Il y a peu, à Angoulême, lors d’une conversation autour de bonnes bières avec des ami.e.s brésilien.ne.s et autres nationalités, je parlais de « Shi Mangan », le dieu du tonnerre dans la partie haute du pays bamiléké au Cameroun. C’est lors de ce genre de causerie qu’on apprend à connaitre d’autres peuples sans nécessairement parcourir des kilomètres pour voir de nos yeux. Quelques jours plus tard, l’écrivain Dany Laferrière fait son entrée en tant qu’immortel à l’Académie française. À cette occasion, il décide d’inscrire sur son épée l’insigne du dieu Lègbâ. Je décide dès lors d’en apprendre un peu plus sur ce dieu qui fascine tant le nouvel académicien. Je commande plusieurs livres sur le sujet. Je me documente. Il y a comme un goût d’inachevé dans les œuvres que je possède. Je prends donc une décision : aller au plus près des gens qui connaissent Lêgba. J’avais le choix entre deux destinations, deux pays : Haïti ou le Bénin. Haïti, ce n’était pas mal comme idée surtout que j’adore Port-au-Prince et le goût des gens qui y sont. Mais j’ai quand même préféré le Bénin parce qu’il se dit que c’est la « terre-mère » du vaudou, même si j’ai souvent passé mon temps à défendre une autre thèse…
Cotonou. Quartier Agla. Nous sommes samedi. C’est la fête dans les grands carrefours inondés de bars. C’est aussi la fête dans une église évangélique qui se trouve juste au pied de notre immeuble. Oui, à Cotonou, les petites buvettes et les églises prospèrent très bien. Il y a quelqu’un qui m’a dit que cela s’appelle : « le développement trois point zéro ». Il a continué en disant : « si on devenait comme Abidjan, ça ne serait déjà pas mal dans le processus. Il paraît que là-bas les gens passent leur temps à danser le coupé-décalé ». Il y a une autre personne qui dit : « il faut bien qu’il y ait un endroit pour que nous puissions dépenser notre argent. Sinon ça servirait à quoi d’en gagner ? » Un monsieur adossé à sa voiture me dit : « Viens plutôt prendre une bière au lieu de faire ton intéressant. Le journalisme est ce genre de métier qui ne nourrit pas son homme ». Puis, il y a eu cette personne qui a dit : « ‘’Mahou’’, c’est dieu, et dieu c’est la vie. Sans vie, tu ne vis pas ! » « On n’a pas l’argent pour aller donner aux féticheurs, alors on va à l’église parce qu’ici au moins c’est gratuit ». « Donne ta vie à Jésus et tu seras sauvé » …
Je décide de rentrer à l’appartement. J’ai un rendez-vous tôt le matin dans un petit bled en banlieue de Cotonou. Je dois rencontrer un féticheur pour qu’il me parle de Lègbâ. Mais pour l’instant, je me vautre dans le canapé en cuir et j’écoute le nouvel album de Brigitte Fontaine, ma chanteuse préférée. C’est le seul CD qui m’accompagne dans ce séjour. Et là, il y a cet air. Il y a ce timbre de voix que j’adore. Il y a ce côté rebelle qui ressort de plus belle. Je déguste, je déguste, je déguste cette chanson : « Au diable dieu. Au diable dieu. Au diable dieu, ce vieux mafieux, roi des picots, secte d’escrocs, de collabos, de niqueurs d’ados. Brûleur de vierge, lécheur de cierge… » Ça me fait du bien. Je ris et je m’endors…
À l’aube, après quelques minutes en voiture, on prend des ruelles étroites. Il y a beaucoup de gens. Des dames galantes en pleines négociations avec leurs clients. Il y a aussi des malades, etc. Nous sommes tous dans une ruelle à attendre. Le féticheur dort encore. Je m’incruste dans une conversation. Je dis : « ça ne vous gêne pas de voir la prostitution à côté d’un lieu de fétiches ? » Vu la grimace qu’ils ont faite, j’ai tout de suite compris que je venais de faire une gaffe. Il y a quelqu’un qui a dit : « ce n’est pas de la prostitution qu’elles sont en train de pratiquer. La prostitution c’est quelque chose de mauvais. Ici, ce sont les vendeuses de haricots. Ce n’est pas pareil ! » Je décide de me taire. Ils se taisent aussi. Ça chuchote. Ça chuchote. Et tout à un coup, il n’y a plus de racolage…
Voilà que se termine mon entretien avec le féticheur. J’ai eu les éléments que je cherchais. Il a été précis et efficace. Je suis tout content. Je me décide maintenant à lui poser la question qui fâche. La même que j’ai posée à ses patients. Il me dit : « Si tu vas à Ouidah, tu verras une église catholique en face du temple des pythons, cela veut bien dire qu’on est tolérants envers les autres. Les autres ne sont pourtant pas tolérants envers nous. Ils passent leurs temps à dire aux gens que nous sommes des diables » …
Nous sommes en fin d’après-midi. Je suis au bar. Je fais des commentaires. Je m’abreuve de bonnes bières. On refait le portrait du président de la République et des politiques. Je ris. Ça rit. On rit. On est contents. Tout va bien. Chacun a réussi à oublier les peines et les soucis du quotidien. Le monde n'est que bonheur. Et le soir venu, on décide tous d’aller danser à l’église. Oui, chez les évangélistes en Afrique et ailleurs, on danse beaucoup et tout le monde est content !
