Par Bernard Schmid, enseignant en droit et Fayçal Megherbi, avocat
Vue aérienne de la «Jungle» de Calais, le 8 octobre. Photo Denis Charlet. AFP
Une question de légalité se pose concernant l’utilisation massive de l’enfermement administratif en vue d’éloigner des personnes… non pas de son territoire, mais juste à quelques centaines de kilomètres de l’ « épicentre » des événements autour de Calais.
Il est notoire que les migrants se trouvant dans la « jungle » de Calais, majoritairement issus de pays gouvernés par d’atroces dictatures (l’Erythrée aussi connue sous le sobriquet de « Corée du Nord de l’Afrique ») et/ou plongés dans d’horribles guerres (Syrie, Iraq, Afghanistan), auraient de bonnes chances de faire valoir un droit de protection sur le sol français. Même en l’état actuel du droit d’asile, plutôt restrictif. Pour une raison ou pour une autre – existence de liens familiaux ou communautaires au Royaume Uni, maîtrise de la langue anglaise et non pas française, connaissance d’un traitement considéré comme négatif des demandeurs d’asile en France, ou encore l’ouverture supposée du marché du travail britannique -, ces personnes souhaitent faire valoir leur droit à protection sur le sol britannique et non français. On pourrait croire que l’Etat français n’aura pas à s’en plaindre : alors qu’il considère déjà aujourd’hui l’afflux (modeste) de réfugiés comme excessif, il n’aura pas à leur offrir une protection ; en attendant, s’ils la demandaient, les individus en question auraient de solides chances de l’obtenir. Or, ce même Etat français s’est lié, pour des raisons purement politiques, par l ‘accord du Touquet – conclu en 2003 entre les ministres de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy et Jack Straw – avec le Royaume Uni, s’engageant à jouer les garde-frontières externalisés pour le compte de ce dernier Etat. A l’instar du rôle que, par exemple, l’Union européenne fait jouer au royaume du Maroc ou qu’elle entend faire jouer actuellement à la République de Turquie, en ce qui concerne les flux migratoires d’Afrique subsaharienne dans le premier et les réfugiés du Moyen Orient dans le second cas.
Au mois d’octobre 2015, des interpellations massives ont ciblé, dans l’aire urbaine de Calais, des migrants y séjournant pour attendre l’opportunité d’un passage en Angleterre. Plusieurs centaines de personnes ont été réparties sur les CRA (Centres de rétention administrative) parfois les plus éloignés possibles sur le territoire français : à Toulouse, à Nîmes…
Un Juge des libertés et de la détention (JLD), celui de Nîmes, a ainsi considéré que la mesure de placement en CRA constituait en occurrence « une privation illégale de liberté ». Ceci dans la mesure où « le placement en rétention d’un étranger ne peut être effectué (…) que pour permettre la reconduite de celui-ci hors du territoire national, (…) qu’un placement en rétention ne peut être utilisé dans le seul but de déplacer l’étranger d’un point du territorial national à un autre point du territoire national ».
Or, un renvoi de l’étranger concerné hors du territoire national n’est pas envisageable, dès lors qu’il s’agirait par exemple du renvoi d’un ressortissant syrien vers son pays d’origine, dans la situation actuelle.
A son tour, une Autorité administrative indépendante, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a critiqué à son tour, par un avis publié le 02 décembre 2015 au Journal Officiel, l’utilisation de la rétention administrative – dans des points du territoire éloignés de Calais – auxdites fins.
Le CGLPL observe ainsi que cette mesure prive les personnes de plusieurs droits fondamentaux : celui au maintien de liens familiaux avec des membres de la famille (dont des mineurs désormais isolés) restés à Calais, celui à un recours judiciaire effectif. Les personnes déplacées collectivement hors de Calais ayant été privées d’un accès suffisant à l’information sur leurs droits, les procédures à leur encontre étant par ailleurs « non personnalisées » et basées sur des « actes stéréotypés ».
