ANALYSE

FCFA : Respectueuses objections d’un cancre aux fulgurances d’un banquier central !


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar NDIAYE - 15 Septembre 2017


​Après presque six décennies de couardise de leurs pères et aînés, il est heureux de constater que des jeunes gens osent enfin poser le problème de l’utilisation par nos pays du franc Cfa.


Francs CFA au Tchad le 9 avril 2016. / ISSOUF SANOGO/AFP
Le Directeur national de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest), M. Ahmadou El Aminou Lô, est, sans conteste, un brillant banquier central, un homme qui maîtrise les questions monétaires sur le bout des doigts. C’est un de ces cadres qui vous éblouissent de par leur savoir et leurs capacités intellectuelles qui sont immenses. Une sommité dans son domaine, assurément. Ceux qui ont suivi son passage dans l’émission « Le Grand Jury » de la Radio Futur Média dimanche dernier, où il s’exprimait sur le Franc CFA en particulier, n’en reviennent pas encore de son érudition mais aussi de son éloquence. De ses certitudes aussi, hélas, qu’il assène sans souffrir d’être contredit. N’étant pas banquier, ne connaissant que dalle aux complexes questions monétaires, n’ayant même pas pu parcourir un de ces ouvrages du genre « l’économie expliquée aux nuls », je me garderais, bien évidemment, d’essayer seulement de contredire un si brillant banquier. Un banquier « sûr de lui et dominateur » comme avait dit le général de Gaulle à propos d’Israël. Néanmoins, si expert fût-il, nous avons tout de même l’impression que l’excellent banquier Al Amine Lô a tendance à nous prendre pour des imbéciles. Que nous sommes sans doute mais pas au point où il l’imagine. Nous nous contenterons donc de commenter ses propos sur trois points seulement.

Le premier, c’est lorsqu’il assène, péremptoire, ce qui suit :«Ils disent que la France a un véto dans le fonctionnement de l’Union. Ce qui est archi faux. Aujourd’hui c’est ''un Etat un représentant''. La France est représentée, plus le gouverneur de la Banque centrale. Donc, 10 personnes sont membres du conseil d’administration de la Bceao. Toutes les décisions se prennent à la majorité simple des voix. Moi, j’ai eu à participer à plusieurs réunions du conseil d’administration, du comité de politique monétaire, du conseil des ministres. Mais dans les réunions du conseil d’administration, le représentant de la France est un représentant simple comme les autres. (…) Le représentant français est là, il aide. Il est dans une économie développée, il vient dans ces réunions avec des informations de première main qu'il partage et qui nous permettent de prendre la bonne décision. Donc, pas de droit de véto ! »L’honorable directeur national de la BCEAO gagnerait à nuancer son propos, assurément. Car, enfin, on voudrait bien le croire et être convaincu que la France ne dispose pas de droit de véto à la BCEAO et a exactement les mêmes droits que les autres Etats membres. Mais alors, que ce distingué compatriote nous explique comment se fait-il qu’un simple sous-ministre de la France — en charge de la Coopération à l’époque ! —, M. Michel Roussin en l’occurrence, ait pu, en 1994, convoquer ici même à Dakar 16 chefs d’Etat africains pour leur annoncer la décision de son pays de dévaluer le CFA. Je dis bien annoncer car le brave ministre français — qui se distinguait à l’époque par ses leçons de morale en direction des dirigeants africains et qui fut emprisonné par la suite pour corruption, soit dit en passant — n’a pas demandé leur avis aux présidents africains qui avaient déféré à sa convocation.

A l’époque, j’avais couvert les travaux de ce sommet et je peux vous certifier, M. Lô, que, en coulisses ainsi que dans leurs chambres d’hôtel — du Méridien Président en l’occurrence — les chefs d’Etat que nous avions rencontrés ne décoléraient pas contre cette décision de la France qu’ils assimilaient à un « coup de poignard » dans le dos. Et, croyez-nous, très éminent compatriote, le président Abdou Diouf n’était pas le moins furax ! Dans ces conditions, venez donc nous dire, cher M. Amine Lô, que la France ne dispose pas d’un droit de véto au sein de la Bceao. Plus qu’un droit de véto, c’est elle qui décide et les Africains, dont les brillants cadres de la Bceao, appliquent les doigts sur la couture du pantalon…

Très chers billets de banque !

Le deuxième point que nous commenterons, c’est ce passage où l’invité du « Grand jury » nous expliquait laborieusement ceci : « Ce n’est pas l’ancienne puissance coloniale. Encore une fois, c’est la Banque de France qui dispose d’une usine de fabrication, qui propose des prix, qui a un partenariat privilégié avec la Bceao, qui permet d’avoir un prix de revient très bon, qui permet d’avoir des délais de réponse très bons (…). »

