TCHAD

Tchad : Sous les ailes d'Epervier


Alwihda Info | Par Djamil @ - 16 Avril 2009


Trente-cinq ans de présence militaire, en permanence opérationnelle. Tchad. Trente-cinq ans de présence militaire, en permanence opérationnelle. Le Tchad est une mission éprouvante mais indispensable. Exigeant, ce théâtre permet de concilier l’opérationnel et l’entraînement. Reportage avec les paras du 1er RCP.


Trente-cinq ans de présence militaire, en permanence opérationnelle. Tchad. Trente-cinq ans de présence militaire, en permanence opérationnelle.

Le Tchad est une mission éprouvante mais indispensable. Exigeant, ce théâtre permet de concilier l’opérationnel et l’entraînement. Reportage avec les paras du 1er RCP.

L'’assassinat par un légionnaire français de deux de ses camarades, d’un casque bleu togolais et d’un paysan à Abéché (région est du Tchad) est un terrible fait divers. On n’en connaît pas encore les causes : coup de folie, stress intense, différent d’ordre privé ? Âgé de 27 ans, ce légionnaire d’origine brésilienne avait déjà eu des problèmes de comportement. La Légion lui avait donné une seconde chance. Il ne l’a pas saisie.
La fusillade d’Abéché ne remet pas en question la présence militaire française dans cette partie de l’Afrique. Ses missions sont indispensables à la stabilité régionale, plus particulièrement, à l’est, aux confins soudano-tchadiens. Dans cette vaste zone de 250 000 kilomètres carrés, près de 500 000 déshérités attendent tout de l’aide internationale. Chassés du Soudan par le régime islamiste de Khartoum ou déplacés à l’intérieur du Tchad ou de la Centrafrique, ils viennent d’être protégés et secourus, pendant un an, par l’Eufor Tchad-RCA. Cette force européenne mandatée par l’Onu a été déployée à partir de mars 2008, grâce à l’appui logistique et sécuritaire fourni par la France.

Commandée par le général irlandais Nash à partir d’un quartier général situé au Mont-Valérien (21 nationalités représentées dans cet état-major), cette force a compté jusqu’à 3 400 soldats issus de 25 nations européennes, dont 2 100 Français. La responsabilité des opérations sur le terrain avait été confiée à un Français, le général Ganascia, un officier issu de la Légion étrangère.

L’Eufor vient d’achever sa mission avec un bilan honorable : 2 000 patrouilles et 500 missions de reconnaissance aérienne effectuées, plus de 1 300 villages visités. Rapporté aux distances, c’est une prouesse. Dans leur zone de responsabilité, les sections de combat françaises couvraient chacune 9 000 kilomètres carrés ! Tous les problèmes sont loin d’être réglés mais le nombre d’incidents a baissé et 10 000 personnes ont pu regagner leurs villages. Le relais pris par les casques bleus de la Minurcat devrait permettre la poursuite de ces efforts.


“Nation cadre logistique”, la France n’a pas ménagé sa peine. Ses équipages de Transall ont assuré le transport tactique de 16 000 militaires et de 2 000 tonnes de fret. Ses sapeurs ont agrandi les parkings d’avions sur l’aéroport international, construit le camp Europa à N’Djamena (5 hectares pour 600 militaires), aménagé une zone de soutien et de stockage de 3,5 hectares, construit le camp des Étoiles à Abéché (30 hectares pour 2 000 militaires) et une zone logistique (400 conteneurs).

Le déploiement rapide et sécurisé de l’Eufor, puis de la Minurcat, s’est fait sous la protection et avec le soutien vital d’“Épervier”, le dispositif français permanent au Tchad (notre encadré page 32), à la fois bouclier contre les tentatives de déstabilisation armées venues de l’étranger (Libye, Soudan) et providence des civils en danger, qu’ils soient tchadiens ou européens.

« L’opération Épervier est bien plus que cela, souligne Frédéric Blachon, patron du 1er régiment de chasseurs parachutistes (Pamiers). Ce n’est pas une mission routinière où nos compagnies se succèdent pour garder le désert des Tartares, ce n’est pas une relique de la Françafrique, à peine bonne à faire rêver nos lieutenants. »

Enthousiaste et passionné, bien à l’image de son régiment, ce colonel de 45 ans vient d’achever une mission de quatre mois au Tchad, comme patron du groupement Terre. « C’est simple, poursuit Blachon : à l’exception de l’Afghanistan, cette mission est la seule qui permette de concilier vraiment l’opérationnel et l’entraînement. S’instruire, s’entraîner, s’aguerrir : cette triple capacité est précieuse pour nos armées. »

Déjà familier de l’outre-mer (Tchad, Cambodge, Nouvelle-Calédonie), le colonel égrène les avantages offerts par ce “théâtre tchadien” : « La pratique de la vie en campagne, du combat et du soutien en zones arides ou en période des pluies, le tir à toutes les armes, du Famas au Mirage, les missions de reconnaissance, sur 1 000 kilomètres, en totale autonomie, l’exercice décentralisé du commandement, l’esprit d’initiative. »

Les aviateurs ajoutent les posés d’assaut et les livraisons par air au milieu de nulle part, les passes de tir cordonnées par de jeunes lieutenants qui, demain, devront guider des chasseurs bombardiers de l’Otan dans les montagnes afghanes. Les équipages d’hélicoptères insistent sur les héliportages réalisés avec des cartes datant souvent des années soixante, dans des conditions d’amplitudes thermiques extrêmes.

