INTERVIEW

Interview : Mohamed Beavogui, directeur Général de l’African Risk Capacity


Alwihda Info | Par Info Alwihda - 20 Aout 2017


L’ARC est une institution spécialisée de l’UA créée en 2012 et entrée en fonction en 2014. Elle a pour but d’aider les Etats membres à anticiper et répondre à des catastrophes naturelles et à des évènements météorologiques extrêmes.


Le Directeur Général de la Mutuelle Panafricaine de Gestion de Risques (Institution de l’ARC (African Risk Capacity), Mohamed Beavogui, a accordé un entretien exclusif à Alwihda Info lors de sa visite à N’Djamena effectuée du 8 au 9 août dernier. Il a échangé avec des officiels Tchadiens sur des questions relatives à la gestion, à la planification et au financement des risques climatiques. Dans cet entretien, il évoque entre autres les activités de l’institution de l’ARC, l’importance de la valorisation de l’agriculture et les opportunités du Tchad en matière de prévention des risques climatiques. 
 « Nous souhaitons une assistance créatrice d’indépendance technologique, économique et financière pour l’Afrique », selon Mohamed  Beavogui, le Directeur Général de l’ARC

L’ARC est une institution spécialisée de l’Union Africaine créée en 2012. Elle a pour but d’aider les états membres à prévoir et répondre aux risques de catastrophes naturelles et aux évènements météorologiques extrêmes.

Alwihda Info. Quels sont les secteurs d'Intervention de l'ARC ?

Mohamed Beavogui : L’African Risk Capacity (ARC), la mutuelle Panafricaine de Gestion des Risques, a été créée par les chefs d’Etat de l’Union Africaine en 2012 avec pour objectif d’aider les gouvernements à gérer, planifier et financer les risques climatiques. L’institution  a débuté ses activités en 2014 et a commencé ses premières opérations en 2015, date a laquelle sa première filiale financière a été créée : ARC Ltd., une compagnie d’assurance de type mutualiste, appartenant aux états membres.

Quelle est l’importance de l’assurance de l’ARC pour paramétrer les risques ?

L’objectif de l’ARC est d’aider le gouvernement à gérer, planifier et financer les risques météorologiques. Pour se faire, nous avons élaboré un processus qui va de la sensibilisation à l’assistance technique aux gouvernements, leur permettant de définir leur profil de risque. Lorsque que cette étape de personnalisation terminée, l’ARC travaille avec les gouvernements à travers un programme de renforcement de capacité pour permettre par la suite la mise en place d’un mécanisme de prévention et de réponse en cas de catastrophe. Parmi ces mécanismes de réponse, nous avons notamment le plan de contingence financé par les budgets nationaux et la partie qui ne peut être couverte par les capacités internes du pays est transférée sur le marché de l’assurance.  Ainsi, l’assurance offerte par la filiale ARC Ltd. est donc un complément nécessaire parmi les outils disponibles pour la gestion des risques climatiques.

En mai 2016, lors de la conférence annuelle de la Banque Africaine de Développement, le Président tchadien avait appelé les Etats africains à se joindre en masse à l'ARC. Son appel a-t-il été entendu ?

Absolument. Son appel a été entendu. Je peux vous dire par exemple que dès qu'il a lancé son appel, plusieurs états ont signé la convention à Addis-Abeba, des pays comme la Zambie et d’autres.

Aujourd’hui, nous comptons 32 pays parmi les 54 pays qui ont signé le traité. Aussi, au niveau de la ratification, nous sommes passés pratiquement de 1 à 7 en l’espace de quelques mois. L’appel du président Idriss Deby Itno a été très bien entendu ; il a bien expliqué qu’un état ne peut pas prétendre à un développement durable et une croissance soutenue sans mettre un accent particulier sur la prévention des risques.

Malgré les avancées technologiques, l'Afrique n'exploite pas correctement ses terres. Comment inciter les pays à recentrer leurs objectifs sur l'agriculture et freiner les importations ?

Vous savez, beaucoup d'efforts sont faits pour développer l'agriculture. Si vous analysez le programme de développement de tous les pays et mêmes des partis politiques, y compris ceux de l’opposition, vous réaliserez qu’en Afrique, l’agriculture occupe une place prépondérante et très souvent la première place. Tout simplement parce que l’Afrique compte au moins 60% de la population vivant en milieu rural et de l’agriculture locale.

En effet, les statistiques indiquent que 80% de la nourriture consommée en Afrique est produite par les africains, raison pour laquelle des efforts sont réalisés de façon sérieuse. Cependant, ces efforts doivent tenir compte des réalités en matière de financement, des besoins technologiques, des besoins organisationnels, et surtout en matière de gestion des risques.

Ces risques, liés au climat, entrainent des pertes de production post-agricole, et même avant la croissance des plantes. Vous avez surement constaté que la sècheresse s’accélère, les inondations sont plus accentuées ; ces aspects ne sont pas pris en compte, ce qui fait que l’agriculture africaine arrive difficilement à répondre aux besoins de nos populations. 
  
