temps. Pour nous, Occidentaux, le temps règle nos vies. Mais les adeptes du djihad (la lutte pour propager le message de Dieu) n’accordent aucune importance au temps », soutient-il.
« Pour eux, Dieu ne peut pas perdre. Ils sont persuadés qu’ils vont finir par vaincre, que ce soit dans 10, 100 ou 2000 ans. »
Quelle place pour une intervention du Canada ?
Selon Robert Fowler, l’action restreinte du gouvernement canadien actuel en Afrique « démontre son désintérêt pour ce qui se passe sur ce continent de plus d’un milliard d’habitants, marqué par 65 ans de relations d’amitié avec le Canada ».
Lorsqu’il a publié son livre, en anglais, en novembre 2011, Robert Fowler suggérait qu’al-Qaida représentait un risque sérieux pour la stabilité de l’Afrique. Certains l’accusaient alors d’être alarmiste.
Mais l’histoire semble lui donner raison. « Avec ce qu’on a vu depuis en Somalie, au Kenya, en Ouganda, au Nigeria, en Tunisie, au Maroc, en Libye, en Mauritanie et au Mali, on constate que même les pays les plus puissants d’Afrique ne peuvent à eux seuls bloquer le mouvement djihadiste », insiste-t-il.
« La menace d’al-Qaida demeure présente et bien réelle, conclut l’ancien diplomate. Le Canada ne peut ignorer cette menace qui plane sur les pays amis : nous devons nous engager davantage. »
Martin LaSalle
Le 9 septembre, le CERIUM présentera sa grande conférence annuelle, prononcée par Robert Fowler, à 16 h 30 à l’amphithéâtre Ernest-Cormier du pavillon Roger-Gaudry. Et le 11 septembre, M. Fowler lancera la version française de son livre : Ma saison en enfer : 130 jours de captivité aux mains d’Al-Qaïda.
En 38 ans de carrière au service du gouvernement canadien, Robert Fowler a été conseiller en politique étrangère auprès des premiers ministres Pierre Elliott Trudeau, John Turner et Brian Mulroney, et sous-ministre de la Défense nationale. Il a assumé le plus long mandat d’ambassadeur du Canada aux Nations unies, en plus d’avoir été ambassadeur en Italie ainsi qu’auprès de trois agences alimentaires de l’ONU. Il a aussi été le représentant personnel pour l’Afrique des premiers ministres Jean Chrétien, Paul Martin et Stephen Harper.
M. Fowler traitera de la situation politique dans les pays africains et du rôle que le Canada pourrait y jouer. Mais avant tout il parlera des 130 jours pendant lesquels il a été otage d’al-Qaida au Niger en 2008-2009. Dans une entrevue accordée à Forum, il revient sur les évènements.
Robert Fowler est retraité depuis deux ans lorsqu’il est mandaté par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, pour mener une mission de paix au Niger, dans la région d’Agadès.
À cette époque, les rebelles du Mouvement des Nigériens pour la justice, une organisation touarègue, menaient depuis 18 mois une lutte à la frontière nord du Niger, dirigé par le président Mamadou Tandja.
La rébellion n’est pas d’une très grande ampleur, mais elle eut un effet dévastateur sur le tourisme et le commerce d’un pays occupant le troisième rang au palmarès des nations les plus pauvres du monde.
Trouver une solution négociée au conflit : mission impossible ?
C’est dans ce contexte que Robert Fowler débarque au Niger en septembre 2008. Durant l’automne, il a rencontré les autorités nigériennes et différents chefs d’états africains, de même que les chefs touaregs.
« Mais le président Tandja n’aimait pas du tout mon mandat, se remémore le diplomate de carrière. Je crois qu’il avait intérêt à maintenir l’état de crise pour instaurer un gouvernement de salut national face à la menace touarègue. » En fait, le président arrivait à la fin de son dernier mandat prescrit par la Constitution et il souhaitait rester en place...
