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LIBYE: Des tirs nourris à Tripoli


Alwihda Info | Par - 9 Juillet 2011


Dans la capitale libyenne, la vie quotidienne suit son cours, bien que la nervosité monte sensiblement. Par notre envoyé spécial, Christophe Boltanski.


Est-ce que Tripoli se sent menacée par l'avancée des rebelles ?
 - Les rebelles sont dans les montagnes, encore loin de Tripoli. Ils ont annoncé avoir pris la ville de Goualich il y a deux jours, qui est encore au moins à 60 km de la capitale. Ils visent deux objectifs. Le premier, c'est de prendre Bir Al-Ghanam, en bas de la montagne, donc pratiquement dans la plaine. Située à 50 km de Tripoli, soit à portée d'obus, cette ville commande la route vers Zaouia. C'est par là que Tripoli s'approvisionne depuis la Tunisie. C'est aussi là que se trouve la grande raffinerie qui permet d'alimenter en essence la région. Le but est donc d'asphyxier Tripoli. Dans la même logique, le deuxième objectif des rebelles consiste à prendre la ville de Gharyane, un peu plus au sud, qui commande la route de Sabha, autre lieu important d'approvisionnement, cette fois en provenance d'Algérie. Si ces deux verrous sautent, le régime se trouvera dans une situation très difficile.
Sent-on la nervosité monter dans la capitale ?
- Il y a comme un frémissement. Depuis quelques jours, on entend de plus en plus de coups de feu. Dans plusieurs quartiers périphériques de la ville réputés pour être des bastions anti-régime, les habitants disent que, la nuit, il y a des tirs. On ne peut pas les confondre avec des tirs de joie, ce qui est monnaie courante ici. Ce sont bien des échanges de tirs entre rebelles et militaires.
 
Comment la guerre marque-t-elle la vie quotidienne à Tripoli ?
- La ville manque d'essence. Au marché noir, le litre d’essence vaut 5 dinars. Pour un plein, il faut sortir entre 100 et 200 dinars. Sachant que le dollar est à 1,70 dinar, cela revient très cher. Résultat, on voit moins de voitures dans les rues qu’en temps normal. Dans l’ensemble, une grande partie de l’activité s’est arrêtée. Par exemple, les juges désertent les tribunaux,  beaucoup de fonctionnaires ne vont plus travailler. La vie tourne au ralenti. Mais à part ça, il y a une apparence de tranquillité. Les boutiques du centre-ville sont, dans leur majorité, ouvertes, bien qu’il y ait peu de clients. Mais lorsque la nuit tombe, on voit les barrages se multiplier. Les habitants s'inquiètent d'une montée de l’insécurité : cambriolages, agressions, etc. C’est un phénomène nouveau à Tripoli, qui est à l’évidence dû au fait que les forces de sécurité ont d’autres préoccupations, en ce moment, que le maintien de l’ordre public.
 
Personne ne cherche à fuir la ville ?
- Les rebelles qui sont dans la montagne racontent qu’ils voient des réfugiés quitter Tripoli. Mais dans la ville elle-même, je n’ai vu personne faire ses bagages avec le projet de fuir.
 
Kadhafi bénéficie-t-il encore vraiment de soutiens ?
- Oui, il doit avoir encore des soutiens, ne serait-ce que chez ses traditionnels affidés et dans les grandes tribus. Ainsi, alors que je traversais une ville située dans le fief de la tribu des Warfalas, on m’a dit que les barrages étaient tenus par des personnes du clan. Sur leurs maisons flottait le drapeau vert, symbole du régime. A Beni Walid aussi, j’ai eu l’impression que pas mal de monde restait fidèle à Kadhafi. Syrte, la ville natale du colonel, m’a également donné le sentiment que le soutien affiché à Kadhafi était sincère. A Tripoli, des habitants disent qu’ils sont prêts à se battre pour Kadhafi. Mais il y a en a, aussi, qui, malgré la peur, osent nous parler et nous dire, à nous les étrangers de passage, qu’ils ne veulent plus de lui.
 
Quelle liberté de mouvement le régime laisse-t-il aux journalistes étrangers ?
- Il cherche à regrouper tous les journalistes présents à Tripoli dans l’hôtel Rixos. On n’est pas censé en sortir sans un "minder" [barbouze en anglais, ndlr.]. Hier, deux journalistes du Guardian et du Telegraph ont été expulsés car ils étaient partis, sans prévenir, dans des quartiers situés à la périphérie de la ville pour y discuter avec des opposants.
 
A-t-il les moyens de repousser les rebelles ?
- Il y a différents fronts qui avancent : à Brega, à Misrata, et deux ou trois autres fronts dans le Djebel [la zone montagneuse, ndlr.]. La question qui se pose est donc de savoir si le régime est à même de pouvoir lutter sur trois ou quatre fronts à la fois. Est-ce que cette multiplication des offensives peut avoir pour effet d’accélérer la chute du régime, avec des défections en plus grand nombre ?
Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand, le vendredi 8 juillet 2011  Le Nouvel Observateur

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