REPONSE A UN CHANTRE DE LA DIVISION
Fatiguée de ses bisbilles politiques, épuisée par ses guéguerres ethniques, la RCA s’est offert une guerre confessionnelle, la guerre de trop, qui pourrait avoir raison de son existence.
J’avais lu, en diagonale, au mois de mars, un article de monsieur Hamat Mal- Mal Essène qui tentait de justifier la partition de la RCA. A l’époque, je ne croyais pas à la partition et donc je zappais la plupart des articles écrits sur ce sujet. Je pense aujourd’hui que j’avais tort. Car la partition de la Centrafrique, loin d’être une vue de l’esprit, commence à prendre forme : une capitale existe ( Bambari ), une armée ( l’ex-Séléka ) et un chantre, Hamat Mal-Mal Essène qui a récemment publié, sur Alwihda son > Cet article est le troisième que ce monsieur, en quelques mois, publie sur la sécession du nord Centrafrique. Dire qu’il est obsédé par ce thème, c’est peu dire. Il précède les politiques et leur balise le chemin, les étapes de la sécession, prévoit les infrastructures de la nouvelle République, ses éventuelles difficultés etc. Il ne fait aucun doute dans son esprit que son projet aboutira.
LE NOM DE LA REPUBLIQUE
On a d’abord trouvé la République du Nord Oubangui. Mais c’était un peu réducteur. On pourrait accuser les musulmans d’avoir pris prétexte d’un conflit qu’ils ont provoqué pour faire sécession et se replier dans le nord, leur région d’origine. Non, non et non. On va trouver mieux : la République du Nord-Est de Centrafrique. Du coup, la nouvelle entité s’élargit vers l’est et englobe des populations en déshérence, sans cesse harcelées par les assassins de Joseph Kony. Première observation : cette République du Nord-Est est plus vaste que son nom, puisqu’elle recouvre le centre et le sud de la Centrafrique. Deuxième observation : ni les sécessionnistes ni leur chantre ne sont parvenus à rompre toutes les attaches avec la mère patrie. Ils n’ont pas choisi, pour désigner leur nouvelle République, un symbole de leur région. De leur nord natal, ils ont choisi un symbole national, l’Oubangui qui coule au sud. Mais cette première appellation, l’Oubangui du Nord, qui ne présente pas de parenté onomastique avec la Centrafrique et qui aurait pu les différencier du pays qu’ils souhaitaient quitter, a été abandonnée, au profit de la Centrafrique du Nord-Est. Comme si nos compatriotes musulmans ne voulaient pas couper les ponts avec la mère patrie.
Monsieur Hamat Mal-Mal Essène n’est pas n’importe qui. Enseignant-chercheur à l’université de Bangui, il sait qu’il court derrière un mirage, après avoir enterré, dans son esprit, la pauvre République qui a fait de lui ce qu’il est.
GENESE D’UNE PARTITION VIRTUELLE
Au plus fort de la tempête Séléka, des dizaines de milliers de Centrafricains à l’ouest s’étaient exilés dans les pays limitrophes, dans les forêts et les évêchés. Personne, aucun parti politique n’avait alors songé, pour se débarrasser de cette nébuleuse, à la partition du pays. On ne saucissonne pas la République au gré des problèmes qu’on lui crée.
