Pays émergents frappés par l'effondrement des cours des matières premières, commerce mondial perturbé et risque de déflation: l'économie mondiale, soutenue par le colossal essor de la Chine ces dernières années, est aujourd'hui menacée par son ralentissement.
Le Fonds monétaire international (FMI) n'y va pas par quatre chemins: il a exprimé mardi son inquiétude sur les "répercussions" de l'essoufflement du géant asiatique "sur d'autres pays par la voie du commerce et du recul des cours des produits de base", peu après la publication des chiffres de la croissance chinoise en 2015.
Avec une croissance qui a reculé à 6,9% l'an dernier, le niveau le plus bas depuis 25 ans, l'économie chinoise s'essouffle et ce sont les pays émergents qui en subissent d'abord les conséquences.
"Les pays producteurs de matières premières sont déjà en train de payer le prix fort" de la chute des cours provoquée par la chute de la demande chinoise, a expliqué à l'AFP Christine Rifflart, auteur d'une récente étude de l'OFCE intitulée "Pays émergents: la fin de la très grande illusion".
"Ce ralentissement marqué en Chine engendre des dégâts collatéraux qui se traduisent par des récessions très marquées dans les pays exportateurs de matières premières" qui se retrouvent avec des dettes importantes accumulées en période de croissance, quand il leur était facile de se financer sur les marchés, a-t-elle ajouté.
"Nous sommes beaucoup plus inquiets sur les perspectives des pays émergents hors Chine et, en particulier, les pays producteurs de matières premières" que par le ralentissement du géant asiatique, a reconnu Jean-Michel Six, le chef économiste de l'agence de notation Standard and Poor's pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique.
Des marges de manoeuvre très faibles
"Leurs marges de manœuvre sont très faibles", admet Mme Rifflart. D'autant que les Etats-Unis ont commencé en décembre à resserrer leur politique monétaire.
Par conséquent, ces pays font face "en même temps à une dégradation continue du côté chinois et à un resserrement de la politique monétaire américaine", ce qui pénalise leur capacité d'emprunter sur les marchés financiers pour combler la chute de leurs revenus.
L'économiste de l'OFCE est pessimiste. "Le ralentissement chinois se produit à un moment où la situation des émergents est déjà très dégradée. Je ne vois pas les ressorts de la croissance à moyen terme pour les pays producteurs de pétrole ou exportateurs de matières premières", a-t-elle expliqué.
Avec la croissance chinoise qui recule et les pays émergents qui se retrouvent sous la menace de la récession, le commerce mondial est également pénalisé. "Il y un effet domino, via des effets réels comme le ralentissement de la demande et donc baisse du commerce", juge Mme Rifflart.
Les pays développés ne sont pas épargnés. En Europe, par exemple, l'Allemagne se retrouve dans une situation inquiétante: Berlin expédie en effet près de 7% de ses exportations vers la Chine. Une situation qui, par ricochet, expose aussi les pays voisins.
En outre, pour faire face à la chute de la demande interne, l'industrie chinoise cherche à écouler sur le marché mondial ses excédents à des prix défiant toute concurrence, bénéficiant d'une devise qui s'affaiblit face au dollar.
"Avec ses surcapacités, la tentation existe pour le géant asiatique de vouloir vendre davantage de produits à l'étranger. C'est un risque déflationniste pour le reste du monde", assure Olivier Garnier, chef économiste groupe à la Société générale.
Cette tendance n'arrange pas les affaires de la Banque centrale européenne (BCE), qui aura bien du mal à atteindre son objectif de 2% d'inflation cette année avec la chute des prix des importations chinoises, couplée à l'effondrement des prix du pétrole et des matières premières.
Dans des secteurs industriels, comme la sidérurgie, l'Europe et les Etats-Unis ont déjà commencé à sentir les effets du ralentissement chinois, comme l'a récemment dénoncé le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, qui a demandé la mise en place de mesures pour protéger l'industrie européenne.
Que peut faire Pékin ?
La croissance chinoise a ralenti à 6,9% en 2015, son plus faible niveau depuis 25 ans: un signal inquiétant pour l'économie mondiale, encore dépendante du géant asiatique, mais qui pourrait ouvrir la voie à des mesures de relance accrues de la part de Pékin.
