Ilyes Zouari - Président du CERMF (Centre d'étude et de réflexion sur le Monde francophone)
Selon les données fournies par la Banque mondiale dans son rapport « Perspectives économiques mondiales », publié en janvier dernier, l’Afrique subsaharienne francophone a réalisé les meilleures performances du continent pour la huitième année consécutive et la neuvième fois en dix ans. Et ce, bien qu’étant la partie du continent ayant le mieux résisté à la grave crise internationale observée en 2020. Cet ensemble de 22 pays a ainsi enregistré une croissance globale de 3,9 %, tandis que le reste de l’Afrique subsaharienne enregistrait un taux de 3,1 % * (et 3,8 % pour la région Afrique du Nord, hors Libye). Du côté de la dette publique, et selon les dernières données du FMI, l’Afrique subsaharienne francophone continue à maîtriser son niveau d’endettement, et demeure la partie la moins endettée du continent, notamment avec un écart de 12,9 points de pourcentage avec le reste de l’Afrique subsaharienne.
Une croissance globale de 3,9 %
L’activité économique en Afrique subsaharienne francophone a donc connu un important rebond par rapport à 2020, année particulièrement marquée par la pandémie et au terme de laquelle elle s’était globalement contractée de 0,6 %. Cette même année, la baisse du PIB avait été de 3,0 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Il est ainsi à noter que la contraction de l’activité dans ces deux ensembles a donc été moins forte qu’annoncé début 2021, et particulièrement en Afrique francophone subsaharienne où la baisse du PIB avait été initialement estimée à 2,1 % par la Banque mondiale (et à 4,3 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne).
En zone CFA, qui regroupe 13 des 22 pays francophones (dont la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole et partiellement francophone), ainsi que la Guinée Bissau (lusophone et ancienne colonie portugaise), et qui rassemble 54 % de la population de l’Afrique francophone subsaharienne (et 43 % de celle de l’Afrique francophone), la croissance est passée de 0,1 % en 2020 à 4,1 % en 2021. Dans cette zone, l’espace UEMOA continue à se distinguer avec une évolution globale de 5,6 % en 2021, confirmant ainsi son statut de plus vaste espace de forte croissance du continent, alors même qu’il n’en est pas la partie la plus pauvre. Pour sa part, l’espace CEMAC a de nouveau fait baisser la moyenne globale de la croissance économique de la zone CFA, suite aux résultats affichés par deux des trois pays les plus dépendants des hydrocarbures.
En Afrique subsaharienne non francophone, la Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Angola et l’Éthiopie, quatre des principales économies de la zone, ont connu d’importantes difficultés en 2021. Les trois premiers pays continuent à souffrir des graves problèmes structurels auxquels ils doivent faire face depuis plusieurs années, avec notamment le déclin progressif de leur très importante production pétrolière (pour le Nigeria et l’Angola, respectivement premier et deuxième producteur d’hydrocarbures d’Afrique subsaharienne), ou minière (cas de l’Afrique du Sud, avec la baisse de la production d’or, dont le pays est désormais le second producteur du continent, après le Ghana). Ainsi, le rebond observé en Angola et en Afrique du Sud n’a guère permis de combler l’importante baisse du PIB enregistrée un an plus tôt, tandis que le rebond observé au Nigeria ne permit au pays que d’atteindre un taux de croissance annuel de 0,3 % sur les deux années 2020 et 2021. Quant à l’Éthiopie, la croissance n’a été que de 2,4 % dans ce pays affecté par une guerre civile ayant déjà fait quelques dizaines de milliers de morts en seulement 15 mois.
Pour le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola, ce manque de dynamisme semble durablement installé selon les prévisions de la Banque mondiale, qui continue de tabler sur de faibles croissances au cours des quelques années à venir, au moins. Ces trois pays sont donc en voie d’appauvrissement, puisqu’ils affichent désormais constamment des taux de croissance inférieurs à leur croissance démographique (contrairement aux pays francophones qui leur sont proches). À titre d’exemple, au Nigeria, qui enregistre les taux de croissance économique les plus élevés de ces trois pays, la hausse du PIB n’a été que de 0,9 % en moyenne annuelle sur les sept dernières années (2015-2021), contre une croissance démographique annuelle de 2,5 % en moyenne sur la même période. Par ailleurs, le Nigeria et l’Angola ont connu une importante dépréciation de leur monnaie, dont la valeur a baissé de plus de 60 % et 80 %, respectivement, par rapport au dollar depuis 2014. Avec à la clé une forte inflation et le maintien d’une forte dollarisation de leur économie (utilisation du dollar pour une partie importante des transactions, par refus de la monnaie locale considérée comme risquée).
Sur la décennie 2012-2021, la croissance annuelle de l’Afrique subsaharienne francophone s’est donc établie à 3,6 % en moyenne (et à 4,1 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale). Ce taux a été de 2,2 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Quant aux quatre premières économies de l’Afrique subsaharienne francophone, à savoir la Côte d’Ivoire, la RDC, le Cameroun et le Sénégal, celles-ci ont respectivement enregistré une croissance annuelle de 7,1 %, 5,3 %, 4,1 % et 4,9 % en moyenne. De leur côté, les quatre premières économies du reste de l’Afrique subsaharienne, à savoir le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et le Kenya, ont respectivement connu une progression annuelle de 2,3 %, 0,9 %, 8,3 % et 4,2 %. Quant à l’Angola, qui faisait partie des quatre premières économies avant d’être remplacée par l’Éthiopie en 2019, et de rétrograder ensuite à la septième place, celle-ci a enregistré une croissance annuelle de 0,8 % sur cette même décennie.
En Afrique de l’Ouest
Après être parvenue à réaliser une croissance globalement positive en 2020 (1,8 %), l’Afrique de l’Ouest francophone a affiché une croissance de 5,4 % en 2021. Pour sa part, la zone UEMOA, qui en recouvre la majeure partie (et qui est composée de huit pays, dont la lusophone, mais très francophonophile, Guinée-Bissau) a vu son PIB augmenter de 5,6 % (après une évolution positive de 1,7 % en 2020). Avec une croissance annuelle de 5,7 % en moyenne sur la décennie 2012-2021, l’espace UEMOA conforte ainsi son statut de plus vaste zone de forte croissance du continent, en dépit des problèmes sécuritaires connus par certains des pays membres, mais n’affectant surtout que des zones semi-arides et très faiblement peuplées. Hors UEMOA, la Guinée et la Mauritanie ont respectivement affiché un taux de croissance de 5,2 % et 2,7 %.