L’idée de partition a germé comme un pis-aller, un plan B dans l’esprit de la Séléka, quand elle s’était retrouvée en mauvaise posture, pratiquement en débandade. Harcelée par ceux qu’elle martyrisait, pourchassée par ceux qu’elle pourchassait, la soldatesque de Djotodja s’était repliée sur Sibut, Kaga-Bandoro, puis Bambari, pour semble-t-il, reprendre ses esprits et conspirer de nouveau. La ville de Bambari, épargnée par les atrocités qui se déroulaient à Bangui et à l’ouest du pays, était alors considérée comme un havre de paix. Elle n’allait pas tarder à connaître le sort de Bossangoa, et même pire, puisque les évêchés n’étaient plus considérés comme des sanctuaires, mais des blockhaus, des casemates, en somme des objectifs militaires à neutraliser. Si l’on pouvait hiérarchiser l’horreur, on mettrait la RCA à son sommet. Acculée, cernée de toutes parts, rendue impopulaire par ses exactions, l’ex-Séléka n’a plus en main que la stratégie du chaos pour se maintenir dans quelques villes, préfectures et régions. Cette partition ressemble fort à une occupation pure et simple. Elle ne ressort pas d’une démarche spontanée des populations autochtones, mais n’est que l’émanation d’une nébuleuse cosmopolite. Elle ne prendra jamais, comme l’écrit Hamat Mal-Mal Essène >. On va rappeler à ce monsieur, que les Biafrais, les Ibos en l’occurrence, population minoritaire, n’avaient pas envahi, puis soumis tout le reste du Nigéria à un pouvoir dictatorial, comme la Séléka l’a fait en Centrafrique. Chassés du nord par les Haoussas, les Biafrais ne se sont pas emparés du territoire des Yoroubas, ethnie majoritaire au sud, pour faire sécession. Ils sont retournés sagement dans leur région pour proclamer leur indépendance. Une indépendance qui ne durera que le temps de la guerre du Biafra, laquelle a fait deux millions de morts. Pour rien. Puisque la sécession a été réduite. Le chantre de la partition centrafricaine a été particulièrement mal inspiré de donner cet exemple. La guerre du Biafra avait toutes les apparences d’un conflit religieux : les sécessionnistes Ibos étaient chrétiens alors que l’armée fédérale qu’ils combattaient comptait dans ses rangs une écrasante majorité de musulmans haoussas du nord. Mais ni ceux-ci ni ceux-là n’ont cherché, à aucun moment du conflit, à instrumentaliser la religion.
IL FAUT TOUT POUR FAIRE UN MONDE
La religion, dans les deux dernières tribunes de monsieur Hamat Mal-Mal Essène, divise la Centrafrique en deux camps irréductibles : les chrétiens et les musulmans. Or le dernier recensement reconnaissait à notre pays trois principales religions : le christianisme (quatre-vingts pour cent), l’islam (dix pour cent) et l’animisme (dix pour cent). La CIA, plus perspicace que les recenseurs centrafricains, fait monter le pourcentage des animistes à trente-cinq pour cent. Ce qui, à mon avis, est encore loin de la vérité. La vérité, c’est que la population centrafricaine est majoritairement animiste. On ne peut donc pas l’enfermer dans un face-à-face islamo-chrétien dont chacun voit bien qu’il est fort réducteur et porteur de zizanie, pour un pays laïc.
Il faut tout pour faire un monde. Et donc la RCA doit s’enrichir de ses religions, mais aussi de ses païens et surtout de ses agnostiques. Car dans un monde dominé par la science et le doute, il est illusoire de vouloir occulter cette dernière catégorie.
La crise centrafricaine a évolué d’une simple rébellion à un inextricable conflit religieux. La dernière preuve qu’il s’agit bien d’un conflit religieux, c’est qu’on pense le résoudre en confiant le poste de Premier ministre à un musulman. Cela suffira-t-il à calmer la pyrexie sécessionniste de monsieur Hamat Mal-Mal Essène ? Il est permis d’en douter. D’autant que dans les accords de N’Djaména, que personne n’a vu mais que les ex-Séléka invoquent à propos de tout et de rien, on aurait prévu de leur donner aussi les portefeuilles de la Défense, de l’Intérieur et des Finances publiques. On voit bien à travers ces revendications, que l’objectif premier de la Séléka c’était l’amélioration des conditions de vie des musulmans. Les prédécesseurs de Djotodja favorisaient leurs ethnies, lui est venu favoriser ses coreligionnaires. Il n’a pas instrumentalisé l’islam pour servir un pays laïc. En Centrafrique, le conflit religieux n’est, en réalité, que l’ instrumentalisation de la religion. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité que les hommes se sont servis de la religion pour parvenir à leurs fins. Souvenez-vous des nomades Hébreux. Quand ils ont décidé de se sédentariser, ils se sont emparés de Canaan, au nom de leur Dieu.