La salle est pleine à craquer. C’est écrit sur une banderole : « Aujourd’hui, jour de délivrance, ta vie va changer. Jésus-Christ t’aime ! » On danse. L’orchestre est génialissime. On est tous contents. Et puis, tout change. L’atmosphère devient funèbre. Il y a le pasteur qui prend la parole et dit : « au nom de Jésus de Nazareth, vous êtes bénis. Que son sang puissant coupe la tête de tous vos ennemis ». Les gens ont dit en chœur : « amen ». Je me dis que c’est juste une métaphore absurde, ce genre de chose qu’on dit pour blaguer. Certains se mettent à crier, tombent en transe, se roulent par terre. Ça prend une forme délirante. Les musiciens jouent la musique de manière absolue. Ça hurle. Etc. Voyant ce pasteur envahi de colère noire, je comprends qu’il est très sérieux dans ce qu’il dit. Je refuse de participer à une sorte d’appel au meurtre ou à un porno linguistique. Estomaqué, je décide donc de m’en aller au plus vite…
En partant, dans un brouhaha despotique, voici ce que j’entends des prières des fidèles : « Oh ! Jéhovah, je t’en supplie, brûle mon ennemi » ; « Jésus-Christ, coupe la tête de mes ennemis afin qu’ils me laissent prospérer dans ma vie » ; « seigneur dieu, prends le contrôle de ma vie, sauve-moi » ; « Écrase mes ennemis. Rends-les handicapés » ; « J’invoque le feu, le feu sur le diable » ; « tue tous ceux qui me veulent du mal » ; « Viens être mon gardien, je t’en supplie », « soigne ma maladie », etc.
Cotonou. Quartier Agla. Nous sommes samedi. C’est la fête dans les grands carrefours inondés de bars. C’est aussi la fête dans une église évangélique qui se trouve juste au pied de notre immeuble. Oui, à Cotonou, les petites buvettes et les églises prospèrent très bien. Il y a quelqu’un qui m’a dit que cela s’appelle : « le développement trois point zéro ». Il a continué en disant : « si on devenait comme Abidjan, ça ne serait déjà pas mal dans le processus. Il paraît que là-bas les gens passent leur temps à danser le coupé-décalé ». Il y a une autre personne qui dit : « il faut bien qu’il y ait un endroit pour que nous puissions dépenser notre argent. Sinon ça servirait à quoi d’en gagner ? » Un monsieur adossé à sa voiture me dit : « Viens plutôt prendre une bière au lieu de faire ton intéressant. Le journalisme est ce genre de métier qui ne nourrit pas son homme ». Puis, il y a eu cette personne qui a dit : « ‘’Mahou’’, c’est dieu, et dieu c’est la vie. Sans vie, tu ne vis pas ! » « On n’a pas l’argent pour aller donner aux féticheurs, alors on va à l’église parce qu’ici au moins c’est gratuit ». « Donne ta vie à Jésus et tu seras sauvé » …
Je décide de rentrer à l’appartement. J’ai un rendez-vous tôt le matin dans un petit bled en banlieue de Cotonou. Je dois rencontrer un féticheur pour qu’il me parle de Lègbâ. Mais pour l’instant, je me vautre dans le canapé en cuir et j’écoute le nouvel album de Brigitte Fontaine, ma chanteuse préférée. C’est le seul CD qui m’accompagne dans ce séjour. Et là, il y a cet air. Il y a ce timbre de voix que j’adore. Il y a ce côté rebelle qui ressort de plus belle. Je déguste, je déguste, je déguste cette chanson : « Au diable dieu. Au diable dieu. Au diable dieu, ce vieux mafieux, roi des picots, secte d’escrocs, de collabos, de niqueurs d’ados. Brûleur de vierge, lécheur de cierge… » Ça me fait du bien. Je ris et je m’endors…