Précis, débordant d’idées, le colonel Blachon parle en connaissance de cause. Son “pedigree” n’est pas banal dans les armées : saint-cyrien, il est aussi passé par l’école des rangers à Fort Benning (États-Unis), réputé “exigeante”, même auprès des “pêchus”, puis il a pris le temps de faire l’Essec, formation qui l’entraîna ensuite au Secrétariat général du gouvernement pour être contrôleur de gestion des services du premier ministre… Privilège rare souvent réservé aux meilleurs, Blachon a pu enchaîner deux temps de commandement,et pas des moindres : une promotion de Saint-Cyr puis, depuis juillet 2007, le 1er RCP, “père” des régiments parachutistes.

« Ce théâtre tchadien entretient ou améliore les possibilités d’aguerrissement de nos unités », ajoute le colonel Christophe de Cugnac, patron du dispositif Épervier depuis juillet 2008. Chaleureux et souriant, ce pilote de Mirage, spécialité “reco” (il mena des missions de combat lors de la guerre du Golfe), va souvent sur le terrain pour mieux comprendre l’esprit et les savoir-faire de ses camarades “terriens”. Ce jourlà, sur le champ de tir de Moussoro, il crapahute au côté d’une section parachutiste prise sous le feu ennemi (simulé), accompagne sa riposte, évalue le travail des fantassins, note l’évacuation par hélicoptère d’un blessé (fictif).

Cugnac et Blachon observent le lieutenant Briganti, accroupi à l’ombre d’un acacia à fleurs jaunes, à côté de son radio. Le jeune chef de section donne les ordres à ses groupes disséminés dans les dunes. Comme avant chaque exercice, il a longuement expliqué à ses hommes les raisons de la manoeuvre, les phases successives, les risques et les précautions à prendre. Un chef de section doit savoir être pédagogue. C’est une des clés de l’adhésion et de l’efficacité.

La chaleur est accablante – 45 degrés à l’ombre des “kékés”, ces épineux couleur de poussière qui tiennent lieu de végétation. Les paras en treillis, casque et gilet pare-balles, cartouchières pleines, semblent ignorer la fatigue. Ils se postent, tirent, bondissent, se replient. « Il faut être jeune pour faire ce métier », sourit Cugnac. « Buvez, buvez ! » ordonne le sergent-chef Orgeret à ses hommes. Sous-officier adjoint de Briganti, Cyril Orgeret est un pilier du régiment. Une référence : 32 ans dont dix-neuf de service, treize opérations extérieures, dont trois fois en Côte d’Ivoire. Le Tchad est sa dernière mission : il a décidé de “poser le paquetage”.

Un appui feu est prévu.Deux Mirage grondent au large dans un ciel de plomb. En alerte à quinze minutes pour le décollage, ils sont pile à l’heure du rendez-vous au-dessus de Moussoro. «Très réaliste », murmure le colonel de Cugnac. «Très formateur », complète Blachon. Lui-même commença comme chef de section au Tchad. Il sait et il transmet son savoir : « Adaptez vous, dit-il à ses cadres. Soyez réalistes, le jour J, vous le serez ! »

Briganti transmet les coordonnées à la chasse. Les appareils cherchent la position des “amis”, pour éviter des tirs fratricides. Connaisseur, Cugnac sourit : «Vue d’en haut, à grande vitesse, la zone ressemble à un plateau uniformément gris-sable. » Nouvelle transmission, nouvel échec. « Réalistes… » Un sergent vise le ciel avec le miroir de signalisation, l’incline pour lancer des éclairs lumineux. Rien.

“Ce n’est pas parce que tout semble calme en ce moment…”

Cugnac et Blachon se rapprochent du lieutenant, un peu inquiet pour sa manoeuvre, sous la pression des chefs. « Briganti, si vous déployiez une couverture de survie… Conseil d’anciens… » Un para s’exécute. La bâche argentée réfléchit le soleil comme un énorme miroir. Et soudain, bingo ! « Visuel, visuel…» Moins de cinq secondes plus tard, la brousse et la colonne ennemie explosent sous les obus.Puis les Mirage reviennent.Un passage à basse altitude, dans le tonnerre des réacteurs, pour saluer les biffins. «Dans vingt minutes, ils seront devant une mousse fraîche », grommelle Orgeret.

Le soir, au campement des paras, les débriefings s’enchaînent. Le capitaine et son lieutenant, puis le colonel et son capitaine. Exposés clairs, remarques précises, sans concession. Pédagogiques : « Pour le jour J… »

Le colonel Blachon en est sûr : « L’action de la France ici renforce sa crédibilité dans le monde. Ce n’est pas parce qu’un théâtre semble calme depuis des mois que la violence n’est pas loin et que des événements dramatiques ne s’y dérouleront pas brusquement. » Il s’éloigne dans la nuit, vers le cercle animé où des sous-officiers l’invitent à vider une Gala fraîche, la bière locale « qui donne le goût du bonheur ».

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