Est-ce important pour le reste du monde ?
La Chine est la deuxième économie de la planète, et l'un des principaux contributeurs à la croissance mondiale. Elle est la première puissance commerciale du globe, et un gros importateur de matières premières.
De l'Union européenne aux Etats-Unis (ses deux principaux partenaires commerciaux), de l'Afrique à l'Australie, nul n'est épargné par l'influence chinoise: que ce soit via les prix du pétrole, des métaux et du minerai de fer subis par les pays producteurs, ou par la demande de biens de consommation auprès des pays développés.
Les investisseurs étrangers peuvent aussi être directement touchés par les turbulences des Bourses mondiales, qui avaient lourdement trébuché début janvier dans le sillage des places chinoises.
Bonne ou mauvaise nouvelle ?
Le chiffre de la croissance chinoise, a faire pâlir d'envie les pays européens, est conforme aux anticipations du marché et à l'objectif d'"environ 7%" que s'était fixé le gouvernement. Celui-ci a évoqué une croissance "modérée mais stable".
Pékin vante la "nouvelle normalité" d'une croissance moindre mais plus durable, fruit de ses efforts pour rééquilibrer l'économie vers la consommation intérieure, l'innovation et les services, en diminuant la dépendance à l'égard des exportations et des investissements dopés par l'endettement.
Mais l'essoufflement du géant asiatique traduit des tensions inquiétantes dans le pays -- notamment la dégradation rapide du secteur industriel, miné par les surcapacités.
Le fort endettement des entreprises et collectivités locales, tout comme la montée des risques de défauts de paiement sont d'autres facteurs d'inquiétude.
Pourquoi la Chine ralentit-elle ?
Ses exportations ont reculé l'an dernier, dans un contexte de conjoncture internationale terne, et le secteur de l'immobilier, en plein refroidissement après des années de surchauffe, peine à se reprendre: or, il s'agit de deux piliers de l'économie chinoise.
En raison d'exportations en déclin et d'une demande interne morose, l'activité manufacturière se contracte et la production industrielle ralentit sévèrement. De son côté, le secteur des services est en plein essor mais ne progresse pas suffisamment vite.
Plus alarmant: les flux de capitaux hors du pays se sont nettement intensifiés ces derniers mois, en réponse à la dépréciation du yuan encouragée par Pékin après une soudaine dévaluation de la monnaie en août.
Les chiffres officiels sont-ils fiables ?
"Les chiffres que nous publions sont véridiques et dignes de foi", a insisté mardi le patron du BNS, Wang Bao'an.
Mais nombre d'experts affichent leur scepticisme, d'autant que le PIB annuel est publié avec une rapidité déconcertante pour une économie de cette taille, à peine trois semaines après la fin décembre.
L'actuel Premier ministre Li Keqiang lui-même avait naguère exprimé ses doutes envers des statistiques "bricolées".
En se basant sur des indicateurs d'activité, certains analystes estiment que la croissance chinoise réelle pourrait être bien moins élevée, voire de tout juste 4,5% au quatrième trimestre selon le cabinet Capital Economics.
Que peut faire Pékin ?
De l'avis général, soucieux de stimuler l'activité et de ménager l'emploi, le gouvernement devrait abaisser encore davantage ses taux d'intérêt et intensifier sa relance budgétaire, c'est-à-dire les dépenses publiques.
La perspective de telles mesures a d'ailleurs fait bondir mardi les Bourses chinoises.
La priorité donnée à la réduction des surcapacités industrielles et au désendettement -- notamment via des restructurations profondes des groupes d'Etat -- devrait cependant continuer de peser sur l'économie.
Par ailleurs, la gestion hasardeuse et inefficace des turbulences boursières depuis l'été et la dévaluation brutale du yuan ont révélé l'interventionnisme persistant des autorités.
Ce qui avive les interrogations sur la capacité de Pékin à mener à bien les réformes structurelles promises, censées renforcer le secteur privé et accompagner le "rééquilibrage" du pays.