Cercle de Réflexion sur le Droit (CERED)
Les questions gravitant autour du statut du député ont toujours fait lobjet de débats animés. Au Congo Brazzaville, à lheure du renouvellement de lassemblée nationale, ces questions sont plus que jamais dactualité et méritent une attention particulière.
Lune des questions épineuses souvent évoquées est celle du régime des incompatibilités des parlementaires, celui-ci étant au cur de la constitution et serait un véritable instrument au service de la séparation des pouvoirs.
Nul nest censé ignorer la loi, surtout pas le faiseur de la loi, en loccurrence le député élu
Le législateur a choisi denfermer toute élection politique dans des règles de droit strictes, obligatoires pour tous, et qui fondent la légitimité des élus. La bonne connaissance du statut des députés est une condition préalable de leur indépendance et, partant, de léquilibre entre les pouvoirs, qui reste, malgré toutes les nuances quil faut y apporter au regard de notre système politique, un des principes de base de toute démocratie.
Lopinion publique a, souvent, peu ou prou, trop généralisé et tiré des conclusions sévères sur le déficit de connaissances des textes, de la part des députés, du moins dune bonne frange de ceux-ci, dautant plus que quelques-uns, récemment élus ou réélus, ont eu un parcours atypique, presque hasardeux.
Cette méconnaissance ou ignorance délibérée des textes est partagée entre les faiseurs de la loi, les régulateurs, les candidats, les électeurs... Bref par tous.
A titre de rappel, une fois le candidat élu et son élection validée, celui-ci ne peut siéger au parlement quà condition de ne pas avoir à résoudre un problème dincompatibilités de fonctions. La question des incompatibilités des députés est, donc, le dernier verrou à faire sauter avant la prise de fonction de député.
Une piqure de rappel des règles de droit déjà établies et dont il convient purement et simplement de respecter, simpose, même si une vue de tous les sujets gravitant autour de cette question des incompatibilités ne saurait être complète.
Faire la Distinction Entre les Incompatibilités et les Inéligibilités
Le régime des incompatibilités du statut des députés ne doit pas être confondu avec celui des inéligibilités.
Lincompatibilité peut être définie comme "la règle qui interdit à un parlementaire dexercer certaines occupations en même temps que son mandat". En dautres termes, il sagit dune impossibilité légale de cumuler certaines fonctions avec le mandat parlementaire.
Linéligibilité, quant à elle, se définie comme linterdiction de se présenter à une élection législative. A la différence de linéligibilité qui empêche dêtre candidat et fait obstacle à la validation de lélection, lincompatibilité nempêche pas à priori lélection. Lélu est seulement obligé de choisir, dans un délai de trente jours, entre son mandat parlementaire et la fonction jugée incompatible.
Comme laffirme si bien le doyen Georges VEDEL, "il convient de ne pas confondre incompatibilités et inéligibilités relatives. Les unes et les autres se différencient par leurs buts respectifs et par leurs effets. Le but de linéligibilité relative est dassurer la liberté de lélecteur ; son effet est dempêcher celui quelle atteint dêtre élu. Le but de lincompatibilité est de sauvegarder la liberté de lélu ; son effet est douvrir à celui quelle atteint une option entre le mandat et la situation réputée incompatible".
Pour une démarche plus cohérente, il faut placer lincompatibilité non pas avant lélection, mais plutôt après lélection. Lincompatibilité vise, en effet, à empêcher que la fonction publique ou privée des parlementaires vienne fausser leur rôle en tant que représentant de la nation. Doù la nécessité dexclure une certaine catégorie de personnes à travers le régime des inéligibilités et de prendre des précautions pour une autre catégorie de personnes à travers le régime des incompatibilités.
En pratique, sil est vrai que les deux régimes peuvent prêter à confusion, parce quils sont compatibles, il nen demeure pas moins que la distinction entre les deux régimes est fondamentale par pur respect de la loi.
La loi électorale n°9-2001 du 10 décembre 2001 modifiée et complétée par la loi n°5-2007 du 25 mai 2007 a définitivement circonscrit le régime des inéligibilités au Congo Brazzaville.
Outre les inéligibilités relatives aux conditions requises pour être candidats, les personnes exerçant les fonctions ci-après ne peuvent être candidats à une élection législative en République du Congo :
les magistrats ; les agents de la force publique ; les préfets et les sous-préfets ; les administrateurs-maires des communautés urbaines et les administrateurs délégués des communautés rurales ; les secrétaires généraux des collectivités locales et des circonscriptions administratives ; les secrétaires généraux ; les directeurs centraux des administrations publiques ; les membres de la Commission nationale dorganisation des élections ; les membres de la cour constitutionnelle ; les membres du Conseil économique et social ; les membres du Conseil supérieur de la liberté de communication ; les membres de la commission nationale des droits de lhomme ; le directeur général du trésor ; les directeurs départementaux du trésor ; les fondés de pouvoir du trésor ; les directeurs généraux, centraux, divisionnaires et départementaux des régies financières ; le personnel diplomatique et consulaire ; les secrétaires généraux, directeurs généraux et centraux des entreprises publiques et para publiques.
