L'AFRIQUE CENTRALE, BERCEAU DU SIDA
Un livre de Stéphane Smith bourré de poncifs négrophobes et intitulé Négrologie avait défrayé la chronique en son temps. Parmi ses thèmes, le sida, maladie qui a pris naissance au sein de la communauté homosexuelle américaine était décrété mal africain apparu sur le continent africain.
Ce gros mensonge récompensé par le prix France Télévision Essais 2004, est symptomatique de la démarche de certains folliculaires et chercheurs en mal de renommée. N'importe qui peut se lever un matin et, le soir même, démontrer n'importe quoi sur l'Afrique.
1. L'AUBERGE ESPAGNOLE
L'Afrique qui a énormément besoin de scientifiques ne les forme plus guère. Ses universités dépérissent. Elles ne sont plus des temples du savoir mais des écoles de conflits, des officines où l'on enseigne la corruption. Leur indigence crève les yeux : madame Samba Panza à l'université de Bangui s'est obligée à marcher sur un tapis rouge pour ne pas patauger dans la gadoue. Pieds présidentiels obligent.
Tant que l'Afrique n'aura pas formé ses propres scientifiques, elle continuera de mériter les libelles négationnistes, les ouvrages pseudo-scientifiques et les documentaires sujets à caution comme celui diffusé le premier décembre à neuf heures moins cinq par Arte, la chaîne de télévision franco-allemande à vocation culturelle. Ce documentaire scientifique, l'objet de mon propos, a été conçu pour illustrer une théorie sur l'origine du VIH, la théorie dite >. Selon cette théorie, le VIS, virus simien de l'immunodéficience aurait été transmis à l'homme à la suite d'une morsure ou d'une simple écorchure lors du dépeçage d'un chimpanzé infecté. C'est donc pour asseoir cette hypothèse sur des bases solides que le médecin belge Dirk Teuwen est retourné au Congo Kinshasa.
2. LE VIRUS VENU DU CAMEROUN
Depuis 1960 au Congo, les laboratoires d'anatomopathologie ont coutume de prélever sur des personnes décédées des tissus qu'ils conservent dans de la paraffine. Si le docteur Teuwen parvenait à trouver des échantillons de ces prélèvements, il pourrait y rechercher des traces de VIH.
Il commence ses recherches par Kinshasa, les poursuit à Mbaza Ngungu où il ne trouve rien, avant de revenir trouver dans les rebuts d'un débarras inondé plusieurs milliers des cas ressemblant au sida. D'autre part, et toujours selon le docteur, les chercheurs congolais à court de paraffine ont l'habitude de fondre les anciens échantillons pour y conserver de nouveaux tissus.
2. Dans sa quête du VIH et du VIS, le virus simien correspondant, le chercheur belge ne va pas au-delà de Mbanza Ngungu. On peut, de prime abord, penser qu'il ne pouvait pas trouver en province des prélèvements que les grands laboratoires de Kinshasa avaient mis au rebut. Je pense qu'il a volontairement éviter les villes de province, surtout Stanleyville, l'actuelle Kisangani, pour ne pas aborder la question du plus grand laboratoire du pays, construit dans les années cinquante, et aujourd'hui désaffecté. Une question de nature à ruiner sa démonstration. Mais n'allons pas trop vite. Revenons plutôt au documentaire.
Le docteur Teuwen envoie quatre cents de ses échantillons à Mickaël Worobey en Arizona. Ce biologiste américain de l'évolution va les analyser pendant plusieurs mois avant de révéler que trois d'entre eux sont >. Il en conclut qu'une épidémie de sida était en cours à Kinshasa en 1960. D'où venait le virus ? D'un chimpanzé. De quelle région de la planète ? De l'est du Cameroun, de la région de la Sangha. Le virus étant localisé, il restait tout de même au docteur Teuwen à démontrer comment un virus venu du fin fond de la forêt camerounaise a pu provoquer à Kinshasa une épidémie dont personne n'a soupçonné l'existence et, dans le milieu homosexuel américain, une nouvelle maladie, le sida.
C'est ici que le chercheur fait intervenir la colonisation, tragédie qui aurait occulté le sida et grandement contribué à sa propagation. Le documentaire appelle alors en renfort Cathérine Coquery Vidrovitch. Mais l'historienne se contente de rappeler l'arrivée des Blancs au dix-neuvième siècle, le travail forcé, le portage et certaines épidémies comme la maladie du sommeil qui sévissait en 1908, l'année de l'apparition du sida, selon Worobey.
Le docteur Teuwen revient alors sur chacun de ces fléaux pour expliquer comment il a propagé le sida. La vaccination contre la maladie du sommeil a dû être un grand vecteur de VIH : des seringues > servaient à vacciner des milliers de personnes. La syphilis apportée par les Blancs faisait rage et augmentait >le risque de contamination par VIH.