Il convient de souligner que le statut de zone la plus dynamique du continent constitue une très bonne performance pour l’UEMOA, vu que la région la plus pauvre du continent, et qui devrait donc connaître la croissance la plus élevée, est l’Afrique de l’Est. Ainsi, à titre d’exemple, et hors Djibouti, seul un pays d’Afrique de l’Est continentale affichait début 2021 un PIB par habitant dépassant clairement la barre des 1 000 dollars, à savoir le Kenya (1 879 dollars, suivi loin derrière par la Tanzanie, 1 076 dollars, selon les dernières données disponibles auprès de la Banque mondiale). À la même date, trois pays francophones de l’espace UEMOA dépassaient clairement ce seuil symbolique, en l’occurrence la Côte d’Ivoire (2 326 dollars), le Sénégal (1 472) et le Bénin (1 291). Et même quatre pays pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest francophone, en tenant compte de la Mauritanie, aux importantes richesses minières (et auxquels s’ajoutent, pour toute l’Afrique de l’Ouest continentale, le Nigeria pétrolier et le Ghana, important producteur de pétrole et premier producteur africain d’or). Par ailleurs, l’Afrique de l’Est abrite les six pays les plus pauvres du continent, à savoir le Soudan du Sud, le Soudan, la Somalie, le Mozambique, le Burundi et Madagascar (soit trois pays anglophones, un lusophone et deux francophones, ayant tous un PIB par habitant inférieur à 500 dollars, début 2021). Enfin, l’Afrique de l’Est est également la partie la plus instable du continent, puisque l’on y trouve notamment deux des trois pays ayant connu les conflits les plus meurtriers de la dernière décennie, proportionnellement à leur population (le Soudan du Sud et la Somalie). Des conflits auxquels s’ajoutent un certain nombre de problèmes sécuritaires (terrorisme islamique dans le nord du Mozambique, en Ouganda…), et de tensions interethniques, comme en Éthiopie où elles avaient déjà provoqué la mort de nombreuses personnes avant même le début de la guerre civile, fin 2020 (ce qui en fait l’un des pays africains souffrant des plus fortes tensions sociales, avec, en particulier, l’Afrique du Sud et ses plus de 15 000 homicides par an).
Par ailleurs, et grâce à une croissance de 7,1 % en moyenne sur la décennie 2012-2021, soit la deuxième plus forte progression au monde de ces huit années (et la plus forte pour la catégorie des pays ayant un PIB par habitant supérieur à 1 000 dollars début 2012), la Côte-d’Ivoire est récemment devenue le premier - et encore le seul - pays africain disposant d’une production globalement assez modeste en matières premières non renouvelables, à dépasser en richesse un pays d’Amérique hispanique, à savoir le Nicaragua dont le PIB par habitant atteignait 1 905 dollars début 2021 (hors très petits pays africains de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires et ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons). La Côte d’Ivoire est d’ailleurs sur le point de devancer également le Honduras, dont le PIB par habitant s’établissait à 2 389 dollars début 2021. Ce dynamisme a également permis au pays de dépasser le Kenya, et de réussir ensuite l’exploit de devancer le Ghana et le Nigeria (2 205 et 2 097 dollars, respectivement), pays voisins regorgeant de richesses naturelles, avec des niveaux de production considérablement supérieures à ceux de la Côte d’Ivoire (à titre d’exemple, la production pétrolière du Nigeria est environ cinquante fois supérieure). Ce dernier devrait d’ailleurs être assez bientôt dépassé par le Sénégal, qui réalise régulièrement des taux de croissance deux fois plus élevés (et au PIB par habitant de 1 472 dollars, loin de pays comme l’Éthiopie ou le Rwanda, où il s’établit à 936 et 798 dollars, respectivement).
Quant au Niger, ce pays enclavé n’est désormais plus le pays le plus pauvre d’Afrique de l’Ouest, ayant récemment dépassé la Sierra Leone (568 dollars par habitant début 2021, contre 509 dollars). De plus, le pays devrait très rapidement dépasser le Liberia, autre pays anglophone côtier (633 dollars). Le Niger est d’ailleurs sur le point de quitter la liste des dix pays les plus pauvres du continent, et dépasserait désormais non moins de 15 pays africains en matière de développement humain, selon le classement de la fondation Mo Ibrahim (plus fiable sur ce point que l’ONU qui place systématiquement - et étrangement - le Niger, au taux de fécondité le plus élevé au monde, à la dernière position du classement, derrière un pays comme le Soudan du Sud qui est pourtant réputé être le moins développé du continent - avec la Somalie, non classée…). Il est d’ailleurs à noter que le taux de fécondité en Sierra Leone et au Liberia est environ 40 % inférieur à celui du Niger (4,2 enfants par femme, contre 7,1).
Les bonnes performances de l’Afrique de l’Ouest francophone s’expliquent principalement par les nombreuses réformes entreprises par les pays de la région, aussi bien sur le plan économique qu’en matière de bonne gouvernance. Des plans de diversification ont ainsi été mis en place, comme le « Plan Sénégal émergent » (PSE), ou encore la « Stratégie de croissance accélérée et de développement durable » (SCADD) au Burkina Faso, dont la croissance a été de 5,3 % en moyenne annuelle sur la décennie 2012-2021. Pour ce qui du climat des affaires, certains pays ont réalisé un bon considérable entre les classements 2012 et 2020 de la Banque mondiale, et notamment le Togo (passé de la 162e à la 97e place de la dernière version du rapport), la Côte d’Ivoire (de la 167e place à la 110e place), le Sénégal (de la 154e à la 123e) ou encore le Niger (passé de la 173e à la 132e place, talonnant ainsi le Nigeria, 131e). Pays francophone le moins bien classé d’Afrique de l’Ouest, la Guinée est toutefois passée de la 179e à la 156e place sur la même période.
À titre de comparaison, il convient de savoir, par exemple, que la Nigeria, l’Éthiopie et l’Angola, respectivement première, troisième et huitième économie d’Afrique subsaharienne selon la Banque mondiale (du fait de leur très importante production pétrolière et/ou population), se classent à la 131e, 159e et 177e place, respectivement. Par ailleurs, il est à noter que plus aucun pays francophone ne figure aux six dernières places de ce classement international, désormais majoritairement occupées par des pays anglophones.
Dans un autre registre, et mis à part l’année 2020, particulièrement marquée par la pandémie, il est utile de souligner que la croissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone est globalement et régulièrement deux fois supérieure à sa croissance démographique, contredisant ainsi certaines théories assez médiatisées. Grâce au cadre plus favorable instauré par les différentes réformes en matière d’économie et de bonne gouvernance, cet essor démographique contribue donc à son tour au dynamisme économique, en permettant notamment au marché intérieur de ces pays d’atteindre une masse critique nécessaire au développement de nombreuses activités. Il convient d’ailleurs de rappeler que la plupart des pays francophones de la région demeurent encore assez faiblement peuplés. À titre d’exemple, la Guinée et le Burkina Faso, légèrement plus étendus que le Royaume-Uni (et non deux à trois fois plus petits comme l’indique la majorité, bien trompeuse, des cartes en circulation dans les médias et établissements publics ou privés), ne comptent respectivement que 13 et 21 millions d’habitants, contre 67 millions pour le Royaume-Uni. Quant à la Côte d’Ivoire, un tiers plus étendue mais ne comptant que 27 millions d’habitants, elle abriterait aujourd’hui une population de 89 millions d’habitants si elle était proportionnellement aussi peuplée que le Royaume-Uni.