Le texte de 2007 a le mérite daller plus loin que celui de 2001, en élargissant la palette des fonctions inéligibles. Toutefois, des interrogations demeurent. Nexiste-t-il pas dautres fonctions à caractère public à mettre dans lescarcelle ?
Pourquoi, contrairement à la lettre de larticle 57 de la loi électorale de 2001, avoir ôté de la liste des inéligibilités les administrateurs-maires et les avoir maintenus sur celle des incompatibilités ?
Aussi, convient-il daffirmer, contrairement à une opinion déclarée, que les membres du gouvernement ne sont pas sous le coup de linéligibilité et peuvent être candidats dans une circonscription pendant lexercice de leurs fonctions. Doù lintérêt de ne pas confondre inéligibilité et incompatibilité.
Cadre Légal du Régime des Incompatibilités
Sur le strict plan du respect de lordonnancement juridique, lincompatibilité des députés résulte des textes fondamentaux ci-après :
- Constitution du 20 janvier 2002 ;
- Loi électorale n°9-2001 du 10 décembre 2001 modifiée et complétée par les lois numéros 5-2007 du 25 mai 2007 et 9-2012 du 23 mai 2012 ;
- Règlement intérieur de lassemblée nationale.
Ainsi, aux termes de larticle 95 de la constitution congolaise du 20 janvier 2002, il est indiqué : "Le mandat de député et de sénateur est incompatible avec toute autre fonction à caractère public. Les autres incompatibilités sont établies par la loi. En cas dincompatibilité, le député est remplacé par son suppléant. A la fin de lincompatibilité, le député retrouve son siège à lAssemblée nationale".
Le premier alinéa de ce texte appelle deux observations. La première est celle de considérer que la constitution congolaise impose un choix entre la fonction de député et le statut de fonctionnaire ou toute autre fonction à caractère public.
Pourrait-on considérer quil sagit dune exclusion absolue des fonctionnaires, comme dans certains pays ? Non.
Le principe énoncé par la constitution entend exclure non pas le fonctionnaire mais la fonction, le danger quelle pourrait introduire au sein de lassemblée nationale. Selon ce principe, le député élu ne peut exercer, pendant la durée de la mandature, les fonctions publiques. Celui-ci doit mettre entre-parenthèse sa carrière à la fonction publique, prendre une mise en disponibilité. En quelque sorte, sa vie administrative serait suspendue et comme absorbée par sa vie parlementaire.
Il convient de noter que le parlementaire nest pas démissionnaire de la fonction publique, car il ne perd pas sa qualité de fonctionnaire. Il conserve, en effet, ses droits à lavancement et à la retraite. Et, en fin de mandat, le parlementaire redevient fonctionnaire à part entière. Quoi de plus normal.
Il va de soi que le principe dincompatibilité des fonctions exercées antérieurement à lélection sapplique, également, à celles qui pourraient soffrir en cours de mandat.
Ce principe constitutionnel ne doit pas être éludé mais plutôt appliqué, car il est fondamental.
Cependant, la pratique témoigne quil y a des élus qui, par ignorance ou par improbité, pendant la durée de la mandature, ont continué à exercer en même temps les fonctions de parlementaire avec un emploi dans la fonction publique, avec tous les traitements et salaires y relatifs. Point nest besoin de préciser que de telles incongruités entrainent des dépenses supplémentaires à lEtat et renforce la méfiance de lopinion publique vis-à-vis des parlementaires.
Il serait, dailleurs, intéressant de faire une étude statistique des catégories socioprofessionnelles représentées dans la nouvelle assemblée nationale. Sans doute, les fonctionnaires obtiendront la majorité absolue.
Par ailleurs, une attention particulière devrait être apportée au cas des professeurs de lenseignement supérieur. Bien que les textes susvisés naient pas prévu de dispositions particulières, il est communément admis que leur cas constitue lexception au principe dincompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions publiques.
La deuxième permet daffirmer quil revient au législateur de décider quelle fonction compte-t-il rendre incompatible à la fonction parlementaire. Sur ce point, la loi électorale du 10 décembre 2001 modifiée et complétée par la loi du 25 mai 2007 permet, clairement, à son article 58, de lister les fonctions incompatibles au mandat parlementaire.