DE PARTI PRIS PROMUSULMAN
Les textes de monsieur Hamat Mal-Mal Essène sont destinés à ses coreligionnaires, ceux de Centrafrique et ceux de l’étranger. Ils ont d’ailleurs été publiés sur Alwihda, ce qui en soi n’est pas un crime. Prêchant des convertis donc, ce monsieur ne pouvait pas ne pas recourir à la rhétorique de la victimisation : > Cette phrase introductive du texte publié au mois de mars est caractéristique de la démarche de l’auteur, laquelle recourt à l’à-peu-près, à la caricature, aux arguments spécieux et aux mensonges pour convaincre ou tenter de convaincre du bien-fondé de la sécession des musulmans. D’emblée, ceux-ci sont opposés aux autres Centrafricains, dans une vision manichéenne qu’il s’efforce de masquer en alliant aux musulmans les >. Tous ceux qui connaissent un tant soi peu l’histoire de la Centrafrique répondront à ce monsieur que le président centrafricain gouverne généralement avec les gens de son ethnie, disposés en cercles concentriques autour de lui, pour surveiller les autres ethnies ostracisées, qui pourraient être tentées par un coup d’Etat.
Mais revenons au texte. Le rappel historique étant posé, monsieur Hamat Mal-Mal Essène passe aux raisons de la partition. Il suffit de les parcourir pour constater que, dans sa démarche visant à travestir la vérité, l’enseignant-chercheur fait peser sur les seuls musulmans le poids des maux dont souffrent tous les Centrafricains, voire tous les Africains : >
En mettant la main à la poche, on participe à cette dépravation, on contribue à sa pérennisation. Peut-on soutenir sérieusement qu’en Centrafrique, seuls les musulmans sont rackettés et rançonnés ? Qui peut croire qu’ils sont les seuls victimes de la corruption ? On peut, tout au plus, concéder que nos compatriotes musulmans étant des commerçants, des convoyeurs de marchandises, ils ont deux fois plus de risques de tomber sur des policiers et des gendarmes désargentés que les autres professionnels. Car la corruption, qui gangrène tous les corps de l’Etat dans les pays pauvres, est entretenue par la misère. Ce n’est pas un hasard si le pays le plus corrompu du continent africain, selon le dernier classement de Transparency International, est la Somalie.
Dans nos écoles aujourd’hui, les enseignants qui, autrefois, vivaient relativement bien de leurs salaires, se sont paupérisés. Ils totalisent plusieurs mois d’arriérés de traitements. Dans ces conditions, m’a dit l’un d’eux, quand un élève te donne de l’argent, tu ne peux pas le refuser. Et ce ne sont pas que les musulmans qui donnent. L’appauvrissement du pays est tel que pratiquement tous ses services publics sont, d’une manière ou d’une autre, tarifés.
Une autre raison qui justifie la partition, selon monsieur Hamat Mal-Mal Essène, c’est >
Des centaines de milliers de Centrafricains non-musulmans n’ont pas de cartes nationales d’identité. Il s’agit apparemment d’une carence administrative et non d’un > discriminatoire. Mais qui veut noyer son chien l’accuse de tous les maux. Chacun sait qu’en Centrafrique tout est centralisé à Bangui. Pour obtenir un passeport ou une carte nationale d’identité, quand on habite en province, il faut se déplacer, il faut payer, il faut graisser des pattes, comme l’a reconnu l’enseignant-chercheur. Qui s’est bien gardé de préciser que ceux qui ont les moyens, de par leur métier, de s’offrir des passeports et des cartes nationales d’identité, ce sont bien les musulmans.
On va arrêter la polémique avant les accusations de >, de > et d’ portées contre les Centrafricains. Personne ne nie que des civils musulmans aient été tués, voire massacrés. Mais de là à crier au génocide, il y a un pas que les témoins impartiaux du drame centrafricain n’ont jamais franchi. Ils ont toujours soutenu que la violence des Antibalaka répondait à une violence d’Etat, celle de la Séléka : La Séléka, écrit International Crisis Group dans son rapport du 2 décembre 2013, s’est disloquée en une multitude de groupes armés qui commettent de nombreuses exactions et provoquent la réaction des milices d’auto-défense et un conflit confessionnel.