En Afrique centrale francophone
En Afrique centrale francophone, la croissance globale a rebondi à 2,6 %, après une baisse du PIB de 0,9 % en 2020. Au Cameroun, qui dispose de l’économie la plus diversifiée de la région, la croissance s’est établie à 3,4 %, après avoir été finalement positive en 2020 (0,7 %). Avec une hausse annuelle du PIB qui devrait continuer à être assez largement supérieure à celle du Nigeria voisin, le Cameroun devrait lui aussi, assez prochainement, dépasser ce pays en termes de richesse par habitant, rejoignant ainsi la Côte d’Ivoire et très probablement le Sénégal (le PIB par habitant du pays étant de 1 537 dollars début 2021). Pour sa part, la République démocratique du Congo (RDC), première économie d’Afrique centrale francophone, a enregistré une croissance de 3,6 % (contre 1,7 % un an plus tôt). Bien que le ralentissement de l’économie y ait été également assez limité, au cours de ces deux dernières années, il n’en demeure pas moins que ces taux restent plutôt décevants pour un pays qui se classe parmi les plus pauvres du continent (544 dollars par habitant). Toutefois, il est à noter que la RDC est désormais engagée dans un vaste processus de réformes administratives, fiscales et juridiques, entamé en 2020 et qui est le plus sérieux et ambitieux en la matière depuis la chute de Mobutu en 1997, et même, en réalité, depuis les premières années de l’indépendance du pays. Ces réformes, qui commencent à porter leurs fruits (comme, par exemple, avec l’augmentation de 130 %, rien qu’en 2021, du montant de la TVA collectée, grâce à l’informatisation de la procédure), devraient aider ce pays, où l’État est encore presque absent d’une bonne partie du territoire, à connaître une croissance robuste dans les prochaines années, et qui devrait déjà s’établir à environ 5 % en 2022.
En zone CEMAC (dont ne fait pas partie la RDC), la hausse du PIB s’est établie à 2,1 % en 2021, après une contraction de l’activité de l’ordre de 1,8 % en 2020. Au Gabon, la croissance a été de 1,5 %, après une baisse du PIB de 1,8 % en 2020. Grâce aux grandes avancées réalisées au cours de la dernière décennie en matière de diversification et de bonne gouvernance (et plus récemment en matière de facilitation des affaires), ce pays d’Afrique centrale était devenu en 2020 le pays le plus riche du continent (hors très petits pays, à savoir les Seychelles, Maurice et la Guinée équatoriale). Avec un PIB de 6 882 dollars par habitant début 2021, il dépassait ainsi le Botswana, deuxième producteur mondial de diamants, après la Russie (6 405 dollars).
Si le Gabon et le Cameroun s’emploient à réformer et à diversifier leur économie, force est de constater que pareils efforts n’ont pas encore été réellement entrepris au Congo voisin, qui a une nouvelle fois enregistré une évolution négative de son PIB en 2021 (-1,2 %). Les mauvaises performances économiques du pays au cours de ces dernières années traduisent l’absence de profondes et courageuses réformes, comme l’atteste le fait qu’il continue à occuper l’une des dernières places du classement Doing Business de la Banque mondiale, en arrivant 180e sur un total de 190 pays étudiés (et se classant donc, à peu près, au même niveau que l’Angola, 177e).
Autre conséquence de ce manque de réformes, le Congo est aujourd’hui le pays le plus endetté d’Afrique subsaharienne francophone continentale, en termes de dette publique, et arrive à la dixième position des pays les plus endettés pour l’ensemble du continent (même s’il convient de noter les importants efforts réalisés en matière d’assainissement des finances publiques, et qui ont permis de réduire le niveau d’endettement du pays, qui devrait d’ailleurs quitter ce top 10 d’ici à la fin de l’année 2022). Le Congo-Brazzaville gagnerait donc à s’inspirer de certains de ses voisins, et notamment du Gabon avec lequel il partage nombre de points communs (caractéristiques géographiques et climatiques, production pétrolière significative, faible population…).
Par ailleurs, il est à noter que les performances économiques globales de la zone Cemac ne devraient plus être considérablement affectées par les performances de la Guinée équatoriale, dont le PIB semble désormais se stabiliser après plusieurs années de forte baisse. En effet, ce pays constitue un cas très particulier qu’il convient régulièrement de rappeler afin d’éviter toute fausse interprétation des statistiques régionales pour la période de six années allant de 2015 à 2020. Peuplé de près d’un million et demi d’habitants, seulement, ce petit territoire, partiellement francophone et ancienne colonie espagnole, était subitement devenu l’un des principaux producteurs africains de pétrole à la fin des années 1990, avant de voir rapidement sa production commencer à décliner, au début des années 2010. N’étant pas encore parvenu à diversifier suffisamment son économie, il avait donc connu une forte chute de son PIB pendant six années consécutives, de 2015 à 2020, avec une croissance négative annuelle de -6,8 % en moyenne sur la période !
En Afrique de l’Est francophone
La croissance globale de cette partie du continent s’est établie à 3,5 % en 2021. Toutefois, et à l’inverse de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale francophones, ce rebond n’a guère permis de combler la très forte chute du PIB global enregistrée l’année précédente, lorsque l’activité s’était contractée de 9,1 %. Cette singularité s’explique par l’importance du secteur touristique dans la moitié des six pays de la région, à savoir Maurice, les Seychelles (deux pays considérés à la fois comme francophones et anglophones, pour avoir connu une double présence française et britannique, successivement) et Madagascar, qui ont continué à subir lourdement les conséquences des importantes restrictions affectant le tourisme international. Ainsi ces trois pays ont enregistré un rebond de 5,1 %, 6,9 % et 1,8 % de l’activité, respectivement, après avoir connu une chute de 14,9 %, 13,3 % et 6,2 %, respectivement, en 2020. L’activité devrait donc poursuivre son rebond dans ces trois pays, et notamment à Madagascar où la croissance devrait être supérieure à 5 % pour les deux années à venir.
De leur côté, les Comores et le Burundi, voisin de la RDC, ont continué à enregistrer des performances assez décevantes, comme depuis plusieurs années et faute de véritables réformes (respectivement 1,3 % et 2,0 %). Quant à Djibouti, la croissance y a atteint un taux de 5,1 %, après une évolution légèrement positive en 2020 (0,5 %). Ce pays de la corne de l’Afrique avait réalisé une progression annuelle moyenne de 7,2 % également sur la période de six années allant de 2014 à 2019, et ce, en tirant profit de sa situation géographique stratégique qui lui permet de devenir progressivement une plaque tournante du commerce international, grâce notamment à des investissements massifs en provenance de Chine. Pourtant, seule une quinzaine d’entreprises françaises sont implantées dans ce pays, avec lequel la compagnie aérienne Air France n’assure qu’un seul et unique vol hebdomadaire direct avec Paris. Contraste saisissant avec les sept vols directs assurés par Turkish Airlines en direction d’Istanbul, ou encore avec les trois liaisons assurées par le groupe Emirates vers Dubaï.
Cette faible présence économique de la France à Djibouti, tout comme en RDC, premier pays francophone du monde et pour lequel l’Hexagone n’a représenté que 0,5 % du commerce extérieur en 2020 (contre environ 36,0 % pour la Chine, importations et exportations confondues), en dit long sur la méconnaissance dont souffrent nombre d’acteurs économiques tricolores au sujet du monde francophone, et ce, … au plus grand bénéfice d’autres puissances.
Un endettement globalement maîtrisé en Afrique subsaharienne francophone
Selon les dernières prévisions du FMI, publiées en octobre 2021, la dette publique continue à être globalement maîtrisée en Afrique subsaharienne francophone, qui demeure la partie la moins endettée du continent. Parmi les 10 pays africains les plus endettés, le premier des deux seuls pays francophones subsahariens, à savoir Maurice, n’arrive en septième position avec un niveau de dette publique estimé à 101,0 % du PIB fin 2021 (derrière le Soudan - 209,9 %, l’Érythrée, le Cap-Vert, le Mozambique, l’Angola et la Zambie). Et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, aucun des quatre pays le plus endettés n’est francophone. En effet, et avec un taux d’endettement de 71,9 % du PIB, le Sénégal arrive en cinquième position, derrière le Cap-Vert (160,7 %), le Ghana (83,5 %), la Gambie (82,3 %) et la Guinée-Bissau (79,1 %).
