Droit et Justice

Le débat juridique autour de l'interdiction du port du voile intégral dans l'espace public


Alwihda Info | Par Mélissa Sidibé - 6 Février 2019


La France, premier pays à interdire le port du voile intégral dans l’espace public.
Si la dissimulation volontaire et systématique du visage pose problème, c’est parce qu’elle est tout simplement contraire aux exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans la société française[1].


La France, premier pays à interdire le port du voile intégral dans l’espace public.
Si la dissimulation volontaire et systématique du visage pose problème, c’est parce qu’elle est tout simplement contraire aux exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans la société française[1] .
 
La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public prévoit en son article premier que « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage »[2]
Cette loi concerne de fait le port du niqab (voile qui cache toute la silhouette de la femme et ne laisse apparaître que les yeux) et celui de la burqa (voile dissimulant la femme de la tête aux pieds, grillagée à hauteur des yeux).
La loi du 11 octobre 2010 instaure dans le même temps la contravention de deuxième classe de port d’une tenue destinée à dissimuler son visage dans l’espace public.
 
C’est en raison d’un risque pour la sécurité publique que la loi du 11 octobre 2010 trouve sa raison d’être (I). Cependant, cette loi demeure toujours source d’incertitude quant à sa réelle application (II).
  Les raisons d’être de la loi du 11 octobre 2010 Une loi conforme aux principes fondamentaux  
Le législateur peut-il prononcer des interdictions générales limitant la liberté individuelle au nom d’une vision renouvelée de l’ordre public ?
 
La réponse à cette question est apportée par le Conseil constitutionnel, par décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010[3].
Le Conseil constitutionnel décide que la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public est conforme à la Constitution, estimant que les dispositions sont établies à des « fins de protection de l’ordre public ».
 
Dans un arrêt en date du 5 mars 2013[4], la prévenue entendait attaquer la loi du 11 octobre 2010 qui, selon elle, violait l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme[5] garantissant la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Pour la chambre criminelle, en l’espèce le maintien de la dissimulation du visage dans un commissariat de police, porte atteinte à l’ordre public et ne peut entrer dans l’exercice de la liberté de religion.
 
Pour la Cour européenne des droits de l’Homme, « la question du port ou non du voile intégral dans l’espace public constitue un choix de société ».
Dans un arrêt, de la Cour européenne des droits de l’Homme, S.A.S c. France en date du 1er juillet 2014[6], la Cour conclut que l’interdiction posée par la loi française[7] peut passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir « la protection des droits et liberté d’autrui ».
  Une législation similaire à la France : le cas de la Belgique  
La Belgique, dans la même lignée que la France adopte une loi entrée en vigueur en juillet 2011 prévoyant que les personnes qui « se présentent dans l’espace public le visage masqué ou dissimulé, en tout ou en partie, par un vêtement de manière telle qu’ils ne soient identifiables » seront punis d’une amende et/ou d’une peine de prison.
 
Dans deux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’Homme le 11 juillet 2017[8] , celle-ci juge que l’interdiction du port d’une tenue cachant le visage dans l’espace public belge vise à garantir les conditions du vivre ensemble et peut passer pour nécessaire dans une société démocratique.
 
            À l’instar de la situation qui s’est présentée en France en 2014, la question de l’acceptation ou non du port du voile intégral dans l’espace public belge constitue un choix de société.
  Une loi source d’incertitude Les réticences antérieures à l’adoption de la loi du 11 octobre 2010  
Le Conseil d’État déconseillait qu’une loi d’interdiction générale soit adoptée, considérant la trop grande fragilité juridique de ses fondements juridiques.
En revanche, le Conseil d’État estime concevable de prohiber par voie législative la dissimulation du visage dans de nombreux lieux ou circonstances pour lesquels les exigences de la sécurité publique apportent une justification sérieuse.
En somme, la loi du 11 octobre 2010 est une loi prohibant le port, par certaines femmes musulmanes, d’une tenue à motivation ou connotation religieuse et place dans une situation d’infériorité par rapport à l’homme.
Pour le Conseil d’État, les principes fondamentaux de protection de la dignité et de l’égalité entre les hommes et les femmes ne peuvent faire obstacles à l’exigence de protection du libre arbitre, et sont insusceptibles de fonder une interdiction générale du port du voile intégral. Une loi sujette à révision Il est des lieux dans notre pays où la loi du 11 octobre 2010 n’est pas respectée. Les 150 euros d’amende ne sont pas dissuasifs et les condamnations trop rares[9]. En outre, depuis 2015, aucun chiffre relatif au nombre de contrôles de personnes portant une burqa n’a plus été rendu public.
Saisi en 2016, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU condamne la France, et est d’avis que l’interdiction générale à caractère pénal que la loi française impose à ceux qui porte le niqab en public, a porté atteinte de manière disproportionnée aux droits des plaignants de manifester leur religion[10].
Le Comité des droits de l’Homme estime que la loi du 11 octobre 2010 est à l’origine d’une « discrimination croisée basée sur le sexe et la religion ».
En tout état de cause, les avis du Comité des droits de l’Homme de l’ONU n’ont aucun caractère contraignant. Mais, « ces deux décisions » du 23 octobre 2018, pourraient réveiller le débat sur l’interdiction du voile intégral dans l’espace public. Le Comité des droits de l’Homme demandant à la France de réviser sa loi contre le voile intégral.
            En définitive, le premier président de la Cour de cassation, Bertrand LOUVEL a prévenu tenir compte de l’interprétation du Comité des droits de l’Homme, en raison de « l’autorité qui s’y attache de fait ».

Mélissa Sidibé,
Juriste, contentieux privé.
 
[1] Exposé des motifs de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public
[2] Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, JOFR n° 0237 du 12 octobre 2010
[3] Décision n° 2010-613 DC du 07 octobre 2010 – Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public
[4] Cass. crim., 5 mars 2013, n° 12-80.891, P
[5] Art. 9 CEDH, « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
 
[6] CEDH, 1er juill. 2014, n° 43835, S.A.S. c/ France
[7] Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
[8] CEDH, 11 juill. 2017, n° 37798/13 ? B. et O. c/ Belgique et CEDH, 11 juill. 2017, n° 4619/12, D. c/ Belgique
[9] « Entre le 11 octobre 2010 et le 1er septembre 2015, 1.623 personnes ont été contrôlées en France, dont 908 femmes portant la burqa. 1546 personnes ont écopé d’une amende de 150 euros et 77 autres ont reçu un simple avertissement. En 2015, le nombre de condamnations avait baissé ». Assemblée nationale. Question n° 13336, du 16 octobre 2018. Ordre public, JO 11 décembre 2018.
[10] Quatre ans plus tôt, deux Françaises avaient été condamnées « pour avoir porté en public des vêtements qui avaient vocation à couvrir tout leur corps, y compris leur visage » en violation de la loi du 11 octobre 2010.

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