ANALYSE

Djibouti : Tôt ou tard, l'histoire vous réhabilite !


Alwihda Info | Par Kadar Abdi Ibrahim - 26 Décembre 2019


Le Secrétaire Général du parti Le MoDeL, Kadar Abdi Ibrahim, réagit à la cérémonie organisée à dans la capitale somalienne (Mogadiscio) en la mémoire de l'indépendantiste djiboutien Mohamoud Harbi Farah.


Depuis quelques jours, circulent dans les réseaux sociaux une vidéo d’une cérémonie organisée à Mogadiscio, capitale de la Somalie, en la mémoire de l’indépendantiste djiboutien Mahamoud Harbi Farah, décédé, en septembre 1960, dans des circonstances jamais élucidées, alors que dans son propre pays pour lequel il a donné de sa vie, c’est motus et bouche cousue. Cérémonie dans laquelle se sont retrouvés plusieurs universitaires, chercheurs et étudiants somaliens.

Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?

Vous avez là, tout d’abord, la meilleure illustration des contrecoups de la censure et de la falsification historique. Votre nom peut être rayé dans votre propre pays et même des livres d’histoire. Il resurgira ailleurs. Pas si loin et en si peu de temps. Ainsi, des jeunes qui ne devraient, a priori, rien connaitre à votre sujet, brandiront vos portraits sans qu’il y ait besoin de les payer.

Tout dictateur est incapable de comprendre qu’un homme éliminé de l’histoire ne cesse pas pour autant d’exister. Bien au contraire, il se met à exister davantage. C’est un paradoxe qui ne peut que forcément déplaire et qu’aucun despote ne peut accepter. Parce que cette loi de la nature, toute aussi cruelle que réconfortante, le dépasse : « Faucher l’herbe, elle repoussera aussitôt. La faucher encore une fois, elle repoussera plus haut que jamais ». Les forces régnantes peuvent se dresser contre l’hérétique, le livrer au bûcher, le précipiter au cachot, le dépouiller de ses biens, de ses papiers, de son passeport, de son boulot… mais jamais de l’universalité de son message, qui, lui, reste éternel.

Les hommes de son envergure ne peuvent être aucunement jugés à l’aune de leurs fonctions, ils ne peuvent l’être qu’à celle de l’Histoire. Entre le despote et les hommes comme lui, c’est comme le pot de verre contre le pot de terre. Aucun tyran n’a le fil de leur étoffe. Personne ne peut le destituer de l’Histoire car personne ne sera finalement capable de le rayer de la mémoire des hommes. Et comme tout à chacun le sait, la mémoire est une propriété privée à laquelle aucun pouvoir n’a accès.

L’on dit fréquemment que les paroles qui ouvrent les yeux sur le monde sont celles que nous nous rappelons le mieux. Or, ce fut le cas de Mahamoud Harbi Farah. S’adressant aux colons, il disait assez souvent que « la terre que nous foulons nous appartient », formule, à l’origine saisissante, saupoudrée d’une dose d’esthétisme pansomaliste mais machiavéliquement transformée par certains pour des intérêts démagogiques et fantasmagoriques en un simplet secteur « La terre à nous ! ». Comprenez ici, que selon sa rhétorique, la république est multiple. Lui, n’avait pas besoin d’emprunter des raccourcis linguistiques. Indéniablement, l’homme était un être pensant se sentant à l’étroit dans la camisole tribaliste où l’on essayait de le faire entrer. Les hommes de sa trempe restent inflexibles aux incantations illusoires. Il ne peut en être autrement.

Cette commémoration en sa mémoire à Mogadiscio, capitale de la Somalie, à près de 2 000 km de Djibouti, prouve qu’il subodorait plus que le quidam. Parce qu’il n’était pas ordinaire. Elle est aussi une preuve évidente qu’il avait raison. Le problème, ce qu’il a eu raison trop tôt. Malheureusement, toute idée juste met du temps à mûrir, pendant que les hommes, qui la véhicule, souffrent et errent dans les ténèbres. Mahamoud Harbi s’était engagé contre la servitude du pays. Servitude sous laquelle nous croulons toujours et qui suscite tant d’objections.

Comment ne pas rester perplexe sur l’aveuglement de ces dictateurs somnambules qui, hier comme aujourd’hui, s’accrochent au pouvoir. L’histoire, hélas, ne leur fait aucune fleur. Ils ont tous terminé leur règne de manière lamentable et infâme. Les uns se sont fait couper la tête, les autres, avec un peu de chance, ont échappé à la mort brutale mais ont dû fuir le pays pour aller mourir en exil dans la solitude et l’oubli. « A coups d’Etat qui éclatent, pavés qui pleuvent » note Victor Hugo sur l’un des feuillets de « Choses vues » alors que surgit la révolution de février 1848 qui met fin au règne de Louis-Philippe.

En réalité, pas un seul n’est décédé de sa belle mort, sur son trône, retranché dans son Aventin, et ayant passé son existence entouré de l’estime et de l’affection de ses sujets. Pas un seul n’a été regretté et porté en terre par son peuple, les larmes aux yeux. A contrario, la nouvelle de leur mort était accueillie dans des débordements d’allégresse, partout, dans les rues. Que l’histoire est cruelle en ce sens mais qu’elle est généreuse lorsqu’elle vous réhabilite !

Même si, en ce début de l’année 2020, l’histoire n’est pas encore tout à fait écrite, il y a tant de vérités à rétablir. Décidément, nous sommes à l’heure préoccupante où les choses se tranchent.

Il y a effectivement urgence, mais qui l’entend ?

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