Plus globalement, l’Afrique francophone demeure la partie la moins endettée du continent, avec trois pays francophones parmi les dix pays les plus endettés (Maurice, la Tunisie et le Congo-Brazzaville). Une situation semblable à celle des années précédentes, au cours desquelles deux à trois pays francophones se trouvaient également parmi les dix pays les plus endettés du continent, et toujours dans la seconde moitié de la liste. Fin 2021, le taux d’endettement global est prévu à 58,4 % du PIB pour cet ensemble de 25 pays, et à 49,4 % pour sa partie subsaharienne composée de 22 pays. Pour le reste du continent, le taux devrait s’établir à 68,3 % pour l’ensemble de l’Afrique non francophone, et à 62,3 % pour sa partie subsaharienne. Le niveau d’endettement de l’Afrique francophone, qui demeure d’ailleurs largement inférieur à celui de la majorité des pays développés, s’est ainsi globalement stabilisé en 2021, avec une légère hausse de 0,8 point de pourcentage (et 0,3 point pour sa partie subsaharienne). Quant à celui du reste du continent, il devrait connaître une baisse de 2,0 points pour l’ensemble de l’Afrique non francophone (et 2,8 points pour sa partie subsaharienne). Une diminution qui s’explique principalement par la forte hausse enregistrée en 2020, lorsque le niveau d’endettement avait progressé de 9,6 points (contre 7,9 points pour l’Afrique francophone), et de 9,2 points pour la partie subsaharienne (5,4 points pour l’Afrique subsaharienne francophone).
Cette assez bonne maîtrise de la dette, globalement, résulte notamment du dynamisme économique que connaissent la plupart des pays francophones subsahariens, et découlant lui-même des importantes avancées réalisées ces dernières années en matière d’amélioration du climat des affaires, de diversification et de de bonne gouvernance. Globalement, l’Afrique francophone a donc été mieux armée pour faire face à la crise majeure qui secoue le monde depuis début 2020, et financer le redémarrage de l’activité économique.
Des perspectives plutôt encourageantes pour 2022
Même s’il convient de faire toujours preuve de prudence au sujet des prévisions établies en cours d’année pour les pays en développement, l’Afrique subsaharienne francophone devrait une nouvelle fois être la partie la plus dynamique du continent en 2022, tout en en demeurant la partie la moins endettée.
Le contexte sanitaire international devrait continuer à s’améliorer, et les cours des hydrocarbures revenir progressivement à des niveaux raisonnables pour les pays importateurs, et soutenir ainsi la croissance de la plupart des pays francophones, déficitaires en la matière (notamment grâce à la hausse attendue, et plus ou moins importante, de la production de certains pays de l’OPEP+, et à la progression constante de la part des énergies renouvelables à travers le monde). Quant au conflit russo-ukrainien, il est peu probable, à ce stade, que celui-ci puisse maintenir encore longtemps les prix du pétrole et du gaz à des niveaux élevés. Toutefois, et en l’absence de résolution rapide, ce conflit pourrait avoir de néfastes conséquences sur la croissance mondiale, suite aux nombreuses sanctions et mesures de rétorsion prises, et impacter ainsi les économies africaines.
Par ailleurs, et parallèlement à l’évolution du contexte international, le continent africain devrait voir la poursuite de la mise en place progressive de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), entamée le 1er janvier 2021 et qui constitue un élément favorable à la croissance. Du moins d’un point de vue théorique, puisque qu’il convient de rappeler que la hausse des échanges entre pays ne dépend pas seulement de la réduction significative des barrières douanières entre ces mêmes pays, mais également et surtout de la capacité de ces derniers à produire des biens, grâce à la mise en place préalable d’un environnement national favorable à l’investissement (cadres juridique, réglementaire et fiscal, infrastructures et formation, devant permettre à la fois de produire des biens et d’en assurer la compétitivité). L’évolution marginale des échanges au sein des ensembles régionaux ayant déjà abaissé ou supprimé les taxes douanières est là pour le démontrer.
Il en va d’ailleurs de même pour ce qui est de la question d’une monnaie unique, à l’instar de l’Eco que les pays d’Afrique de l’Ouest, membres de la CEDEAO, semblent souhaiter mettre en place. Ainsi, force est de constater que les pays de la zone UEMOA, qui bénéficient déjà, et depuis longtemps, d’une vaste zone de libre-échange doublée d’une monnaie unique, n’ont vu leurs échanges que faiblement augmenter à l’intérieur de cet espace, et demeurer à des niveaux globalement assez bas. Autre exemple intéressant, la part de la zone euro dans le commerce extérieur de la France a baissé depuis la mise en place de cette monnaie unique, suite à une augmentation plus importante des échanges entre la France et le reste du monde qu’avec les pays de la zone euro. Ce qui permet, d’ailleurs, de constater que les flux commerciaux entre la France et les autres pays de la zone monétaire étaient déjà très importants avant l’adoption d’une monnaie unique…
Dans ce cadre, il est à noter que le report à 2027 de la création d’une monnaie unique ouest-africaine, annoncé en juin 2021 par la CEDEAO, constitue une nouvelle rassurante pour les pays de la région, en dehors du Nigeria. En effet, l’économie de ces pays connaîtrait de grandes difficultés avec l’adhésion à une zone monétaire incluant le Nigeria, dont le déclin économique constant, combiné au poids démographique, tirerait vers le bas l’ensemble des pays de la région, qu’ils soient francophones, anglophones ou lusophones. En effet, le Nigeria connaît de graves problèmes structurels depuis plusieurs années, et qui se traduisent notamment par une très faible croissance économique (et de surcroît, largement inférieure à sa croissance démographique), une inflation assez forte (11,8 % en moyenne annuelle sur les neuf années de la période 2012-2020, soit à peu près comme le Ghana, 12,2 %, mais très largement au-dessus de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, respectivement 1,0 % et 0,9 %), et une monnaie ayant perdu plus de 60 % de sa valeur face au dollar depuis 2014 (et plus de 99 % de sa valeur depuis sa création en 1973, lorsque la livre sterling valait 2 nairas, contre 563 au 15 février 2022). Les problèmes sécuritaires que subissent de nombreuses parties du territoire et la baisse progressive de la production en hydrocarbures (qui représentent encore 93 % des exportations de biens, faute de réelle diversification), comptent parmi les principales raisons de ce déclin économique.
Ainsi, et tant que le Nigeria n’aura pas résolu ses plus graves problèmes structurels, et que son économie sera en aussi mauvaise santé, l’intégration du pays à une monnaie ouest-africaine est donc incontestablement de nature à déstabiliser profondément les économies de tous les autres pays qui partageraient cette même monnaie, à travers une importante perte de valeur de celle-ci, accompagnée, de surcroît, d’une politique monétaire plus adaptée à un pays en crise, et ne correspondant pas aux besoins des pays dynamiques de la région (le Nigeria, par son poids démographique et donc économique, dictant probablement en grande partie cette politique). Les pays de l’UEMOA, zone la plus dynamique d’Afrique de l’Ouest et de l’ensemble du continent, verraient ainsi leur croissance baisser significativement et assez rapidement. Par ailleurs, le déclin économique du Nigeria est de nature, à terme, à accroître considérablement l’émigration de Nigérians, en quête d’une vie meilleure, vers des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, et en particulier vers la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Sénégal, le Cameroun et le Gabon. Des pays qui devront alors faire face à ce qui pourrait être un véritable choc migratoire, compte tenu de la population du Nigeria, et, pour l’Afrique de l’Ouest, des règles de la CEDEAO qui prévoient la liberté de circulation et de résidence pour les ressortissants des pays membres.
