Par Jean-Paul Passi
Crédit photo : LNC
Un jeu des dupes
«Je demande à tous les hors-la-loi de déposer les armes, à tous les ex-FACA (forces armées centrafricaines, armée régulière) de rester cantonnés. Sinon, ils seront considérés comme des hors-la-loi, des bandits et trouveront en face d’eux les forces de la Misca pour mettre un terme à leurs agissements». C’est la sentence prononcée par le général camerounais Martin Tumenta Chomu, commandant de la MISCA, donnant ainsi un coup de grâce à l’armée centrafricaine et réduisant le général centrafricain Jérôme Bouba, en un simple chef d’Etat-major d’une armée aux « bras cassés », cantonnée quelque part dans un camp de concentration à Bangui.
Cependant, les forces Séléka n’ont jamais déposé les armes. Elles n’ont jamais trouvé en face d’elles ni les forces de la Misca, ni celles des Sangaris comme promise. Au contraire, comme à l’accoutumée, elles persistent et signent dans leurs incursions meurtrières, faisant ainsi « bras d’honneur » à tout le monde, sans en être inquiétées.
La situation sécuritaire de notre pays, au lieu de s’améliorer positivement, se détériore au jour le jour. Au summum de leurs caprices, les séléka, après le congrès de Ndélé, ont cette fois-ci nommé un Chef d’Etat-major d’une bande des rebelles lourdement armés qui privilégient aujourd’hui une sécession sous l’œil impuissant ou indulgent des forces internationales. Et, ce sont les FACA qui laissent des plumes dans ce jeu de dupes savamment orchestré.
Où est la validité de la parole d’honneur d’un officier supérieur comme le général Martin Tumenta Chomu ?
Mais là où le bât blesse c’est d’entendre parler d’une force républicaine parallèle à Bambari. Parler d’une force républicaine, c’est faire allusion à une force loyale censée protéger les institutions républicaines. Les séléka sont-ils légitimés par quel texte juridique ?
J'ai du mal à me projeter dans ce schéma ; j'ai des difficultés à le concevoir. En effet, comment est-ce possible de priver une nation de son armée et laisser une nébuleuse armée se métamorphoser en force Républicaine ? Comment est-ce militairement possible de voir une force internationale entériner une manipulation? Comme est-ce politiquement possible de donner légitimité à une force non-conventionnelle au détriment d’une force régalienne ? Quelque chose cloche quelque part, je ne sais pas où ? Plus c'est gros, mieux ça passe, n'est-ce pas ? Où est le complot ? Serait-ce possible que tout ceci soit orchestré pour favoriser les « hors-la-loi » à semer le chaos? C'est possible, c'est possible que cela soit la suite de la parodie du fameux verrou de Damara érigé par la Fomac !
Souvenez-vous que le général Félix Akaga, commandant des forces multinationales de l’Afrique Centrale (FOMAC), avant la prise de Bangui, jouant à une pseudo-neutralité, déclarait de façon tonitruante que Damara constituait la ligne rouge à ne pas franchir par les
rebelles. Mais le lendemain, la « ligne rouge » de Damara sera triomphalement franchie par les Seleka. En effet, nous étions tous pris à court comme des idiots censés regarder la lune.
Misca-Sangaris : un « cadeau empoisonné » ?
Priver toute une nation de son armée est révélateur d’une intention cachée. L’histoire nous rappelle que si la création de l’état d’Israël en 1948 avait pour but de créer un foyer national juif, elle avait aussi comme but de créer au sein du Moyen- Orient un pays avec l’aide de certaines puissances étrangères. Ne sommes-nous pas dans le même cas de figure ?
En tout cas, les intentions de la séléka se sont toujours révélées sur deux points : la volonté de balkaniser la Centrafrique en utilisant le pseudo « conflit religieux » comme prétexte, et une soif de prédation qui se traduit en pillage systématique des ressources naturelles de la Centrafrique. S’ils font main basse sur les huit préfectures les plus riches en ressources minières, ce n’est pas anodin. Ce plan machiavélique semble être entériné par les MINUSCA-SANGARIS par leur passivité coupable, pourtant mandatées de désarmer toutes les forces négatives afin de rétablir une paix durable. Pas un seul iota de ces résolutions n’a été appliqué.
