Un détournement exceptionnel
Après sa terrible défaite au front lors de la bataille de Tiné contre les forces rebelles, le 25 novembre 1990, où il a failli être capturé, Habré décide d’abandonner le pouvoir et de vider les caisses du pays avant de partir. Le détournement le plus déconcertant par son volume est celui qui a été opéré dans les locaux de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC).
Le vendredi 30 novembre 1990 à 9h45, Habré reçoit seul, en tête à tête, le trésorier général de l’époque, M. Chémi Kogrimi et lui ordonne de retirer tout l’argent disponible à la BEAC pour le déposer au Trésor public. Hissène Habré justifie cet argent pour acheter des autos-mitrailleuses légères afin de se défendre contre l’assaut d’Idriss Déby. Le trésorier général tire alors un chèque de trois milliards et demi (avant dévaluation) sur la BEAC qu’il remet au caissier, M. Adberamane Hissein. Ce dernier est contraint de reporter l’opération au lendemain car le sous-directeur de la BEAC, chargé de l’émission, trouve le montant du chèque inaccoutumé. Entre temps, le trésorier général, inquiet du retard accusé par le caissier, se rend en personne à la BEAC et pèse de tout son poids pour que l’opération ait lieu à l’instant même, tout en promettant de régulariser la situation le lendemain. Les agents de la BEAC acquiescent, n’osant pas s’opposer à la volonté de Habré. Les trois milliards cinq cent millions, en billets de dix mille francs, sont alors entassés dans des sacs, puis conduit au Trésor.
Dans la nuit qui suit, Hissène Habré et la quasi-totalité des membres de son gouvernement et ses notables, dont le trésorier général, traversent le fleuve Chari pour passer la nuit à Kousséri au Cameroun. Le lendemain matin, vers 8 heures, sur instructions du président Habré, le trésorier général, accompagné de quelques combattants armés, retournent à N’Djaména pour emporter les sacs d’argent stockés au Trésor. Plus tard dans la journée, les convoyeurs retrouvent le convoi présidentiel alors en route vers la ville de Maroua, toujours au Cameroun. A 18 heures, le 1er décembre 1990, les sacs d’argent sont déchargés dans la villa où réside Hissène Habré à Maroua. Le trésorier général a reconnu devant la Commission d’enquête qu’il avait été utilisé, mais qu’il n’avait pas le choix craignant des représailles de Habré. Le montant du Trésor public emporté par l’ancien président à ce moment précis ne représente qu’une partie de l’argent détourné.
Rendre justice aux Tchadiens
Quatorze recommandations concluaient le rapport de notre Commission d’Enquête. Concernant les prélèvements illégaux, nous recommandions «la poursuite des enquêtes sur les opérations financières et les comptes bancaires de l’ex-président Habré (…), l’engagement de poursuites judiciaires ou la prise de sanctions administratives à l’encontre des responsables ayant cambriolé les caisses de l’Etat (…)». Plus de vingt ans après la publication du rapport, aucune des recommandations n’a été mise en exécution et Hissène Habré jouit encore aujourd’hui des fruits d’un argent qu’il a volé aux tchadiens.
L’Etat tchadien n’a malheureusement jamais réclamé cet argent parti au Sénégal dans les bagages du président déchu. Néanmoins, il est aujourd’hui important que toute la lumière soit faite sur la provenance de cet argent, utilisé au Sénégal, pour qu’enfin le peuple tchadien puisse le récupérer. Parce que la plupart des dirigeants sont par nature cupides et ne se soucient guère des populations et de leur pays, ce genre de cambriolage extraordinaire peut se répéter indéfiniment au Tchad ou dans d’autres pays d’Afrique. Pour éviter que demain un président fuyard ne vide les caisses d’un Etat à la dernière minute pour s’assurer un exil doré et luxueux quand la grande majorité de la population se morfond dans la misère totale, toute la lumière doit être apportée sur ce détournement exceptionnel.»
Journal du Tchad