Une croissance globale de 3,9 %
L’activité économique en Afrique subsaharienne francophone a donc connu un important rebond par rapport à 2020, année particulièrement marquée par la pandémie et au terme de laquelle elle s’était globalement contractée de 0,6 %. Cette même année, la baisse du PIB avait été de 3,0 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Il est ainsi à noter que la contraction de l’activité dans ces deux ensembles a donc été moins forte qu’annoncé début 2021, et particulièrement en Afrique francophone subsaharienne où la baisse du PIB avait été initialement estimée à 2,1 % par la Banque mondiale (et à 4,3 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne).
En zone CFA, qui regroupe 13 des 22 pays francophones (dont la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole et partiellement francophone), ainsi que la Guinée Bissau (lusophone et ancienne colonie portugaise), et qui rassemble 54 % de la population de l’Afrique francophone subsaharienne (et 43 % de celle de l’Afrique francophone), la croissance est passée de 0,1 % en 2020 à 4,1 % en 2021. Dans cette zone, l’espace UEMOA continue à se distinguer avec une évolution globale de 5,6 % en 2021, confirmant ainsi son statut de plus vaste espace de forte croissance du continent, alors même qu’il n’en est pas la partie la plus pauvre. Pour sa part, l’espace CEMAC a de nouveau fait baisser la moyenne globale de la croissance économique de la zone CFA, suite aux résultats affichés par deux des trois pays les plus dépendants des hydrocarbures.
En Afrique subsaharienne non francophone, la Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Angola et l’Éthiopie, quatre des principales économies de la zone, ont connu d’importantes difficultés en 2021. Les trois premiers pays continuent à souffrir des graves problèmes structurels auxquels ils doivent faire face depuis plusieurs années, avec notamment le déclin progressif de leur très importante production pétrolière (pour le Nigeria et l’Angola, respectivement premier et deuxième producteur d’hydrocarbures d’Afrique subsaharienne), ou minière (cas de l’Afrique du Sud, avec la baisse de la production d’or, dont le pays est désormais le second producteur du continent, après le Ghana). Ainsi, le rebond observé en Angola et en Afrique du Sud n’a guère permis de combler l’importante baisse du PIB enregistrée un an plus tôt, tandis que le rebond observé au Nigeria ne permit au pays que d’atteindre un taux de croissance annuel de 0,3 % sur les deux années 2020 et 2021. Quant à l’Éthiopie, la croissance n’a été que de 2,4 % dans ce pays affecté par une guerre civile ayant déjà fait quelques dizaines de milliers de morts en seulement 15 mois.
Pour le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola, ce manque de dynamisme semble durablement installé selon les prévisions de la Banque mondiale, qui continue de tabler sur de faibles croissances au cours des quelques années à venir, au moins. Ces trois pays sont donc en voie d’appauvrissement, puisqu’ils affichent désormais constamment des taux de croissance inférieurs à leur croissance démographique (contrairement aux pays francophones qui leur sont proches). À titre d’exemple, au Nigeria, qui enregistre les taux de croissance économique les plus élevés de ces trois pays, la hausse du PIB n’a été que de 0,9 % en moyenne annuelle sur les sept dernières années (2015-2021), contre une croissance démographique annuelle de 2,5 % en moyenne sur la même période. Par ailleurs, le Nigeria et l’Angola ont connu une importante dépréciation de leur monnaie, dont la valeur a baissé de plus de 60 % et 80 %, respectivement, par rapport au dollar depuis 2014. Avec à la clé une forte inflation et le maintien d’une forte dollarisation de leur économie (utilisation du dollar pour une partie importante des transactions, par refus de la monnaie locale considérée comme risquée).
Sur la décennie 2012-2021, la croissance annuelle de l’Afrique subsaharienne francophone s’est donc établie à 3,6 % en moyenne (et à 4,1 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale). Ce taux a été de 2,2 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Quant aux quatre premières économies de l’Afrique subsaharienne francophone, à savoir la Côte d’Ivoire, la RDC, le Cameroun et le Sénégal, celles-ci ont respectivement enregistré une croissance annuelle de 7,1 %, 5,3 %, 4,1 % et 4,9 % en moyenne. De leur côté, les quatre premières économies du reste de l’Afrique subsaharienne, à savoir le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et le Kenya, ont respectivement connu une progression annuelle de 2,3 %, 0,9 %, 8,3 % et 4,2 %. Quant à l’Angola, qui faisait partie des quatre premières économies avant d’être remplacée par l’Éthiopie en 2019, et de rétrograder ensuite à la septième place, celle-ci a enregistré une croissance annuelle de 0,8 % sur cette même décennie.
En Afrique de l’Ouest
Après être parvenue à réaliser une croissance globalement positive en 2020 (1,8 %), l’Afrique de l’Ouest francophone a affiché une croissance de 5,4 % en 2021. Pour sa part, la zone UEMOA, qui en recouvre la majeure partie (et qui est composée de huit pays, dont la lusophone, mais très francophonophile, Guinée-Bissau) a vu son PIB augmenter de 5,6 % (après une évolution positive de 1,7 % en 2020). Avec une croissance annuelle de 5,7 % en moyenne sur la décennie 2012-2021, l’espace UEMOA conforte ainsi son statut de plus vaste zone de forte croissance du continent, en dépit des problèmes sécuritaires connus par certains des pays membres, mais n’affectant surtout que des zones semi-arides et très faiblement peuplées. Hors UEMOA, la Guinée et la Mauritanie ont respectivement affiché un taux de croissance de 5,2 % et 2,7 %.
Il convient de souligner que le statut de zone la plus dynamique du continent constitue une très bonne performance pour l’UEMOA, vu que la région la plus pauvre du continent, et qui devrait donc connaître la croissance la plus élevée, est l’Afrique de l’Est. Ainsi, à titre d’exemple, et hors Djibouti, seul un pays d’Afrique de l’Est continentale affichait début 2021 un PIB par habitant dépassant clairement la barre des 1 000 dollars, à savoir le Kenya (1 879 dollars, suivi loin derrière par la Tanzanie, 1 076 dollars, selon les dernières données disponibles auprès de la Banque mondiale). À la même date, trois pays francophones de l’espace UEMOA dépassaient clairement ce seuil symbolique, en l’occurrence la Côte d’Ivoire (2 326 dollars), le Sénégal (1 472) et le Bénin (1 291). Et même quatre pays pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest francophone, en tenant compte de la Mauritanie, aux importantes richesses minières (et auxquels s’ajoutent, pour toute l’Afrique de l’Ouest continentale, le Nigeria pétrolier et le Ghana, important producteur de pétrole et premier producteur africain d’or). Par ailleurs, l’Afrique de l’Est abrite les six pays les plus pauvres du continent, à savoir le Soudan du Sud, le Soudan, la Somalie, le Mozambique, le Burundi et Madagascar (soit trois pays anglophones, un lusophone et deux francophones, ayant tous un PIB par habitant inférieur à 500 dollars, début 2021). Enfin, l’Afrique de l’Est est également la partie la plus instable du continent, puisque l’on y trouve notamment deux des trois pays ayant connu les conflits les plus meurtriers de la dernière décennie, proportionnellement à leur population (le Soudan du Sud et la Somalie). Des conflits auxquels s’ajoutent un certain nombre de problèmes sécuritaires (terrorisme islamique dans le nord du Mozambique, en Ouganda…), et de tensions interethniques, comme en Éthiopie où elles avaient déjà provoqué la mort de nombreuses personnes avant même le début de la guerre civile, fin 2020 (ce qui en fait l’un des pays africains souffrant des plus fortes tensions sociales, avec, en particulier, l’Afrique du Sud et ses plus de 15 000 homicides par an).
