De même que le bon sens est — ou en tout cas devrait être — la chose au monde la mieux partagée, de même il y a certaines choses qui devraient s’imposer comme des évidences au Sénégal. Et par delà la diversité des chapelles politiques, des centrales syndicales, des confréries et des intérêts catégoriels, il devrait être possible de réaliser un consensus sur elles. On admettra que l’entreprise est difficile dans le seul pays au monde où l’on célèbre trois Korité et où l’on voit autant de lunes que de familles religieuses ! Mais enfin, même en prenant en compte ce fait, à savoir que les Sénégalais sont le peuple le plus compliqué de la planète, on devrait quand même admettre que nul ne devrait être autorisé à toucher un salaire pour un travail qu’il n’a pas effectué ! De même, on ne devrait pas, non plus, poursuivre des études universitaires en payant 5.000 francs cfa seulement par année. En vertu des mêmes principes, il ne devrait pas être possible, parce qu’on est un fonctionnaire appartenant à certains corps auxquels l’Etat est tenu d’accorder un logement, fixer soi-même le standing de sa maison sans tenir compte des possibilités financières de ce même Etat. Ou carrément refuser de libérer les logements que le même Etat a mis à votre disposition, même en échange de substantielles indemnités compensatrices de logement !
On s’étonne que le président de la République ait été contraint de pousser un coup de colère comme il l’a fait en conviant à déjeuner les intellectuels et hommes de culture du pays, à propos de choses qui paraissent aussi évidentes que la nécessité d’augmenter les frais d’inscription des étudiants dans nos universités publiques, la suspension des salaires d’agents de la Fonction publique qui jouent les filles de l’air ou qui sont aux abonnés absents depuis des années s’ils ne sont pas tout simplement fictifs. Ou, enfin, à proposdu refus d’une certaine catégorie de fonctionnaires, les magistrats en particulier, de libérer les logements de fonction qu’ils occupent en application de la décision du président de la République de mettre fin au système des logements conventionnés. Cette politique coûtant cher aux finances publiques et ayant donné lieu à la constitution d’une véritable maffia opérant sur fond d’une opacité extrême, quoi de plus normal pour un Etat cherchant à rationaliser ses ressources que d’y mettre fin faute d’avoir réussi à voir clair dans cette nébuleuse ?
Surtout, est-il concevable qu’aujourd’hui, à l’heure où les frais d’inscription dans la plus minable école privée de quartier dans la ville la plus reculée du Sénégal se monte à des dizaines de milliers de francs, que des étudiants prétendent suivre des cours dans les universités publiques en déboursant seulement 5.000 francs cfa ? C’est de cela qu’il s’agit malheureusement. Alors que l’Etat, donc la collectivité nationale, se saigne à blanc pour offrir des conditions d’études un tant soit peu décentes à nos étudiants — rien que le budget de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar se monte à 22 milliards de francs —, est-il possible, concevable de maintenir des frais d’inscription aussi ridiculement bas ? Bien sûr que non. C’est toute la problématique du bras de fer qui se joue actuellement sur nos campus où les étudiants se livrent à un incroyable vandalisme, un terrorisme inacceptable pour protester contre l’augmentation des frais d’inscription. Une augmentation à laquelle ont pourtant souscrit leurs représentations aux travaux des Concertations nationales sur l’Avenir de l’Enseignement supérieur (CNAES) tenues au mois d’avril dernier à Dakar. Encore que les taux fixés par ces assises — un minimum de 50.000 francs — ont été revus à la baisse par le président de la République lors d’un conseil présidentiel sur l’enseignement supérieur tenu quelques mois plus tard. En gros, nos étudiants, qui portent des chaussures, pantalons et shirts ou chemises griffés valant plusieurs dizaines de milliers de francs, utilisent des téléphones portables coûtant les yeux de la tête, disposent presque tous d’ordinateurs ou de boîtes à musique, prétendent ne pas pouvoir payer des frais de 25.000 francs pour le premier cycle, 40.000 francs pour la licence, 50.000 francs pour la maîtrise et 75.000 francs pour le doctorat. Ce, au prétexte qu’ils sont issus de familles pauvres. A voir pourtant leur accoutrement et leurs gadgets, à considérer leur train de vie également, on ne le dirait pas ! Surtout que, depuis le passage au pouvoir d’un président démagogue nommé Me Abdoulaye Wade, tous ces étudiants sont boursiers ou bénéficient d’une aide gouvernementale annuelle faisant plusieurs fois la somme qui leur est exigée pour leurs inscriptions.
Des chambres à 5.000 francs et des repas à 150 francs !