LE DERNIER MOT
Koulayom-Masséyo David du Forum de Reims avait écrit, dans une de ses tribunes, que le mot sango séléka serait désormais péjorativement connoté. Je ne pensais pas que la preuve nous en serait donnée par le secrétaire général adjoint de l’ex-coalition. Eh bien ! je me suis encore trompé : le nom Séléka ne figure pas dans le dernier texte de monsieur Hamat Mal-Mal Essène, son > publié le 5 août sur Alwihda. Il relève aujourd’hui du registre vulgaire, voire ordurier. Il est devenu lourd à porter, terrible et sulfureux pour ceux-là mêmes qui le brandissaient naguère comme un trophée. En le bannissant de son dernier article, le secrétaire général adjoint de l’ex-Séléka reconnaît implicitement que son mouvement a galvaudé un vocable de la langue nationale. Cette reconnaissance est, si l’on peut dire, une évolution, par rapport au texte du 16 mars >, dans lequel, il avait maladroitement tenté d’absoudre sa coalition : >
Pourquoi cette évolution ? Parce que sous Djotodja déjà le mot séléka renvoyait dans l’imagerie populaire aux exactions de la Séléka. Il était donc synonyme d’exactions mais aussi de djihadisme. Il représentait pour Djotodja devenu président un véritable boulet : il ne pouvait même pas sauver les apparences. Il a donc dissous sans la condamner sa coalition, en espérant que son nom honni et vilipendé finirait par disparaître avec le temps. Mais il survivra, dans le pire des cas, à la Centrafrique, pour témoigner des crimes sans nom qui ont été perpétrés dans ce pays.
GBANDI Anatole, Forum de Reims
P.-S. Au moment où je mettais un point final à ce texte, me parvenait la décision de Nouredine Adam, >. Cette décision, bien que démentie par Djotodja, ne change rien à la triste réalité centrafricaine. Quant à moi, il y a longtemps que j’ai appris à me méfier des démentis de l’ex-Séléka. Ce nom de Dar El Kouti, si elle se confirmait, signifierait, comme je l’ai suggéré dans mon article, que les Séléka se replient sur eux-mêmes.
Fatiguée de ses bisbilles politiques, épuisée par ses guéguerres ethniques, la RCA s’est offert une guerre confessionnelle, la guerre de trop, qui pourrait avoir raison de son existence.
J’avais lu, en diagonale, au mois de mars, un article de monsieur Hamat Mal- Mal Essène qui tentait de justifier la partition de la RCA. A l’époque, je ne croyais pas à la partition et donc je zappais la plupart des articles écrits sur ce sujet. Je pense aujourd’hui que j’avais tort. Car la partition de la Centrafrique, loin d’être une vue de l’esprit, commence à prendre forme : une capitale existe ( Bambari ), une armée ( l’ex-Séléka ) et un chantre, Hamat Mal-Mal Essène qui a récemment publié, sur Alwihda son > Cet article est le troisième que ce monsieur, en quelques mois, publie sur la sécession du nord Centrafrique. Dire qu’il est obsédé par ce thème, c’est peu dire. Il précède les politiques et leur balise le chemin, les étapes de la sécession, prévoit les infrastructures de la nouvelle République, ses éventuelles difficultés etc. Il ne fait aucun doute dans son esprit que son projet aboutira.
LE NOM DE LA REPUBLIQUE
On a d’abord trouvé la République du Nord Oubangui. Mais c’était un peu réducteur. On pourrait accuser les musulmans d’avoir pris prétexte d’un conflit qu’ils ont provoqué pour faire sécession et se replier dans le nord, leur région d’origine. Non, non et non. On va trouver mieux : la République du Nord-Est de Centrafrique. Du coup, la nouvelle entité s’élargit vers l’est et englobe des populations en déshérence, sans cesse harcelées par les assassins de Joseph Kony. Première observation : cette République du Nord-Est est plus vaste que son nom, puisqu’elle recouvre le centre et le sud de la Centrafrique. Deuxième observation : ni les sécessionnistes ni leur chantre ne sont parvenus à rompre toutes les attaches avec la mère patrie. Ils n’ont pas choisi, pour désigner leur nouvelle République, un symbole de leur région. De leur nord natal, ils ont choisi un symbole national, l’Oubangui qui coule au sud. Mais cette première appellation, l’Oubangui du Nord, qui ne présente pas de parenté onomastique avec la Centrafrique et qui aurait pu les différencier du pays qu’ils souhaitaient quitter, a été abandonnée, au profit de la Centrafrique du Nord-Est. Comme si nos compatriotes musulmans ne voulaient pas couper les ponts avec la mère patrie.