Par ailleurs, et grâce à une croissance de 7,1 % en moyenne sur la décennie 2012-2021, soit la deuxième plus forte progression au monde de ces huit années (et la plus forte pour la catégorie des pays ayant un PIB par habitant supérieur à 1 000 dollars début 2012), la Côte-d’Ivoire est récemment devenue le premier - et encore le seul - pays africain disposant d’une production globalement assez modeste en matières premières non renouvelables, à dépasser en richesse un pays d’Amérique hispanique, à savoir le Nicaragua dont le PIB par habitant atteignait 1 905 dollars début 2021 (hors très petits pays africains de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires et ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons). La Côte d’Ivoire est d’ailleurs sur le point de devancer également le Honduras, dont le PIB par habitant s’établissait à 2 389 dollars début 2021. Ce dynamisme a également permis au pays de dépasser le Kenya, et de réussir ensuite l’exploit de devancer le Ghana et le Nigeria (2 205 et 2 097 dollars, respectivement), pays voisins regorgeant de richesses naturelles, avec des niveaux de production considérablement supérieures à ceux de la Côte d’Ivoire (à titre d’exemple, la production pétrolière du Nigeria est environ cinquante fois supérieure). Ce dernier devrait d’ailleurs être assez bientôt dépassé par le Sénégal, qui réalise régulièrement des taux de croissance deux fois plus élevés (et au PIB par habitant de 1 472 dollars, loin de pays comme l’Éthiopie ou le Rwanda, où il s’établit à 936 et 798 dollars, respectivement).
Quant au Niger, ce pays enclavé n’est désormais plus le pays le plus pauvre d’Afrique de l’Ouest, ayant récemment dépassé la Sierra Leone (568 dollars par habitant début 2021, contre 509 dollars). De plus, le pays devrait très rapidement dépasser le Liberia, autre pays anglophone côtier (633 dollars). Le Niger est d’ailleurs sur le point de quitter la liste des dix pays les plus pauvres du continent, et dépasserait désormais non moins de 15 pays africains en matière de développement humain, selon le classement de la fondation Mo Ibrahim (plus fiable sur ce point que l’ONU qui place systématiquement - et étrangement - le Niger, au taux de fécondité le plus élevé au monde, à la dernière position du classement, derrière un pays comme le Soudan du Sud qui est pourtant réputé être le moins développé du continent - avec la Somalie, non classée…). Il est d’ailleurs à noter que le taux de fécondité en Sierra Leone et au Liberia est environ 40 % inférieur à celui du Niger (4,2 enfants par femme, contre 7,1).
Les bonnes performances de l’Afrique de l’Ouest francophone s’expliquent principalement par les nombreuses réformes entreprises par les pays de la région, aussi bien sur le plan économique qu’en matière de bonne gouvernance. Des plans de diversification ont ainsi été mis en place, comme le « Plan Sénégal émergent » (PSE), ou encore la « Stratégie de croissance accélérée et de développement durable » (SCADD) au Burkina Faso, dont la croissance a été de 5,3 % en moyenne annuelle sur la décennie 2012-2021. Pour ce qui du climat des affaires, certains pays ont réalisé un bon considérable entre les classements 2012 et 2020 de la Banque mondiale, et notamment le Togo (passé de la 162e à la 97e place de la dernière version du rapport), la Côte d’Ivoire (de la 167e place à la 110e place), le Sénégal (de la 154e à la 123e) ou encore le Niger (passé de la 173e à la 132e place, talonnant ainsi le Nigeria, 131e). Pays francophone le moins bien classé d’Afrique de l’Ouest, la Guinée est toutefois passée de la 179e à la 156e place sur la même période.
À titre de comparaison, il convient de savoir, par exemple, que la Nigeria, l’Éthiopie et l’Angola, respectivement première, troisième et huitième économie d’Afrique subsaharienne selon la Banque mondiale (du fait de leur très importante production pétrolière et/ou population), se classent à la 131e, 159e et 177e place, respectivement. Par ailleurs, il est à noter que plus aucun pays francophone ne figure aux six dernières places de ce classement international, désormais majoritairement occupées par des pays anglophones.
Dans un autre registre, et mis à part l’année 2020, particulièrement marquée par la pandémie, il est utile de souligner que la croissance économique de l’Afrique de l’Ouest francophone est globalement et régulièrement deux fois supérieure à sa croissance démographique, contredisant ainsi certaines théories assez médiatisées. Grâce au cadre plus favorable instauré par les différentes réformes en matière d’économie et de bonne gouvernance, cet essor démographique contribue donc à son tour au dynamisme économique, en permettant notamment au marché intérieur de ces pays d’atteindre une masse critique nécessaire au développement de nombreuses activités. Il convient d’ailleurs de rappeler que la plupart des pays francophones de la région demeurent encore assez faiblement peuplés. À titre d’exemple, la Guinée et le Burkina Faso, légèrement plus étendus que le Royaume-Uni (et non deux à trois fois plus petits comme l’indique la majorité, bien trompeuse, des cartes en circulation dans les médias et établissements publics ou privés), ne comptent respectivement que 13 et 21 millions d’habitants, contre 67 millions pour le Royaume-Uni. Quant à la Côte d’Ivoire, un tiers plus étendue mais ne comptant que 27 millions d’habitants, elle abriterait aujourd’hui une population de 89 millions d’habitants si elle était proportionnellement aussi peuplée que le Royaume-Uni.
En Afrique centrale francophone
En Afrique centrale francophone, la croissance globale a rebondi à 2,6 %, après une baisse du PIB de 0,9 % en 2020. Au Cameroun, qui dispose de l’économie la plus diversifiée de la région, la croissance s’est établie à 3,4 %, après avoir été finalement positive en 2020 (0,7 %). Avec une hausse annuelle du PIB qui devrait continuer à être assez largement supérieure à celle du Nigeria voisin, le Cameroun devrait lui aussi, assez prochainement, dépasser ce pays en termes de richesse par habitant, rejoignant ainsi la Côte d’Ivoire et très probablement le Sénégal (le PIB par habitant du pays étant de 1 537 dollars début 2021). Pour sa part, la République démocratique du Congo (RDC), première économie d’Afrique centrale francophone, a enregistré une croissance de 3,6 % (contre 1,7 % un an plus tôt). Bien que le ralentissement de l’économie y ait été également assez limité, au cours de ces deux dernières années, il n’en demeure pas moins que ces taux restent plutôt décevants pour un pays qui se classe parmi les plus pauvres du continent (544 dollars par habitant). Toutefois, il est à noter que la RDC est désormais engagée dans un vaste processus de réformes administratives, fiscales et juridiques, entamé en 2020 et qui est le plus sérieux et ambitieux en la matière depuis la chute de Mobutu en 1997, et même, en réalité, depuis les premières années de l’indépendance du pays. Ces réformes, qui commencent à porter leurs fruits (comme, par exemple, avec l’augmentation de 130 %, rien qu’en 2021, du montant de la TVA collectée, grâce à l’informatisation de la procédure), devraient aider ce pays, où l’État est encore presque absent d’une bonne partie du territoire, à connaître une croissance robuste dans les prochaines années, et qui devrait déjà s’établir à environ 5 % en 2022.
