ANALYSE

La renaissance du Tchad


Alwihda Info | Par - 12 Novembre 2013


L'événement est passé inaperçu. Le Tchad a été élu au Conseil de sécurité pour une période de deux ans à partir de janvier prochain. Sans qu'il y paraisse, cet État d'Afrique centrale considéré il y a peu comme «failli» est en train de devenir un membre respecté de la communauté internationale et une puissance régionale avec laquelle il faut compter dans ce coin du continent particulièrement dangereux.


Le Tchad revient de loin. Devenu indépendant en 1960, il n'a jamais vraiment connu de moments heureux. Le sous-développement, les coups d'État, les rébellions, les interventions étrangères et la guerre civile ont été son lot quotidien. Le Tchad est d'ailleurs toujours classé comme un État fragile, et les statistiques à son égard sont déprimantes à consulter.
Le 14 octobre, la Fondation Mo Ibrahim, du nom du célèbre milliardaire anglo-soudanais, a publié son classement annuel de la gouvernance africaine. Les bons élèves sont toujours les mêmes: Maurice, Botswana, Cap-Vert, Namibie et Afrique du Sud. Les mauvais aussi: Tchad, République centrafricaine, Érythrée, Somalie et République démocratique du Congo. Le Tchad est classé 48e sur 52 pays africains étudiés. Il n'a pas bougé depuis 2000. Le tableau n'est donc pas brillant. Et pourtant.
«Je ne sais pas où cette fondation puise ces informations pour établir son classement, mais la réalité ne correspond pas tout à fait à ce tableau», dit la toute jeune secrétaire d'État aux Affaires étrangères, chargée des Tchadiens de l'étranger, Kassire Isabelle Housna.

 
La ministre n'a pas tort. C'est vrai, le pays demeure très pauvre, son indice de développement est un des plus bas au monde, et la situation des droits de la personne et des droits politiques est déplorable. Pourtant, il y a encore cinq ans, le Tchad était au fond du baril. Il sortait alors de 25 ans de guerres, et une milice venue du Soudan avait pratiquement capturé le président Idriss Déby dans son palais de N'Djaména. Depuis, le pays a amorcé sa reconstruction et espère dès 2025 rejoindre la catégorie des États émergents.
Il a quelques atouts pour y arriver, même si plusieurs ici n'y croient pas vraiment. Sur le plan économique, le pétrole, exploité depuis dix ans, rapporte des centaines de millions chaque année et finance un programme de construction d'écoles, d'hôpitaux et d'infrastructures dans un pays deux fois grand comme la France. 
Sur le plan politique, le pouvoir et l'opposition sont en mode dialogue, ce qui a au moins l'avantage d'apaiser les esprits. Les médias sont souvent virulents envers le gouvernement, et la société civile est en pleine expansion malgré un pouvoir à la main de fer qui n'hésite pas à emprisonner des journalistes ou à exercer des violences sur certains opposants. Enfin, sur le plan sécuritaire, l'armée contrôle le territoire pour la première fois depuis cinquante ans. Ce n'est pas rien lorsque le voisinage est très turbulent: Libye, Soudan, Niger, Centrafrique et Nigeria.
Cette stabilité toujours fragile, appuyée par une armée forte, permet désormais au Tchad de jouer le rôle de puissance régionale. En janvier dernier, le gouvernement a envoyé 2000 militaires au Mali combattre aux côtés des forces françaises. Quelque 400 autres assurent la sécurité à Bangui, capitale de la Centrafrique. Longtemps confrontés aux assauts de guérillas et de milices internes et externes, les soldats tchadiens se sont forgé une réputation de durs au combat et ils participent pleinement à la lutte antiterroriste dans le Sahel.
Cette nouvelle donne, le Tchad en bénéficie. Il a été élu au Conseil de sécurité de l'ONU avec 184 voix sur 191 votants. Et à N'Djaména, les élites ne parlent que de ça, en espérant un jour que cela fera mentir le classement de la Fondation Mo Ibrahim.

Jocelyn Coulon
L'auteur est directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix, affilié au CÉRIUM de l'Université de Montréal. Il est en mission d'étude au Tchad et en République centrafricaine.



 


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