Au moment où s’élabore une quatrième directive anti-blanchiment à Bruxelles, cependant qu’en France les agents de Tracfin rêvent de voir les avocats contraints de dénoncer une infraction initiale, même lorsqu’ils ne prêtent pas la main à une opération qu’ils jugent douteuse, la Cour de Strasbourg vient, avec sagesse, remettre un peu d’ordre.
Elle a été saisie d’une action contre le règlement du Conseil national des barreaux du 12 juillet 2007 qui impose aux avocats la mise en place de procédures internes relatives aux diligences à accomplir lorsqu’une opération paraît susceptible de faire l’objet d’une « déclaration de soupçon ».
Certes, Patrick Michaud, ardent pourfendeur des excès des pouvoirs, n’a pas gagné son procès. Mais il a obtenu davantage pour l’ensemble des avocats.
On se souvient que la troisième directive anti-blanchiment du 26 octobre 2005 prétendait imposer aux avocats de dénoncer directement à la cellule de renseignements financiers de leur État des soupçons qu’ils pouvaient concevoir à l’encontre de leur client, y compris en matière de fraude fiscale, tout en se voyant interdire de l’en informer.
La transposition française de cette directive a pris d’heureuses libertés avec elle : dans la ligne d’un arrêt du Conseil d’État du 10 avril 2008, le filtre du bâtonnier a été consacré comme passage obligé de la déclaration de soupçon. Un avocat n’a pas le droit de s’adresser à Tracfin et Tracfin se voit interdire de solliciter directement l’avocat ou d’utiliser les pièces qu’imprudemment il lui aurait adressées. Dans le même temps, un décret n°2009-874 du 16 juillet 2009 a circonscrit à seize cas les hypothèses de fraude fiscale justifiant une déclaration de soupçon.
Tracfin, pour autant, n’avait pas désarmé puisque, récemment encore, ses agents prétendaient que le bâtonnier ne disposerait d’aucune faculté d’appréciation de la pertinence ou non d’une déclaration de soupçon. Le filtre ne serait qu’une passoire.
Or, si la Cour de Strasbourg estime que l’obligation faite à l’avocat de déclarer un soupçon ne représente pas une atteinte disproportionnée à la nécessité impérieuse du secret, c’est précisément parce que la loi a mis en place un filtre protecteur de ce secret : le bâtonnier. Il ne transmet les déclarations à Tracfin qu’après s’être assuré que les conditions fixées par la loi sont remplies.
Les honorables agents du COLB, comme ceux de Tracfin, sont désormais invités à plus de modestie : aux bâtonniers de jouer pleinement leur rôle et aux avocats de ne s’adresser qu’à eux, à peine de violer leur secret et, dans leur hâte à se faire miliciens fiscaux, à transformer les agents de Tracfin en receleurs.
Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel
Président du Conseil national des barreaux