Le 14 décembre, Robert Fowler et son collègue Louis Guay profitent d’une fin de semaine de congé pour aller visiter une mine d’or appartenant à des intérêts canadiens. Sur le chemin du retour vers la capitale, Niamey, un camion les dépasse, puis leur bloque la route.
Robert Fowler pressent alors que « quelque chose de très mauvais est en train de se passer ». Dans les secondes qui suivent, les deux hommes se retrouvent dans l’autre véhicule, amorçant un voyage infernal qui durera 130 jours.
L’enlèvement sera revendiqué en février 2009 par al-Qaida au Maghreb islamique.
Otages d’al-Qaida à 1000 km au nord de Tombouctou
Les conditions de détention des otages étaient « les plus rudimentaires que vous pouvez imaginer, relate M. Fowler. Nous dormions sans couverture sur le sable, en plein désert du Sahara, où la température descend à 10 °C la nuit, en décembre, et remonte au-delà de 50 °C à midi. » Leur régime alimentaire, constitué surtout de riz, leur a fait perdre une vingtaine de kilos.
Mais le plus difficile fut de vivre avec la peur de mourir à chaque instant.
« Nous avions en tête le sort réservé à Daniel Pearl, du Wall Street Journal, qui avait été décapité en 2002 par des militants pakistanais d’al-Qaida. J’avais peur de finir comme lui, d’être emmené dans une tente où m’attendrait une caméra vidéo destinée à envoyer les images de mon assassinat à ma famille... »
Robert Fowler apparaitra finalement dans quatre vidéos, dont trois filmées dans une tente. « Quand j’entrais dans la tente, je regardais tout de suite par terre pour voir s’ils avaient couvert leur tapis avec une bâche en plastique... Heureusement, il n’y a jamais eu de plastique. »
Al-Qaida : une menace permanente en Afrique
Malgré la peur, M. Fowler a pris soin d’observer ses ravisseurs afin de saisir leurs traits culturels et leurs motivations profondes. Et celles-ci n’augurent rien de bon, selon lui.
« Le plus frappant est leur relation au temps. Pour nous, Occidentaux, le temps règle nos vies. Mais les adeptes du djihad (la lutte pour propager le message de Dieu) n’accordent aucune importance au temps », soutient-il.
« Pour eux, Dieu ne peut pas perdre. Ils sont persuadés qu’ils vont finir par vaincre, que ce soit dans 10, 100 ou 2000 ans. »
Quelle place pour une intervention du Canada ?
Selon Robert Fowler, l’action restreinte du gouvernement canadien actuel en Afrique « démontre son désintérêt pour ce qui se passe sur ce continent de plus d’un milliard d’habitants, marqué par 65 ans de relations d’amitié avec le Canada ».
Lorsqu’il a publié son livre, en anglais, en novembre 2011, Robert Fowler suggérait qu’al-Qaida représentait un risque sérieux pour la stabilité de l’Afrique. Certains l’accusaient alors d’être alarmiste.
Mais l’histoire semble lui donner raison. « Avec ce qu’on a vu depuis en Somalie, au Kenya, en Ouganda, au Nigeria, en Tunisie, au Maroc, en Libye, en Mauritanie et au Mali, on constate que même les pays les plus puissants d’Afrique ne peuvent à eux seuls bloquer le mouvement djihadiste », insiste-t-il.
« La menace d’al-Qaida demeure présente et bien réelle, conclut l’ancien diplomate. Le Canada ne peut ignorer cette menace qui plane sur les pays amis : nous devons nous engager davantage. »
Martin LaSalle
Le 9 septembre, le CERIUM présentera sa grande conférence annuelle, prononcée par Robert Fowler, à 16 h 30 à l’amphithéâtre Ernest-Cormier du pavillon Roger-Gaudry. Et le 11 septembre, M. Fowler lancera la version française de son livre : Ma saison en enfer : 130 jours de captivité aux mains d’Al-Qaïda.