«Une banque centrale doit tout faire pour ne pas faire des pertes. L’impression des billets nous coûte annuellement entre 25 milliards et 35 milliards de Francs CFA. Parce que, nous les faisons fabriquer. Imaginez qu’on ait une usine, peut-être que nous aurons des coûts de fabrication moindres, mais dans l’amortissement du bien peut-être qu’on pourrait se retrouver avec 60 milliards à amortir chaque année. » Fort bien, M. Lô, nous espérons que vous n’êtes pas en train de nous dire là que seule l’imprimerie — car, il ne s’agit pas d’autre chose — de la Banque de France est capable de fabriquer nos billets de banque et autres pièces de monnaie. Si l’on a bien compris, il s’agit là d’un travail d’impression un peu plus complexe certes que les autres travaux d’impression de ville, comme on dit, mais enfin les imprimeries spécialisées en cette matière sont légion à travers le monde. Pourquoi donc ne pas mettre la Banque de France en concurrence avec celles-là de manière à faire baisser ces coûts de fabrication qui sont quand même exorbitants ? Pensez donc, 25 à 30 milliards de francs par an rien que pour faire fabriquer des billets de banque, il y avait de quoi pour notre prestigieuse Bceao se doter à tout le moins de sa propre imprimerie ! A moins qu’il ne s’agisse d’autre chose. Il y a dix ans, un vice-gouverneur de la Bceao — chose rarissime — avait confié ses états d’âme au « Témoin », c’est-à-dire à nous-mêmes. Il avait mis les pieds dans le plat en dénonçant une magouille dans, justement, la propension qu’avaient certains dirigeants de la BCEAO — on espère que ça a changé depuis — à renouveler les billets plus que de raison ! Bien évidemment, les retombées de ce juteux marché n’étaient pas perdues pour tout le monde. Inutile de vous dire que ce courageux vice-gouverneur avait même reçu des menaces de mort. Il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas dans notre si respectable Banque centrale !

Ce bel argent dont la France ne veut pas et dont nous avons un si grand besoin !

Le dernier point concerne les avoirs extérieurs de nos Etats dont les 50 % sont obligatoirement logés dans un compte spécial ouvert dans les livres du Trésor français. Voice ce qu’en dit le brillantissime Al Amine Lo :« Aujourd’hui, les réserves de change de l’Uemoa sont à peu près à 12 milliards d’euros, à peu près 7658 milliards de francs CFA. La partie liquide, hors de l’or, c’est un peu plus de 6 milliards de francs CFA. Donc, nous déposons 4 milliards d’euros sur le compte d’opération qui est un compte d’épargne (…). C’est un compte d’épargne qui appartient à la Bceao qui l’utilise quotidiennement. Donc, c’est totalement faux ceux qui disent que c’est un compte qui nous prive de réserves de change (…) La dette française négociable, c’est 1683 milliards d’euros. La réserve de change déposée dans le compte d’opération tourne autour de 4 milliards d’euros. C’est-à-dire 0.02% des besoins de la France. La France n’en a aucunement besoin. » La France n’a pas besoin des 7658 milliards de francs CFA de nos réserves de change ? A la bonne heure, M. Lô ! Dans ce cas, qu’attend-elle donc pour nous les restituer ? Nos économies en ont grandement besoin, elles ! Pour avoir demandé qu’une partie plus importante de ces réserves de change logées au Trésor français puisse être rapatriée afin de financer les économies des pays membres, l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, s’était, entre autres raisons, mis à dos la France. Et pour avoir menacé de sortir de la zone CFA, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, l’avait payé par le bombardement de son palais, les jours qui ont suivi cette menace, par des hélicoptères français de l’opération « Licorne » ! Le pauvre est aujourd’hui incarcéré à la prison de Scheveningen, aux Pays Bas, par la Cour Pénale Internationale, cette juridiction anti-Nègres qui n’a fait incarcérer, depuis qu’elle a été mise en place, que des ressortissants du continent. C’est vrai qu’il y a des choses avec lesquelles le président Nicolas Sarkozy ne plaisante pas ! Voyez-vous, très cher Monsieur Al Aime Lô, la question de notre franc CFA est éminemment complexe, effectivement.

Et ce n’est pas pour rien que le valeureux, intrépide et patriote jeune homme Kémi Séba, qui a eu à brûler un malheureux billet de 5.000 francs CFA, a été expulsé manu militari du Sénégal lors même qu’il avait été blanchi par notre justice. Il y a trois années environ, des margoulins qui avaient entrepris d’introduire quelque trois milliards de francs en faux billets de banque dans les circuits monétaires de nos pays, avaient été arrêtés mais, curieusement, le cerveau présumé de ce trafic n’a jamais été jugé ! Et pourtant, ce trafic était beaucoup plus déstabilisateur pour notre monnaie qu’un simple billet de banque brûlé. Il est vrai que ces trafiquants n’avaient pas commis le « crime » de poser la question de la sortie de nos Etats de l’instrument d’asservissement de nos économies à la France qu’est le Franc CFA ! C’est sans doute pourquoi la BCEAO n’avait pas réagi aussi énergiquement que cette fois-ci.

Après presque six décennies de couardise de leurs pères et aînés, il est heureux de constater que des jeunes gens osent enfin poser le problème de l’utilisation par nos pays du franc Cfa, c’est-à-dire la monnaie de l’ancien colonisateur.

Le véritable débat est là, pas ailleurs et surtout pas dans les objurgations techniques : Est-il normal que, soixante ans après nos indépendances, nous dépendions encore de la France pour notre monnaie ? Et si, pour nos dirigeants et les cadres de la BCEAO la réponse à cette question est « Oui », qu’ils souffrent que, de plus en plus, des Africains élèvent la voix pour dire « Non » !

Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » quotidien sénégalais

 

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