Monsieur Hamat Mal-Mal Essène n’est pas n’importe qui. Enseignant-chercheur à l’université de Bangui, il sait qu’il court derrière un mirage, après avoir enterré, dans son esprit, la pauvre République qui a fait de lui ce qu’il est.
GENESE D’UNE PARTITION VIRTUELLE
Au plus fort de la tempête Séléka, des dizaines de milliers de Centrafricains à l’ouest s’étaient exilés dans les pays limitrophes, dans les forêts et les évêchés. Personne, aucun parti politique n’avait alors songé, pour se débarrasser de cette nébuleuse, à la partition du pays. On ne saucissonne pas la République au gré des problèmes qu’on lui crée.
L’idée de partition a germé comme un pis-aller, un plan B dans l’esprit de la Séléka, quand elle s’était retrouvée en mauvaise posture, pratiquement en débandade. Harcelée par ceux qu’elle martyrisait, pourchassée par ceux qu’elle pourchassait, la soldatesque de Djotodja s’était repliée sur Sibut, Kaga-Bandoro, puis Bambari, pour semble-t-il, reprendre ses esprits et conspirer de nouveau. La ville de Bambari, épargnée par les atrocités qui se déroulaient à Bangui et à l’ouest du pays, était alors considérée comme un havre de paix. Elle n’allait pas tarder à connaître le sort de Bossangoa, et même pire, puisque les évêchés n’étaient plus considérés comme des sanctuaires, mais des blockhaus, des casemates, en somme des objectifs militaires à neutraliser. Si l’on pouvait hiérarchiser l’horreur, on mettrait la RCA à son sommet. Acculée, cernée de toutes parts, rendue impopulaire par ses exactions, l’ex-Séléka n’a plus en main que la stratégie du chaos pour se maintenir dans quelques villes, préfectures et régions. Cette partition ressemble fort à une occupation pure et simple. Elle ne ressort pas d’une démarche spontanée des populations autochtones, mais n’est que l’émanation d’une nébuleuse cosmopolite. Elle ne prendra jamais, comme l’écrit Hamat Mal-Mal Essène >. On va rappeler à ce monsieur, que les Biafrais, les Ibos en l’occurrence, population minoritaire, n’avaient pas envahi, puis soumis tout le reste du Nigéria à un pouvoir dictatorial, comme la Séléka l’a fait en Centrafrique. Chassés du nord par les Haoussas, les Biafrais ne se sont pas emparés du territoire des Yoroubas, ethnie majoritaire au sud, pour faire sécession. Ils sont retournés sagement dans leur région pour proclamer leur indépendance. Une indépendance qui ne durera que le temps de la guerre du Biafra, laquelle a fait deux millions de morts. Pour rien. Puisque la sécession a été réduite. Le chantre de la partition centrafricaine a été particulièrement mal inspiré de donner cet exemple. La guerre du Biafra avait toutes les apparences d’un conflit religieux : les sécessionnistes Ibos étaient chrétiens alors que l’armée fédérale qu’ils combattaient comptait dans ses rangs une écrasante majorité de musulmans haoussas du nord. Mais ni ceux-ci ni ceux-là n’ont cherché, à aucun moment du conflit, à instrumentaliser la religion.
IL FAUT TOUT POUR FAIRE UN MONDE
La religion, dans les deux dernières tribunes de monsieur Hamat Mal-Mal Essène, divise la Centrafrique en deux camps irréductibles : les chrétiens et les musulmans. Or le dernier recensement reconnaissait à notre pays trois principales religions : le christianisme (quatre-vingts pour cent), l’islam (dix pour cent) et l’animisme (dix pour cent). La CIA, plus perspicace que les recenseurs centrafricains, fait monter le pourcentage des animistes à trente-cinq pour cent. Ce qui, à mon avis, est encore loin de la vérité. La vérité, c’est que la population centrafricaine est majoritairement animiste. On ne peut donc pas l’enfermer dans un face-à-face islamo-chrétien dont chacun voit bien qu’il est fort réducteur et porteur de zizanie, pour un pays laïc.