En langage simple, un député élu ne peut pas exercer en même temps, pendant la durée du mandat parlementaire, les fonctions précitées pour les inéligibilités (voir plus haut) auxquelles il convient de rajouter les fonctions ci-après : membre du gouvernement, membre de cabinet présidentiel et ministériel, membre de la cour suprême, secrétaire général de collectivité territoriale, administrateur-maire.
Le règlement intérieur de lassemblée nationale reprend les dispositions de la Constitution et de la loi électorale.
Le parlementaire qui, lors de son élection, se trouve dans lun des cas visés à larticle 58 de la loi électorale, est tenu détablir, dans le délai de trente jours qui suivent son entrée en fonction ou sa validation, quil sest démis des fonctions incompatibles avec son mandat.
Les incompatibilités telles que listées à larticle 58 de la loi électorale peuvent être regroupés en trois catégories :
1. Les incompatibilités avec les fonctions publiques ou mandats électifs
2. Les incompatibilités avec les fonctions ou mandats non électifs
3. Les incompatibilités avec les emplois et fonctions privées
Ce trop long et en même temps trop court article ne permet pas dexaminer, de manière exhaustive, les types dincompatibilités cités ci-dessus. Un développement y sera consacré dans un prochain article.
Toutefois, lactualité dominée par le probable remaniement gouvernemental commanderait un examen de lincompatibilité du mandat parlementaire avec la fonction ministérielle.
Incompatibilité Entre la Fonction de Député et la Fonction de Ministre
En effet, dans le souci de dégager les parlementaires des liens de dépendance quils pourraient avoir avec un autre pouvoir ou une autre autorité, les députés ne peuvent cumuler leur mandat avec les fonctions de membre du gouvernement et de toute autre fonction publique expressément énumérée à larticle 58 de la loi électorale.
Ainsi, lincompatibilité entre la fonction de député et celle de membre du gouvernement constitue la règle des régimes qui se réclament de la séparation des pouvoirs. Elle constitue, dailleurs, lun des aspects les plus caractéristiques dun régime présidentiel.
Raison gardée, il sagit dune séparation atténuée des pouvoirs -presque de façade- car le système de suppléance parlementaire mis en place par larticle 90 de la constitution ne permet pas de garantir, en toute sincérité, la séparation des pouvoirs entre lexécutif et le législatif.
Le suppléant ayant remplacé le député entré au gouvernement est et restera le relais de celui-ci à lassemblée nationale, pendant toute la mandature. Ce faisant, peut-on réellement parler dincompatibilité entre la fonction de député et celle de membre du gouvernement ?
La présence souvent massive mais non exclusive des parlementaires au sein du gouvernement rend la question intéressante.
Pourrait-on penser que le député nommé au gouvernement perd son mandat parlementaire le jour de sa nomination ? Cela justifierait le fait que celui-ci sortirait du législatif pour entrer dans lexécutif. Ce changement de nature donnerait un sens au principe de la séparation des pouvoirs, car la césure doit être complète entre les deux pouvoirs. Seulement, notre constitution na pas fait le pari du sacrifice.
En effet, daprès la constitution, le député devenu ministre perd son siège au profit de son suppléant. Le ministre retrouve automatiquement son siège sil sort du gouvernement.
Les liens étroits entre le député devenu ministre et son suppléant qui jouent, simplement, le rôle de garde-place, la dépendance du suppléant vis-à-vis du titulaire de par le choix intuitu personae que constitue le choix du suppléant et la pratique de la démission du suppléant à la demande de lancien titulaire du mandat sont autant de raisons daffaiblissement du régime de lincompatibilité entre la fonction de député et celle de membre du gouvernement et, partant, de laffaiblissement du principe de la séparation des pouvoirs.
Dans certains pays, le remplacement du suppléant est définitif pour toute la durée de la législature. Sous dautres cieux, une élection partielle est prévue.
Parfois source de conflit entre le titulaire devenu ministre et son suppléant, la suppléance pourrait être mieux organisée, afin déviter des déchirements entre autres sur les indemnités et autres avantages reçus.
En principe, le suppléant devrait percevoir exclusivement les indemnités et autres avantages accordés aux députés dès lors que le titulaire entré au gouvernement est considéré avoir perdu son mandat de parlementaire.
En pratique, cela na pas toujours été le cas. La césure entre le législatif et lexécutif est loin dêtre évidente.
Un prochain article sera consacré aux différents types dincompatibilités ainsi quau contrôle et sanctions en cas dincompatibilités.
Alpha ZINAL
Juriste, Coordonnateur du Cercle de Réflexion sur le Droit (CERED)