À l’aube, après quelques minutes en voiture, on prend des ruelles étroites. Il y a beaucoup de gens. Des dames galantes en pleines négociations avec leurs clients. Il y a aussi des malades, etc. Nous sommes tous dans une ruelle à attendre. Le féticheur dort encore. Je m’incruste dans une conversation. Je dis : « ça ne vous gêne pas de voir la prostitution à côté d’un lieu de fétiches ? » Vu la grimace qu’ils ont faite, j’ai tout de suite compris que je venais de faire une gaffe. Il y a quelqu’un qui a dit : « ce n’est pas de la prostitution qu’elles sont en train de pratiquer. La prostitution c’est quelque chose de mauvais. Ici, ce sont les vendeuses de haricots. Ce n’est pas pareil ! » Je décide de me taire. Ils se taisent aussi. Ça chuchote. Ça chuchote. Et tout à un coup, il n’y a plus de racolage…
Voilà que se termine mon entretien avec le féticheur. J’ai eu les éléments que je cherchais. Il a été précis et efficace. Je suis tout content. Je me décide maintenant à lui poser la question qui fâche. La même que j’ai posée à ses patients. Il me dit : « Si tu vas à Ouidah, tu verras une église catholique en face du temple des pythons, cela veut bien dire qu’on est tolérants envers les autres. Les autres ne sont pourtant pas tolérants envers nous. Ils passent leurs temps à dire aux gens que nous sommes des diables » …
Nous sommes en fin d’après-midi. Je suis au bar. Je fais des commentaires. Je m’abreuve de bonnes bières. On refait le portrait du président de la République et des politiques. Je ris. Ça rit. On rit. On est contents. Tout va bien. Chacun a réussi à oublier les peines et les soucis du quotidien. Le monde n'est que bonheur. Et le soir venu, on décide tous d’aller danser à l’église. Oui, chez les évangélistes en Afrique et ailleurs, on danse beaucoup et tout le monde est content !
La salle est pleine à craquer. C’est écrit sur une banderole : « Aujourd’hui, jour de délivrance, ta vie va changer. Jésus-Christ t’aime ! » On danse. L’orchestre est génialissime. On est tous contents. Et puis, tout change. L’atmosphère devient funèbre. Il y a le pasteur qui prend la parole et dit : « au nom de Jésus de Nazareth, vous êtes bénis. Que son sang puissant coupe la tête de tous vos ennemis ». Les gens ont dit en chœur : « amen ». Je me dis que c’est juste une métaphore absurde, ce genre de chose qu’on dit pour blaguer. Certains se mettent à crier, tombent en transe, se roulent par terre. Ça prend une forme délirante. Les musiciens jouent la musique de manière absolue. Ça hurle. Etc. Voyant ce pasteur envahi de colère noire, je comprends qu’il est très sérieux dans ce qu’il dit. Je refuse de participer à une sorte d’appel au meurtre ou à un porno linguistique. Estomaqué, je décide donc de m’en aller au plus vite…
En partant, dans un brouhaha despotique, voici ce que j’entends des prières des fidèles : « Oh ! Jéhovah, je t’en supplie, brûle mon ennemi » ; « Jésus-Christ, coupe la tête de mes ennemis afin qu’ils me laissent prospérer dans ma vie » ; « seigneur dieu, prends le contrôle de ma vie, sauve-moi » ; « Écrase mes ennemis. Rends-les handicapés » ; « J’invoque le feu, le feu sur le diable » ; « tue tous ceux qui me veulent du mal » ; « Viens être mon gardien, je t’en supplie », « soigne ma maladie », etc.