Il faut tout pour faire un monde. Et donc la RCA doit s’enrichir de ses religions, mais aussi de ses païens et surtout de ses agnostiques. Car dans un monde dominé par la science et le doute, il est illusoire de vouloir occulter cette dernière catégorie.
La crise centrafricaine a évolué d’une simple rébellion à un inextricable conflit religieux. La dernière preuve qu’il s’agit bien d’un conflit religieux, c’est qu’on pense le résoudre en confiant le poste de Premier ministre à un musulman. Cela suffira-t-il à calmer la pyrexie sécessionniste de monsieur Hamat Mal-Mal Essène ? Il est permis d’en douter. D’autant que dans les accords de N’Djaména, que personne n’a vu mais que les ex-Séléka invoquent à propos de tout et de rien, on aurait prévu de leur donner aussi les portefeuilles de la Défense, de l’Intérieur et des Finances publiques. On voit bien à travers ces revendications, que l’objectif premier de la Séléka c’était l’amélioration des conditions de vie des musulmans. Les prédécesseurs de Djotodja favorisaient leurs ethnies, lui est venu favoriser ses coreligionnaires. Il n’a pas instrumentalisé l’islam pour servir un pays laïc. En Centrafrique, le conflit religieux n’est, en réalité, que l’ instrumentalisation de la religion. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité que les hommes se sont servis de la religion pour parvenir à leurs fins. Souvenez-vous des nomades Hébreux. Quand ils ont décidé de se sédentariser, ils se sont emparés de Canaan, au nom de leur Dieu.
DE PARTI PRIS PROMUSULMAN
Les textes de monsieur Hamat Mal-Mal Essène sont destinés à ses coreligionnaires, ceux de Centrafrique et ceux de l’étranger. Ils ont d’ailleurs été publiés sur Alwihda, ce qui en soi n’est pas un crime. Prêchant des convertis donc, ce monsieur ne pouvait pas ne pas recourir à la rhétorique de la victimisation : > Cette phrase introductive du texte publié au mois de mars est caractéristique de la démarche de l’auteur, laquelle recourt à l’à-peu-près, à la caricature, aux arguments spécieux et aux mensonges pour convaincre ou tenter de convaincre du bien-fondé de la sécession des musulmans. D’emblée, ceux-ci sont opposés aux autres Centrafricains, dans une vision manichéenne qu’il s’efforce de masquer en alliant aux musulmans les >. Tous ceux qui connaissent un tant soi peu l’histoire de la Centrafrique répondront à ce monsieur que le président centrafricain gouverne généralement avec les gens de son ethnie, disposés en cercles concentriques autour de lui, pour surveiller les autres ethnies ostracisées, qui pourraient être tentées par un coup d’Etat.
Mais revenons au texte. Le rappel historique étant posé, monsieur Hamat Mal-Mal Essène passe aux raisons de la partition. Il suffit de les parcourir pour constater que, dans sa démarche visant à travestir la vérité, l’enseignant-chercheur fait peser sur les seuls musulmans le poids des maux dont souffrent tous les Centrafricains, voire tous les Africains : >
En mettant la main à la poche, on participe à cette dépravation, on contribue à sa pérennisation. Peut-on soutenir sérieusement qu’en Centrafrique, seuls les musulmans sont rackettés et rançonnés ? Qui peut croire qu’ils sont les seuls victimes de la corruption ? On peut, tout au plus, concéder que nos compatriotes musulmans étant des commerçants, des convoyeurs de marchandises, ils ont deux fois plus de risques de tomber sur des policiers et des gendarmes désargentés que les autres professionnels. Car la corruption, qui gangrène tous les corps de l’Etat dans les pays pauvres, est entretenue par la misère. Ce n’est pas un hasard si le pays le plus corrompu du continent africain, selon le dernier classement de Transparency International, est la Somalie.