C’est pourquoi, du point de vue centrafricain, je fais plus que désapprouver l’attitude de ces deux forces apparentes : je la condamne. Je la condamne aujourd’hui parce qu’elle humilie tout un peuple en le transformant en un peuple vaincu, assujetti, humilié, malgré toutes les apparences.
Je la condamne parce qu’elle a mis hors du champ de bataille toute une armée républicaine qui pouvait inquiéter ces bandes armées non-conventionnelles. En effet, cette situation replace le peuple centrafricain aujourd’hui devant une longue histoire de frustrations et d’humiliations déjà subies depuis de nombreuses décennies, à l’ère de la colonisation. Dans cette situation, la Séléka a le boulevard devant elle, et les forces du maintien de la paix le lui ouvrent majestueusement. Je la condamne parce qu’elle négocie avec des bandits armés qui tuent inlassablement le peuple centrafricain.
Alors, que faire ?
Se mobiliser. Il appartient donc aujourd’hui aux centrafricains de prendre leur destin en main et d’exiger à l’opinion internationale la réhabilitation de leur armée nationale. Nous ne serons ni les premiers ni les derniers dans ce cas. La RDC a vécu la même situation dans le Nord-Kivu et on ne parlait que du M23. . Il faut, en effet, se souvenir que la faible combativité de l’armée congolaise était une constante notoire. L’implication onusienne dans ce conflit était balbutiante. Mais, le jour où les congolais ont eu un sursaut patriotique, la donne a changé. La victoire de l’armée congolaise aujourd’hui contre le M23 a été précédée d’une victoire patriotique, politique et diplomatique qui l’a rendue possible. La victoire patriotique et politique s’est traduite par la dénonciation du M23 par tous les acteurs de la société civile et de la classe politique congolaise sans exclusive, puis par l’implication engagée de la communauté internationale sous pression du peuple congolais.
En effet, l’échec du M23 ou le renversement de rapport de force sur le terrain est le résultat binôme tactique armée congolaise/ Brigade d’intervention des Nations-Unies. Après le sursaut patriotique du peuple congolais, les forces internationales ont finalement compris l’enjeu de leur mission, ce qui leur a permis de recourir véritablement à la force réelle pour aboutir à cette victoire.
Voilà un exemple à suivre si nous voulons notre armée, il nous appartient donc de nous mobiliser pour non seulement dénoncer ce jeu de dupes planifié, mais d’interroger aussi la Communauté internationale sur la situation de notre armée nationale. Pourquoi alors l’armée centrafricaine ne doit-elle pas être réhabilitée pour apporter son appui au désarmement de toutes les forces négatives ?
Prétendre aujourd’hui que c’est à cause du lynchage à mort de l’un des leurs, que les FACA ne peuvent plus être réarmées, est un faux-prétexte. Les nébuleuses Séléka et Antibalaka ont commis et commettent encore les pires des crimes et personne ne les a désarmées. Parler d’une armée ethnique ou monolithique est un argument tronqué, car la Séléka est une bande armée à dominante musulmane et personne n’ose condamner. Dire que les FACA sont politisées relève de l’escroquerie intellectuelle, les ambitions politique et idéologique des séléka sont pourtant très lisibles et indéniables.
Alors, je crois qu’il est temps d’apprendre de nos erreurs. Nous ne devons plus être dans le déni de réalité. L’armée régalienne doit être rétablie. Cela s’entend de l’ensemble des forces détenant de façon régulières les armes pour défendre les institutions, les autorités qui les incarnent, l’honneur de la Nation, la souveraineté nationale, les personnes et leurs biens. Car, le contexte de la crise actuelle fait du peuple centrafricain une proie facile. Ainsi, on ne saurait parler d’une quelconque paix, ni d’épanouissement des peuples sans à minima une paix des esprits qui permettent l’assurance de sécurité.
C’est une question de survie que de voir notre armée réhabilitée, une armée forte, une armée capable de se déployer, de refouler les envahisseurs. Dans le contexte actuel, sans armée nationale, nous ne pouvons plus parler de paix : si vis pacem, para bellum.
Car, les faucheurs de vie ne se sont pas encore élevés suffisamment, spirituellement, pour respecter l’autre, respecter le bien d’autrui, en somme vivre en harmonie avec leurs semblables.
Jean-Paul Passi
(activiste indépendant)