En zone CEMAC (dont ne fait pas partie la RDC), la hausse du PIB s’est établie à 2,1 % en 2021, après une contraction de l’activité de l’ordre de 1,8 % en 2020. Au Gabon, la croissance a été de 1,5 %, après une baisse du PIB de 1,8 % en 2020. Grâce aux grandes avancées réalisées au cours de la dernière décennie en matière de diversification et de bonne gouvernance (et plus récemment en matière de facilitation des affaires), ce pays d’Afrique centrale était devenu en 2020 le pays le plus riche du continent (hors très petits pays, à savoir les Seychelles, Maurice et la Guinée équatoriale). Avec un PIB de 6 882 dollars par habitant début 2021, il dépassait ainsi le Botswana, deuxième producteur mondial de diamants, après la Russie (6 405 dollars).
Si le Gabon et le Cameroun s’emploient à réformer et à diversifier leur économie, force est de constater que pareils efforts n’ont pas encore été réellement entrepris au Congo voisin, qui a une nouvelle fois enregistré une évolution négative de son PIB en 2021 (-1,2 %). Les mauvaises performances économiques du pays au cours de ces dernières années traduisent l’absence de profondes et courageuses réformes, comme l’atteste le fait qu’il continue à occuper l’une des dernières places du classement Doing Business de la Banque mondiale, en arrivant 180e sur un total de 190 pays étudiés (et se classant donc, à peu près, au même niveau que l’Angola, 177e).
Autre conséquence de ce manque de réformes, le Congo est aujourd’hui le pays le plus endetté d’Afrique subsaharienne francophone continentale, en termes de dette publique, et arrive à la dixième position des pays les plus endettés pour l’ensemble du continent (même s’il convient de noter les importants efforts réalisés en matière d’assainissement des finances publiques, et qui ont permis de réduire le niveau d’endettement du pays, qui devrait d’ailleurs quitter ce top 10 d’ici à la fin de l’année 2022). Le Congo-Brazzaville gagnerait donc à s’inspirer de certains de ses voisins, et notamment du Gabon avec lequel il partage nombre de points communs (caractéristiques géographiques et climatiques, production pétrolière significative, faible population…).
Par ailleurs, il est à noter que les performances économiques globales de la zone Cemac ne devraient plus être considérablement affectées par les performances de la Guinée équatoriale, dont le PIB semble désormais se stabiliser après plusieurs années de forte baisse. En effet, ce pays constitue un cas très particulier qu’il convient régulièrement de rappeler afin d’éviter toute fausse interprétation des statistiques régionales pour la période de six années allant de 2015 à 2020. Peuplé de près d’un million et demi d’habitants, seulement, ce petit territoire, partiellement francophone et ancienne colonie espagnole, était subitement devenu l’un des principaux producteurs africains de pétrole à la fin des années 1990, avant de voir rapidement sa production commencer à décliner, au début des années 2010. N’étant pas encore parvenu à diversifier suffisamment son économie, il avait donc connu une forte chute de son PIB pendant six années consécutives, de 2015 à 2020, avec une croissance négative annuelle de -6,8 % en moyenne sur la période !
En Afrique de l’Est francophone
La croissance globale de cette partie du continent s’est établie à 3,5 % en 2021. Toutefois, et à l’inverse de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale francophones, ce rebond n’a guère permis de combler la très forte chute du PIB global enregistrée l’année précédente, lorsque l’activité s’était contractée de 9,1 %. Cette singularité s’explique par l’importance du secteur touristique dans la moitié des six pays de la région, à savoir Maurice, les Seychelles (deux pays considérés à la fois comme francophones et anglophones, pour avoir connu une double présence française et britannique, successivement) et Madagascar, qui ont continué à subir lourdement les conséquences des importantes restrictions affectant le tourisme international. Ainsi ces trois pays ont enregistré un rebond de 5,1 %, 6,9 % et 1,8 % de l’activité, respectivement, après avoir connu une chute de 14,9 %, 13,3 % et 6,2 %, respectivement, en 2020. L’activité devrait donc poursuivre son rebond dans ces trois pays, et notamment à Madagascar où la croissance devrait être supérieure à 5 % pour les deux années à venir.
De leur côté, les Comores et le Burundi, voisin de la RDC, ont continué à enregistrer des performances assez décevantes, comme depuis plusieurs années et faute de véritables réformes (respectivement 1,3 % et 2,0 %). Quant à Djibouti, la croissance y a atteint un taux de 5,1 %, après une évolution légèrement positive en 2020 (0,5 %). Ce pays de la corne de l’Afrique avait réalisé une progression annuelle moyenne de 7,2 % également sur la période de six années allant de 2014 à 2019, et ce, en tirant profit de sa situation géographique stratégique qui lui permet de devenir progressivement une plaque tournante du commerce international, grâce notamment à des investissements massifs en provenance de Chine. Pourtant, seule une quinzaine d’entreprises françaises sont implantées dans ce pays, avec lequel la compagnie aérienne Air France n’assure qu’un seul et unique vol hebdomadaire direct avec Paris. Contraste saisissant avec les sept vols directs assurés par Turkish Airlines en direction d’Istanbul, ou encore avec les trois liaisons assurées par le groupe Emirates vers Dubaï.
Cette faible présence économique de la France à Djibouti, tout comme en RDC, premier pays francophone du monde et pour lequel l’Hexagone n’a représenté que 0,5 % du commerce extérieur en 2020 (contre environ 36,0 % pour la Chine, importations et exportations confondues), en dit long sur la méconnaissance dont souffrent nombre d’acteurs économiques tricolores au sujet du monde francophone, et ce, … au plus grand bénéfice d’autres puissances.
Un endettement globalement maîtrisé en Afrique subsaharienne francophone
Selon les dernières prévisions du FMI, publiées en octobre 2021, la dette publique continue à être globalement maîtrisée en Afrique subsaharienne francophone, qui demeure la partie la moins endettée du continent. Parmi les 10 pays africains les plus endettés, le premier des deux seuls pays francophones subsahariens, à savoir Maurice, n’arrive en septième position avec un niveau de dette publique estimé à 101,0 % du PIB fin 2021 (derrière le Soudan - 209,9 %, l’Érythrée, le Cap-Vert, le Mozambique, l’Angola et la Zambie). Et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, aucun des quatre pays le plus endettés n’est francophone. En effet, et avec un taux d’endettement de 71,9 % du PIB, le Sénégal arrive en cinquième position, derrière le Cap-Vert (160,7 %), le Ghana (83,5 %), la Gambie (82,3 %) et la Guinée-Bissau (79,1 %).