Dans nos écoles aujourd’hui, les enseignants qui, autrefois, vivaient relativement bien de leurs salaires, se sont paupérisés. Ils totalisent plusieurs mois d’arriérés de traitements. Dans ces conditions, m’a dit l’un d’eux, quand un élève te donne de l’argent, tu ne peux pas le refuser. Et ce ne sont pas que les musulmans qui donnent. L’appauvrissement du pays est tel que pratiquement tous ses services publics sont, d’une manière ou d’une autre, tarifés.
Une autre raison qui justifie la partition, selon monsieur Hamat Mal-Mal Essène, c’est >
Des centaines de milliers de Centrafricains non-musulmans n’ont pas de cartes nationales d’identité. Il s’agit apparemment d’une carence administrative et non d’un > discriminatoire. Mais qui veut noyer son chien l’accuse de tous les maux. Chacun sait qu’en Centrafrique tout est centralisé à Bangui. Pour obtenir un passeport ou une carte nationale d’identité, quand on habite en province, il faut se déplacer, il faut payer, il faut graisser des pattes, comme l’a reconnu l’enseignant-chercheur. Qui s’est bien gardé de préciser que ceux qui ont les moyens, de par leur métier, de s’offrir des passeports et des cartes nationales d’identité, ce sont bien les musulmans.
On va arrêter la polémique avant les accusations de >, de > et d’ portées contre les Centrafricains. Personne ne nie que des civils musulmans aient été tués, voire massacrés. Mais de là à crier au génocide, il y a un pas que les témoins impartiaux du drame centrafricain n’ont jamais franchi. Ils ont toujours soutenu que la violence des Antibalaka répondait à une violence d’Etat, celle de la Séléka : La Séléka, écrit International Crisis Group dans son rapport du 2 décembre 2013, s’est disloquée en une multitude de groupes armés qui commettent de nombreuses exactions et provoquent la réaction des milices d’auto-défense et un conflit confessionnel.
LE DERNIER MOT
Koulayom-Masséyo David du Forum de Reims avait écrit, dans une de ses tribunes, que le mot sango séléka serait désormais péjorativement connoté. Je ne pensais pas que la preuve nous en serait donnée par le secrétaire général adjoint de l’ex-coalition. Eh bien ! je me suis encore trompé : le nom Séléka ne figure pas dans le dernier texte de monsieur Hamat Mal-Mal Essène, son > publié le 5 août sur Alwihda. Il relève aujourd’hui du registre vulgaire, voire ordurier. Il est devenu lourd à porter, terrible et sulfureux pour ceux-là mêmes qui le brandissaient naguère comme un trophée. En le bannissant de son dernier article, le secrétaire général adjoint de l’ex-Séléka reconnaît implicitement que son mouvement a galvaudé un vocable de la langue nationale. Cette reconnaissance est, si l’on peut dire, une évolution, par rapport au texte du 16 mars >, dans lequel, il avait maladroitement tenté d’absoudre sa coalition : >
Pourquoi cette évolution ? Parce que sous Djotodja déjà le mot séléka renvoyait dans l’imagerie populaire aux exactions de la Séléka. Il était donc synonyme d’exactions mais aussi de djihadisme. Il représentait pour Djotodja devenu président un véritable boulet : il ne pouvait même pas sauver les apparences. Il a donc dissous sans la condamner sa coalition, en espérant que son nom honni et vilipendé finirait par disparaître avec le temps. Mais il survivra, dans le pire des cas, à la Centrafrique, pour témoigner des crimes sans nom qui ont été perpétrés dans ce pays.
GBANDI Anatole, Forum de Reims
P.-S. Au moment où je mettais un point final à ce texte, me parvenait la décision de Nouredine Adam, >. Cette décision, bien que démentie par Djotodja, ne change rien à la triste réalité centrafricaine. Quant à moi, il y a longtemps que j’ai appris à me méfier des démentis de l’ex-Séléka. Ce nom de Dar El Kouti, si elle se confirmait, signifierait, comme je l’ai suggéré dans mon article, que les Séléka se replient sur eux-mêmes.