ANALYSE

ETUDIANTS ETRANGERS : Le Conseil d’État entérine l'application de frais d'inscription plus élevés


Alwihda Info | Par Maître Fayçal Megherbi - 15 Septembre 2020


Hausse des frais d'inscription pour les étudiants étrangers : la remise en cause du système éducatif français l'enseignement supérieur français mis à mal ?


C'est pour la qualité de son enseignement que la France attire depuis des années de nombreux étrangers sur son territoire. Selon une étude menée par le Ministère de l'Intérieur sur l'année scolaire 2017/2018, ce sont près de 345 000 étudiants étrangers que le pays a accueilli, soit une hausse d'environ 6% par rapport à l'année scolaire précédente.

Quant sera-t-il à l'avenir compte tenu des nouvelles modalités d'inscription pour ces étudiants étrangers ?

C'est le décret du 19 avril 2019 ainsi que l'arrêté de la même date, qui ont fait se soulever les associations étudiantes et les syndicats. En effet ce dernier est venu bouleverser les règles d'inscription pour les étudiants étrangers présents sur le sol français. Dès l'année universitaire 2019/2020, ces derniers ont vu leur frais d'inscription augmenter, contrairement à leur camarades français, européens ou déjà résidents sur le territoire. Le Conseil d’État dans son arrêt du 1er juillet 2020, a tout simplement rejeté le recours en annulation formé contre ces deux décisions aux motifs qu'elles ne font obstacle ni au principe d'égal accès à l'instruction, ni à celui d'égalité entre les usagers du service public.

Concrètement, depuis la rentrée 2019 un étudiant étranger souhaitant s'inscrire en licence pourra se voir payer des frais d'inscription pouvant aller jusqu'à 2770 euros, contre seulement 170 euros pour un étudiant français. De la même façon si cet étudiant étranger souhaite s'inscrire par la suite en master il pourra atteindre la somme de 3770 euros, contre 243 euros pour un étudiant européen. De telle sorte que la décision du Conseil d’État, en date du 1er juillet 2020, a été perçue par les requérants comme tout bonnement injuste et discriminatoire. Les étudiants ne bénéficiant pas tous de ressources suffisantes pour assumer de telles charges, en plus de celles engendrées par leur mobilité internationale.

Dans son arrêt en date du 1er juillet 2020, la haute juridiction de l'ordre administratif vient affirmer deux choses :

Dans un premier temps, elle explique que l'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers ne fait pas obstacle au principe d'égal accès à l'instruction. Ce dernier est affirmé au sein du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 à l'alinéa 13, consacré par le bloc de constitutionnalité : « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. ».

Dans la décision QPC du 11 octobre 2019 le Conseil Constitutionnel expliquait que : « l'exigence constitutionnelle de gratuité ne fait pas obstacle, pour ce degré d'enseignement, à ce que des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants. »


Le terme « modique » a suscité un débat très controversé au sein de la communauté universitaire eu égard à l’augmentation considérable des frais d'inscription. Le Conseil d’État se justifie en affirmant que le caractère « modique » de ces derniers doit s'apprécier « au regard du coût de ces formations, compte tenu de l’ensemble des dispositions en vertu desquelles les usagers peuvent être exonérés du paiement de ces droits et percevoir des aides, de telle sorte que de ces frais ne fassent pas obstacle, par eux-mêmes, à l’égal accès à l’instruction ».

En d'autres termes, le Conseil d’État estime que ce principe n'est pas bafoué car des dispositifs d'exonération et d'aides sont en place pour permettre aux étudiants de court-circuiter les dépenses relatives à ce type de frais.

Dans un second temps, le Conseil d’État affirme que sa décision ne méconnaît pas non plus le principe d'égalité entre les usagers du service public. Il exprime l'idée que tous les individus doivent être traités de manière identique, sans introduire de différence de traitement fondé sur des critères de distinction interdits par la Constitution, de sorte que cela mette en cause une liberté fondamentale. Ce principe a notamment été consacré en tant que principe général du droit (PGD) dans l'arrêt Société des concerts du conservatoire en date du 9 mars 1951. En plus d'avoir une valeur constitutionnelle depuis une décision du conseil constitutionnel en date du 27 juin 2001.

Sur ce point le Conseil d’État explique que le principe d'égalité ne fait pas obstacle « à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne sois pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. »

Ainsi selon le Conseil d’État, ce principe ne fait pas obstacle à ce que des ruptures d'égalité soient introduites dans un but d'intérêt général. Les différences de traitement peuvent être admises dans certains cas si les mesures sont justifiées, proportionnées et en lien direct avec l'objet de la règle mise en place.

C'est dans son célèbre arrêt Desnoyez et Chorques, en date du 10 mai 1974, que le Conseil d’État est venu affirmer ce principe. En l'espèce, deux personnes possédaient une résidence secondaire sur l'île de Ré. Pour pouvoir passer le bac qui relie l'île au continent, ils se sont vu appliquer le tarif général au lieu du tarif réduit réservé aux habitants de l'île ayant une résidence principale. Le Conseil d’État a ainsi jugé que : « Considérant d'une part, qu'il existe, entre les personnes résidant de manière permanente à l’Île de Ré et les habitants du continent dans son ensemble, une différence de situation de nature a justifier les tarifs de passage réduits applicables aux habitants de l’Île ; qu'en revanche, les personnes qui possèdent dans l'Ile de Ré une simple résidence d’agrément ne sauraient être regardées comme remplissant les conditions justifiant que leur soit appliqué un régime préférentiel ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à revendiquer le bénéfice de ce régime. »

En application de cette jurisprudence, des discriminations sont admises entre usagers dans trois cas : lorsque c’est la loi qui les institue, en raison de différences de situations appréciables, ou pour des motifs d’intérêt général.

En l'espèce, pour la haute juridiction c'est la deuxième condition qui l'a emporté, la différence de situation. Les étudiants étrangers n'ont pas vocation à s'implanter de façon durable dans leur pays d'accueil, contrairement à un étudiant français par exemple. Ils viennent acquérir un enseignement de qualité pour ensuite retourner dans leur pays natal. C'est sur ce point que se fonde la différence de traitement des usagers du service public selon le Conseil d’État. Il valide donc la possibilité pour les universités de prévoir des frais d'inscription plus élevés pour les étudiants étrangers.

Toutefois, il faut noter ici qu'une vingtaine d'institutions d’enseignement supérieur se sont fermement prononcées contre l’augmentation des frais d’inscription depuis le 19 novembre 2018. On peut citer l'Université de Lorraine, Paris-Sud, Paris 13, Paris 8, Rouen, Lyon 2, Aix-Marseille, ou encore l'Université de Caen dont le président affirmait dans un communiqué que : "Le conseil d’administration de l’université de Caen Normandie a adopté à l’unanimité une motion, transmise au Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation, affirmant son opposition aux frais différenciés pour les étudiantes et étudiants extra-communautaires et engageant l’établissement à utiliser tous les moyens à sa disposition pour continuer à accueillir chacun avec les mêmes conditions financières."


Par Me Fayçal Megherbi, avocat au Barreau de Paris

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