En tant qu'expert en finance agricole, pensez-vous que l'amplification de l'exploitation des terres peut aujourd'hui sauver le continent de la dépendance à l'or noir ?

Mais absolument. Quand vous êtes dans un pays où la majorité de votre population vit dans un secteur dépendant de l’agriculture, vous ne pouvez pas l’ignorer. L’agriculture, vous le savez, est aussi créatrice d’emploi. Elle a le potentiel non seulement de créer de la richesse locale mais de créer des ressources d’exploitation. Or, il se trouve que malgré les efforts, les politiques publiques parfois ne suivent pas.

Il a été démontré qu’en se concentrant sur l’agriculture de façon systématique et organisée, il est possible effectivement de créer de la richesse qui est re-distributive. L’agriculture emploie les 2/3 de la population et contribue au moins à 30% du Produit Intérieur Brut (PIB).

Une mine crée des emplois limités et les ressources vont généralement dans un fond centralisé. Le processus de redistribution au niveau de la population est beaucoup plus complexe. Or, dans le secteur de l’agriculture, ce processus de redistribution est direct.

Comment analysez-vous les défis du Tchad en matière de prévention de catastrophe naturelle ?

Le Tchad vient de signer le traité de l’ARC et l’a ratifié, il y a à peine un mois. Je pense que c’est la preuve que le gouvernement tchadien se soucie de la gestion des risques climatiques. Vous l’avez dit, le président du Tchad a lancé un appel à l’Afrique toute entière en tant que président en exercice de l’Union Africaine pour que les africains rejoignent l’ARC et qu’ensemble, dans un esprit de solidarité, l’on puisse se prémunir des risques liés au climat.

J’ai eu la chance à mon arrivée de rencontrer le ministre du plan, le président de l’assemblée nationale et le ministre des affaires étrangères. Tous nous ont confirmé l’importance pour un pays du Sahel comme le Tchad de trouver des solutions qui augmenteraient la résilience de sa population.

Vous comptabilisez plus de 25 ans d'expérience internationale dans le domaine du développement. Que répondez-vous pour rassurer ceux qui pourraient penser que l'ARC n'est qu'une institution parmi tant d'autres qui serait plus budgétivore que bénéfique pour le continent ?

L’ARC est une institution entièrement africaine, née il y a à peine 3 ans et qui a réussi en l’espace de 2 ans à payer 35 millions de dollars de débours aux Etats membres faisant face à des situations de crises dues à la sécheresse. Le Sénégal, la Mauritanie, le Niger et le Malawi ont bénéficié ces deux années successives de paiement. 

Je crois que c’est une preuve que l’ARC est là pour effectivement contribuer à la résilience africaine. Nous n’en sommes qu’à nos premiers pas. Nous devons nous développer nous-même tout en renforçant notre assistance aux Etats africains. Une assistance que nous voulons créatrice d’indépendance technologique, économique et financière. L’ARC a fait ses preuves. Aujourd’hui, il s’agit d’aller plus vite, d’accélérer le processus et d’avoir plus de membres. Car étant nombreux, la solidarité marche toujours mieux et elle coûte moins chère. 

Vous avez notamment rencontré Moussa Faki, le Président de la Commission de l'Union Africaine en début d'année lors du sommet d'Addis-Abeba. Il n'a pas caché son engouement à la mission de l'ARC, l'aspect préventif pour réagir efficacement et mettre fin à l'aide alimentaire. Comment comptez-vous travailler ensemble pour les prochaines années ?

Nous sommes une agence spécialisée de l’Union Africaine, donc de ce fait un instrument de l’Union Africaine. Chaque année, nous rendons compte aux chefs d’Etats de l’UA à travers le comité exécutif, ainsi qu’au président de commission, Moussa Faki. 

Dès son élection, nous l’avons rencontré et il a expliqué la position qu’il voudrait que l’ARC occupe d’un côté en matière d’alerte, y compris pour la sécurité du continent au travers de plans de contingence, de propositions de réponse concrète en cas de catastrophe,  mais surtout en matière de financement. Nous comptons organiser une autre rencontre et présenter les résultats et le plan pour les prochaines années à l’ensemble des commissaires de l’UA, de manière à renforcer notre collaboration.

Êtes-vous satisfait de vos rencontres avec les officiels tchadiens à l'issue de votre déplacement ?

Absolument, je suis très satisfait dans la mesure où j’ai senti que la mission de l’ARC est comprise et appréciée. Tous les officiels que j’ai rencontrés indiquent clairement que l’une des solutions qu’ils recherchent  est de pouvoir travailler avec l’ARC afin de résoudre les difficultés provoquées par la sécheresse dans ce pays chaque année. 

Propos recueillis par Djimet Wiche. 

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