L’autorité administrative indépendante ajoute : « Le CGLPL observe que les pays d’origine de la majorité des personnes déplacées sont particulièrement sensibles : Syrie, Afghanistan, Irak, Erythrée et Soudan. Or, compte tenu des risques encourus pour leur intégrité physique en cas de retour, nombre de ces personnes ne peuvent, en pratique, y être reconduites. »
Depuis lors, l’Administration française a modifié da pratique. Elle a renoncé à envoyer de force les migrants concernés depuis Calais dans des points éloignés du territoire français ; elle tente de les convaincre de s’y rendre volontairement. Les individus concernés y sont attraits sous la promesse de séjourner, pour une durée d’un à trois mois, dans des « Centres de répit » ou encore des « Centres d’accueil et d’orientation » (CAO). Ils sont censés y être orienté, soit vers un « retour volontaire » au pays d’origine, soit vers le dépôt d’une demande d’asile sur le sol français. A conditionner de renoncer à tout passage aux îles britanniques…
Or, plusieurs observations s’imposent. Tout d’abord, les « centres » ouverts l’ont été à titre très provisoire : majoritairement, il s’agit de centres touristiques, que l’Etat a la ferme volonté de rouvrir à leur destination originelle dès le début de la saison touristique. Deuxièmement, l’ « orientation » proposée est censée respecter la volonté individuelle des premiers concernés, qui seraient libres d’en repartir à leur guise, selon la décision qu’ils auront prise. Or, visiblement, cette promesse ne s’applique pas aux personnes migrantes qui seraient concernées par l’application de la convention « Dublin III », qui oblige toute personne souhaitant demander l’asile à déposer sa demande dans le premier pays où (par le hasard de la géographie) elle a foulé le sol de l’Union européenne. Un règlement qui est actuellement extrêmement contesté, par exemple par les autorités grecques (considérant qu’elles n’ont pas les moyens de jouer le « garde-migrants » pour l’ensemble de l’Union), et qui fait l’objet d’âpres négociations – jusqu’ici infructueuses – en vue d’une autre répartition des migrants, à l’échelle de l’Union européenne.
Alors que le système conventionnel « Dublin III » bat manifestement de l’aile, l’Administration française cherche à exécuter de force des renvois de type « Dublin », à l’encontre de migrants ayant volontairement accepté le déplacement depuis Calais…
dans des points du territoire national où ils sont plus isolés, et coupés de leurs soutiens mobilisés autour de Calais. Ainsi plusieurs ressortissants soudanais ont-ils été assignés à résidence, dans le département de la Haute-Garonne, en vue d’exécuter un renvoi sur la base de la convention « Dublin III » à leur encontre.
Qu’il soit présenté comme « volontaire » ou non, l’éloignement de Calais ne se fait donc pas, la plupart du temps, dans des conditions respectant ni la volonté ni les droits fondamentaux des personnes.
Il est notoire que les migrants se trouvant dans la « jungle » de Calais, majoritairement issus de pays gouvernés par d’atroces dictatures (l’Erythrée aussi connue sous le sobriquet de « Corée du Nord de l’Afrique ») et/ou plongés dans d’horribles guerres (Syrie, Iraq, Afghanistan), auraient de bonnes chances de faire valoir un droit de protection sur le sol français. Même en l’état actuel du droit d’asile, plutôt restrictif. Pour une raison ou pour une autre – existence de liens familiaux ou communautaires au Royaume Uni, maîtrise de la langue anglaise et non pas française, connaissance d’un traitement considéré comme négatif des demandeurs d’asile en France, ou encore l’ouverture supposée du marché du travail britannique -, ces personnes souhaitent faire valoir leur droit à protection sur le sol britannique et non français. On pourrait croire que l’Etat français n’aura pas à s’en plaindre : alors qu’il considère déjà aujourd’hui l’afflux (modeste) de réfugiés comme excessif, il n’aura pas à leur offrir une protection ; en attendant, s’ils la demandaient, les individus en question auraient de solides chances de l’obtenir. Or, ce même Etat français s’est lié, pour des raisons purement politiques, par l ‘accord du Touquet – conclu en 2003 entre les ministres de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy et Jack Straw – avec le Royaume Uni, s’engageant à jouer les garde-frontières externalisés pour le compte de ce dernier Etat. A l’instar du rôle que, par exemple, l’Union européenne fait jouer au royaume du Maroc ou qu’elle entend faire jouer actuellement à la République de Turquie, en ce qui concerne les flux migratoires d’Afrique subsaharienne dans le premier et les réfugiés du Moyen Orient dans le second cas.