Plus globalement, l’Afrique francophone demeure la partie la moins endettée du continent, avec trois pays francophones parmi les dix pays les plus endettés (Maurice, la Tunisie et le Congo-Brazzaville). Une situation semblable à celle des années précédentes, au cours desquelles deux à trois pays francophones se trouvaient également parmi les dix pays les plus endettés du continent, et toujours dans la seconde moitié de la liste. Fin 2021, le taux d’endettement global est prévu à 58,4 % du PIB pour cet ensemble de 25 pays, et à 49,4 % pour sa partie subsaharienne composée de 22 pays. Pour le reste du continent, le taux devrait s’établir à 68,3 % pour l’ensemble de l’Afrique non francophone, et à 62,3 % pour sa partie subsaharienne. Le niveau d’endettement de l’Afrique francophone, qui demeure d’ailleurs largement inférieur à celui de la majorité des pays développés, s’est ainsi globalement stabilisé en 2021, avec une légère hausse de 0,8 point de pourcentage (et 0,3 point pour sa partie subsaharienne). Quant à celui du reste du continent, il devrait connaître une baisse de 2,0 points pour l’ensemble de l’Afrique non francophone (et 2,8 points pour sa partie subsaharienne). Une diminution qui s’explique principalement par la forte hausse enregistrée en 2020, lorsque le niveau d’endettement avait progressé de 9,6 points (contre 7,9 points pour l’Afrique francophone), et de 9,2 points pour la partie subsaharienne (5,4 points pour l’Afrique subsaharienne francophone).
Cette assez bonne maîtrise de la dette, globalement, résulte notamment du dynamisme économique que connaissent la plupart des pays francophones subsahariens, et découlant lui-même des importantes avancées réalisées ces dernières années en matière d’amélioration du climat des affaires, de diversification et de de bonne gouvernance. Globalement, l’Afrique francophone a donc été mieux armée pour faire face à la crise majeure qui secoue le monde depuis début 2020, et financer le redémarrage de l’activité économique.
Des perspectives plutôt encourageantes pour 2022
Même s’il convient de faire toujours preuve de prudence au sujet des prévisions établies en cours d’année pour les pays en développement, l’Afrique subsaharienne francophone devrait une nouvelle fois être la partie la plus dynamique du continent en 2022, tout en en demeurant la partie la moins endettée.
Le contexte sanitaire international devrait continuer à s’améliorer, et les cours des hydrocarbures revenir progressivement à des niveaux raisonnables pour les pays importateurs, et soutenir ainsi la croissance de la plupart des pays francophones, déficitaires en la matière (notamment grâce à la hausse attendue, et plus ou moins importante, de la production de certains pays de l’OPEP+, et à la progression constante de la part des énergies renouvelables à travers le monde). Quant au conflit russo-ukrainien, il est peu probable, à ce stade, que celui-ci puisse maintenir encore longtemps les prix du pétrole et du gaz à des niveaux élevés. Toutefois, et en l’absence de résolution rapide, ce conflit pourrait avoir de néfastes conséquences sur la croissance mondiale, suite aux nombreuses sanctions et mesures de rétorsion prises, et impacter ainsi les économies africaines.
Par ailleurs, et parallèlement à l’évolution du contexte international, le continent africain devrait voir la poursuite de la mise en place progressive de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), entamée le 1er janvier 2021 et qui constitue un élément favorable à la croissance. Du moins d’un point de vue théorique, puisque qu’il convient de rappeler que la hausse des échanges entre pays ne dépend pas seulement de la réduction significative des barrières douanières entre ces mêmes pays, mais également et surtout de la capacité de ces derniers à produire des biens, grâce à la mise en place préalable d’un environnement national favorable à l’investissement (cadres juridique, réglementaire et fiscal, infrastructures et formation, devant permettre à la fois de produire des biens et d’en assurer la compétitivité). L’évolution marginale des échanges au sein des ensembles régionaux ayant déjà abaissé ou supprimé les taxes douanières est là pour le démontrer.
Il en va d’ailleurs de même pour ce qui est de la question d’une monnaie unique, à l’instar de l’Eco que les pays d’Afrique de l’Ouest, membres de la CEDEAO, semblent souhaiter mettre en place. Ainsi, force est de constater que les pays de la zone UEMOA, qui bénéficient déjà, et depuis longtemps, d’une vaste zone de libre-échange doublée d’une monnaie unique, n’ont vu leurs échanges que faiblement augmenter à l’intérieur de cet espace, et demeurer à des niveaux globalement assez bas. Autre exemple intéressant, la part de la zone euro dans le commerce extérieur de la France a baissé depuis la mise en place de cette monnaie unique, suite à une augmentation plus importante des échanges entre la France et le reste du monde qu’avec les pays de la zone euro. Ce qui permet, d’ailleurs, de constater que les flux commerciaux entre la France et les autres pays de la zone monétaire étaient déjà très importants avant l’adoption d’une monnaie unique…
Dans ce cadre, il est à noter que le report à 2027 de la création d’une monnaie unique ouest-africaine, annoncé en juin 2021 par la CEDEAO, constitue une nouvelle rassurante pour les pays de la région, en dehors du Nigeria. En effet, l’économie de ces pays connaîtrait de grandes difficultés avec l’adhésion à une zone monétaire incluant le Nigeria, dont le déclin économique constant, combiné au poids démographique, tirerait vers le bas l’ensemble des pays de la région, qu’ils soient francophones, anglophones ou lusophones. En effet, le Nigeria connaît de graves problèmes structurels depuis plusieurs années, et qui se traduisent notamment par une très faible croissance économique (et de surcroît, largement inférieure à sa croissance démographique), une inflation assez forte (11,8 % en moyenne annuelle sur les neuf années de la période 2012-2020, soit à peu près comme le Ghana, 12,2 %, mais très largement au-dessus de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, respectivement 1,0 % et 0,9 %), et une monnaie ayant perdu plus de 60 % de sa valeur face au dollar depuis 2014 (et plus de 99 % de sa valeur depuis sa création en 1973, lorsque la livre sterling valait 2 nairas, contre 563 au 15 février 2022). Les problèmes sécuritaires que subissent de nombreuses parties du territoire et la baisse progressive de la production en hydrocarbures (qui représentent encore 93 % des exportations de biens, faute de réelle diversification), comptent parmi les principales raisons de ce déclin économique.
Ainsi, et tant que le Nigeria n’aura pas résolu ses plus graves problèmes structurels, et que son économie sera en aussi mauvaise santé, l’intégration du pays à une monnaie ouest-africaine est donc incontestablement de nature à déstabiliser profondément les économies de tous les autres pays qui partageraient cette même monnaie, à travers une importante perte de valeur de celle-ci, accompagnée, de surcroît, d’une politique monétaire plus adaptée à un pays en crise, et ne correspondant pas aux besoins des pays dynamiques de la région (le Nigeria, par son poids démographique et donc économique, dictant probablement en grande partie cette politique). Les pays de l’UEMOA, zone la plus dynamique d’Afrique de l’Ouest et de l’ensemble du continent, verraient ainsi leur croissance baisser significativement et assez rapidement. Par ailleurs, le déclin économique du Nigeria est de nature, à terme, à accroître considérablement l’émigration de Nigérians, en quête d’une vie meilleure, vers des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, et en particulier vers la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Sénégal, le Cameroun et le Gabon. Des pays qui devront alors faire face à ce qui pourrait être un véritable choc migratoire, compte tenu de la population du Nigeria, et, pour l’Afrique de l’Ouest, des règles de la CEDEAO qui prévoient la liberté de circulation et de résidence pour les ressortissants des pays membres.