Ces extrapolations hasardeuses ne sont pas des preuves scientifiques. Un fléau aussi contagieux que ravageur comme le sida ne pouvait pendant plus de soixante ans passer inaperçu. Ce qui est passé presque inaperçu, c'est le bilan effarant de l'exploitation du Congo par Léopold II. Adam Hochschild l'estime à dix millions de morts. Mais dix millions est une moyenne, les estimations se situant généralement entre trois millions et trente millions. Pourquoi le rappeler ici ? Parce que Worobey et Teuwen font coïncider l'année de l'apparition du sida selon eux avec celle de la cession du Congo à la Belgique. Ainsi donc, ces deux chercheurs font se succéder dans le temps et sur un même pays, deux fléaux exterminateurs. Si tel avait été le cas, le Congo serait aujourd'hui exsangue.
En réalité, dans la bataille qui oppose les spécialistes du sida sur l'origine de la maladie, 1908 a un avantage : elle rend caduque la théorie du vaccin et détourne le regard du Congo.
Les pygmées camerounais, grands chasseurs de chimpanzés, qu'on voit dans le documentaire, et qui n'ont jamais connu le sida dans leur habitat, sont un démenti formel à la théorie du chasseur de viande de brousse. Mais parler du Cameroun détourne le regard du Congo.
Le docteur Teuwen a explicitement reconnu qu'un virus pouvait être transmis lors d'une vaccination. Mais alors pourquoi a-t-il refusé d'aborder dans son documentaire la deuxième hypothèse de l'origine du sida ?
3. LA THEORIE ALTERNATIVE
Elle met en cause Hilary Koprowski, l'un des découvreurs du vaccin antipoliomyélitique.
Dans les années cinquante, trois chercheurs ont mis au point trois vaccins contre la poliomyélite. Ils se nommaient Salk, Sabin et Koprowski. Ce dernier sans autorisation aucune, teste son vaccin sur les enfants américains. On lui coupe les subsides ; on le condamne. Seul le vaccin Salk est alors autorisé aux Etats-Unis. Celui de Sabin se met sous le patronage de l'OMS pour immuniser quatre-vingt millions de personnes contre la polio.
Privé de subventions publiques, Koprowski se fait financer par le privé. Qui dit privé dit retour sur investissement. Or le vaccin du chercheur polonais n'avait aucune chance d'être autorisé aux USA. Koprowski se tourne alors vers la Belgique qui l'autorise, malgré les protestations de l'OMS, à tester son vaccin au Congo, au Burundi et au Rwanda. Un million de personnes seront vaccinées dans ces pays, de 1958 à 1960.
Il faut préciser, et cela a son importance, qu'aucun des trois vaccins antipolio des années cinquante n'était exempt de virus, même pas celui de Sabin, que les Américains préféreront au début des années soixante à celui de Salk, contaminé par un virus cancérigène.
On soupçonne le vaccin Chat de Koprowski d'être à l'origine du sida au Congo Kinshasa. Il était fabriqué à base de reins de chimpanzés, les porteurs du VIS, le virus simien de l'immunodéficience.
L'alerte est donnée dès 1958 par Sabin, qui informe Koprowski, que son vaccin est contaminé par un virus. Le chercheur polonais le prend de haut. Sabin met fin à leurs relations.
4. UN SAVANT MENTEUR
Koprowski était encore vivant quand ses campagnes de vaccination au Congo furent incriminées. Dans un documentaire de la RTBF( Radio Télévision Belge Francophone), sur les origines du sida, on lui demande s'il avait, dans les années cinquante, utilisé des chimpanzés pour fabriquer son vaccin Chat. Il répond par la négative. Malheureusement pour lui, ses collaborateurs congolais des années cinquante sont encore vivants. Et ils sont unanimes : le laboratoire de Stanleyville où venait travailler Koprowski utilisait bien les reins de chimpanzés pour fabriquer le vaccin antipolio. Le Belge Dopagne qui a travaillé dans le même laboratoire abonde dans le même sens. C'est évident, dit-il, que le chimpanzé est intervenu dans la fabrication du vaccin antipolio. Un autre Belge, Vandepitte, reconnaît qu'une chimpanzerie appartenait bien au laboratoire de Stanleyville, mais prétend n'avoir pas eu connaissance >. A quoi donc pouvait servir la ménagerie du laboratoire de Stanleyville ?
En dépit de ses mensonges, Koprowski est soutenu par la communauté scientifique. En dépit de l'alerte de Sabin, des protestations de l'OMS et de la méfiance des Américains vis-à-vis du vaccin Chat qu'ils n'utiliseront jamais.
Pour défendre sérieusement Koprowski, il faudra trouver une autre théorie que celle > que le chercheur polonais a contribué à balancer comme un écran de fumée.
GBANDI Anatole