Au mois d’octobre 2015, des interpellations massives ont ciblé, dans l’aire urbaine de Calais, des migrants y séjournant pour attendre l’opportunité d’un passage en Angleterre. Plusieurs centaines de personnes ont été réparties sur les CRA (Centres de rétention administrative) parfois les plus éloignés possibles sur le territoire français : à Toulouse, à Nîmes…
Un Juge des libertés et de la détention (JLD), celui de Nîmes, a ainsi considéré que la mesure de placement en CRA constituait en occurrence « une privation illégale de liberté ». Ceci dans la mesure où « le placement en rétention d’un étranger ne peut être effectué (…) que pour permettre la reconduite de celui-ci hors du territoire national, (…) qu’un placement en rétention ne peut être utilisé dans le seul but de déplacer l’étranger d’un point du territorial national à un autre point du territoire national ».
Or, un renvoi de l’étranger concerné hors du territoire national n’est pas envisageable, dès lors qu’il s’agirait par exemple du renvoi d’un ressortissant syrien vers son pays d’origine, dans la situation actuelle.
A son tour, une Autorité administrative indépendante, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a critiqué à son tour, par un avis publié le 02 décembre 2015 au Journal Officiel, l’utilisation de la rétention administrative – dans des points du territoire éloignés de Calais – auxdites fins.
Le CGLPL observe ainsi que cette mesure prive les personnes de plusieurs droits fondamentaux : celui au maintien de liens familiaux avec des membres de la famille (dont des mineurs désormais isolés) restés à Calais, celui à un recours judiciaire effectif. Les personnes déplacées collectivement hors de Calais ayant été privées d’un accès suffisant à l’information sur leurs droits, les procédures à leur encontre étant par ailleurs « non personnalisées » et basées sur des « actes stéréotypés ».
L’autorité administrative indépendante ajoute : « Le CGLPL observe que les pays d’origine de la majorité des personnes déplacées sont particulièrement sensibles : Syrie, Afghanistan, Irak, Erythrée et Soudan. Or, compte tenu des risques encourus pour leur intégrité physique en cas de retour, nombre de ces personnes ne peuvent, en pratique, y être reconduites. »
Depuis lors, l’Administration française a modifié da pratique. Elle a renoncé à envoyer de force les migrants concernés depuis Calais dans des points éloignés du territoire français ; elle tente de les convaincre de s’y rendre volontairement. Les individus concernés y sont attraits sous la promesse de séjourner, pour une durée d’un à trois mois, dans des « Centres de répit » ou encore des « Centres d’accueil et d’orientation » (CAO). Ils sont censés y être orienté, soit vers un « retour volontaire » au pays d’origine, soit vers le dépôt d’une demande d’asile sur le sol français. A conditionner de renoncer à tout passage aux îles britanniques…
Or, plusieurs observations s’imposent. Tout d’abord, les « centres » ouverts l’ont été à titre très provisoire : majoritairement, il s’agit de centres touristiques, que l’Etat a la ferme volonté de rouvrir à leur destination originelle dès le début de la saison touristique. Deuxièmement, l’ « orientation » proposée est censée respecter la volonté individuelle des premiers concernés, qui seraient libres d’en repartir à leur guise, selon la décision qu’ils auront prise. Or, visiblement, cette promesse ne s’applique pas aux personnes migrantes qui seraient concernées par l’application de la convention « Dublin III », qui oblige toute personne souhaitant demander l’asile à déposer sa demande dans le premier pays où (par le hasard de la géographie) elle a foulé le sol de l’Union européenne. Un règlement qui est actuellement extrêmement contesté, par exemple par les autorités grecques (considérant qu’elles n’ont pas les moyens de jouer le « garde-migrants » pour l’ensemble de l’Union), et qui fait l’objet d’âpres négociations – jusqu’ici infructueuses – en vue d’une autre répartition des migrants, à l’échelle de l’Union européenne.
Alors que le système conventionnel « Dublin III » bat manifestement de l’aile, l’Administration française cherche à exécuter de force des renvois de type « Dublin », à l’encontre de migrants ayant volontairement accepté le déplacement depuis Calais…
dans des points du territoire national où ils sont plus isolés, et coupés de leurs soutiens mobilisés autour de Calais. Ainsi plusieurs ressortissants soudanais ont-ils été assignés à résidence, dans le département de la Haute-Garonne, en vue d’exécuter un renvoi sur la base de la convention « Dublin III » à leur encontre.
Qu’il soit présenté comme « volontaire » ou non, l’éloignement de Calais ne se fait donc pas, la plupart du temps, dans des conditions respectant ni la volonté ni les droits fondamentaux des personnes.