Dans ces conditions, évidemment, s’ils n’acquittent pas les frais demandés, c’est soit par refus délibéré, soit parce qu’ils obéissent à des mots d’ordre politiques, nos universités étant devenus les champs clos des rivalités des partis politiques, surtout ceux en mal de militants. Il s’y ajoute que la pauvreté n’a jamais empêché un étudiant sénégalais de s’inscrire dans une de nos universités, les bourses étant justement destinées à aider ceux d’entre eux qui sont d’origine modeste. Enfin, du moins c’était ça l’objectif à l’origine, la bourse étant attribuée sur des bases soit d’excellence, soit sociales. Mais voilà que le président Wade est venu les généraliser, faisant du Sénégal, qui fait partie du triste peloton des pays les moins avancés, sans doute le seul Etat au monde à attribuer des bourses à tous ses étudiants, y compris ceux parmi eux qui sont fils de ministres, de députés, de directeurs généraux de sociétés nationales, de cadres du privé etc. C’est sans doute aussi le seul pays où une chambre d’étudiant — enfin, un lit dans une chambre — coûte moins de 5.000 francs par mois, où le petit déjeuner revient à 40 ou 50 francs cfa et les repas de midi et du soir à moins de 150 francs avec entrée, plat de résistance et dessert ! Sans compter qu’au prix dérisoire de location de la chambre, s’attache un droit de consommation illimitée d’électricité ! Conséquence : toutes sortes de commerces fleurissent sur les campus sociaux de nos universités tandis que les appareils électro-ménagers pullulent dans les chambrettes d’étudiants. Il faut préciser que tous les prix mentionnés ci-dessus n’ont pas bougé depuis bientôt cinquante ans !
L’Etat veut-il augmenter ne serait-ce que de quelques dizaines de francs les prix des tickets que les étudiants cassent et brûlent tout, séquestrent des bus s’ils ne les incendient pas, décrètent des mots d’ordre de grève renouvelables à l’infini et barrent les routes longeant leurs campus. C’est ainsi depuis des décennies, ces grands enfants gâtés tiennent en otage la République.
Et si encore ils étudiaient ! Ce n’est pas le cas, hélas. Dans nos universités, et particulièrement à Cheikh Anta Diop de Dakar, le taux d’échec est de 80 % par année, cette moyenne cachant des pics de nullité à 90 % environ dans un dépotoir de cancres comme la faculté des Lettres où ont été remisés près de 40.000 étudiants dont la plupart sont loin d’être des lumières. Au contraire ! L’honneur est sauvé par une faculté comme celle de médecine où le taux de réussite tourne autour de 60 %.
Bien évidemment, tout cela ne peut pas continuer et le gouvernement doit, à défaut de nettoyer les écuries d’Augias que sont devenues nos universités — où, contrairement à la devise de l’Ucad, la lumière n’est certainement plus la loi —, les pousser à participer à l’effort de la collectivité nationale. En augmentant notamment les frais d’inscription à nos différentes facultés. Encore une fois, reconnaissons quand même que ce n’est pas cher payé que de demander à nos étudiants de payer 25.000 francs leurs frais d’inscription afin que de meilleures conditions d’études leurs soient garanties. Surtout que cet argent qu’ils acquittent ne va pas aller au Trésor public mais bien dans les caisses des rectorats des universités. Lesquelles pourront mieux faire face à leurs innombrables charges.
Le refus des étudiants de ces établissements d’enseignement supérieur public est d’autant plus inacceptable qu’à côté, sur la place de Dakar ou dans les grandes villes du pays, fonctionnent des universités ou écoles supérieures privées dont les étudiants payent de 80.000 à 125.000 francs par mois voire davantage. Des mensualités que leurs parents, qui sont souvent des gens sans grands moyens, font le sacrifice de payer, y compris en recourant à l’emprunt bancaire, pour offrir une formation de qualité à leurs enfants. Car l’éducation de qualité n’a pas de prix ! Ne parlons pas des privilégiés inscrits à coups de dizaines de millions de francs dans les établissements huppés de Londres, de Montréal ou dans les grandes universités américaines, là où les meilleures formations se font. N’allons pas trop loin puisque dans la sous-région, en Côte d’Ivoire, les frais d’inscription dans les universités publiques ivoiriennes devaient passer de 6.O00 à 100.000 francs à la dernière rentrée universitaire. Soit quatre fois ce qu’on réclame aux étudiants sénégalais du premier cycle ! Notons aussi qu’il suffit d’aller dans n’importe quel école secondaire privée du Sénégal pour voir à combien s’y montent les frais de scolarité… Au vu de tout cela, est-ce trop demander que de réclamer une hausse modeste des frais d’inscription dans nos universités pour garantir à la grande masse de nos étudiants des conditions d’études un tant soit peu correctes ? Bien sûr que non ! Vingt-cinq mille francs par année, c’est 2500 francs par mois, soit le prix d’une carte téléphonique. Et nos étudiants y trouvent encore à redire ! Bref, cette ligne Maginot des frais d’inscription doit être tenue, quoi qu’il puisse en coûter au gouvernement. L’entretien de nos étudiants, que ce soit sur le plan pédagogique ou au niveau des campus sociaux, pèse déjà suffisamment lourd sur le budget de l’Etat pour qu’il soit permis d’en rajouter. Hélas, le problème c’est que le président de la République est à ce point esseulé dans ce combat, lâché qu’il est par ses propres troupes qui le laissent seul face aux étudiants et à leurs manipulateurs, qu’il est tenté de reculer sur cette réforme fondamentale. Ce qui, à n’en point douter, serait une funeste erreur !
ARTICLE PARU DANS « LE TEMOIN » N°1148 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / JANVIER 2014
Publication en partenariat avec le journal Le Témoin.
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