POINT DE VUE

Tchad : « Youssouf Saleh Abbas était porteur d’espoir, mais il a déçu le peuple »


Alwihda Info | Par Djamil @ - 19 Janvier 2009


Entretien avec ASSILECK HALATA Mahamat, Secrétaire général au bureau de la représentation de l’UFDD, France et Union Européenne. Coordonnateur de la cellule de communication et information Europe de L’Alliance Nationale


Lyadish Ahmed (L.A)  Monsieur ASSILECK HALATA Mahamat, l’année 2008 s’est achevée et Idriss Déby semble plus que jamais sûr de renforcer son pouvoir. Quel est votre sentiment par rapport à ce constat ?

 

Assileck Halata Mahamat (AHM) – C’est une question pertinente. Il est vrai que l’année 2008 s’est terminée avec l’espoir du peuple tchadien de voir Idriss Déby partir en fumée mais les politico militaires aussi n’ont pas failli. Il est vrai que les compatriotes veulent que les choses aillent vite, ce qui est compréhensible au vu de la situation désastreuse que vit le tchadien ordinaire. Ce qui est sûr, ce que le mécanisme de construction et de dynamisation est en route. Cela a pris du temps certes, certains sont déçus et plusieurs se sont ramollis. Le temps écoulé a permis à Déby de se renforcer matériellement. Mais une chose est sûre, sur le plan de conviction et de la détermination, nous sommes encore plus vivaces à le faire partir coûte que coûte.

 

L.A – Le général Mahamat Nouri a affirmé récemment que l’attitude de Déby contraint la rébellion à la guerre. C’est pour cela que vous dites pouvoir faire partir Déby « coûte que coûte » ? Pensez-vous être encore capables de rééditer l’exploit de février 2008 ?

 

AHM – D’un certain point de vue, février 2008 n’a pas été seulement un exploit, mais plutôt il faut voir en cela la détermination des hommes à vouloir en finir avec un système qui ne cesse d’oppresser le peuple tchadien. L’histoire l’a maintes fois rappelé, le tchadien mis dos au mur sait faire face aux défis qu’on lui impose. Idriss Déby contraint tout le monde à la guerre parce qu’il refuse la main tendue. Au supplice de le rallier, il vous traite en mercenaire ; il vous impose sa politique, ou bien vous êtes son ennemi. Alors que faut-il choisir si ce n’est la contrainte de la guerre ?

 

L.A – Imposer la guerre à Déby, d’accord. Mais il est un constat partagé par tous les Tchadiens : ceux que l’on appelle les « forces de la résistance nationale » nourrissent une étrange méfiance les uns des autres. Telle serait la cause du refus de se mettre sous la direction du général Mahamat Nouri, par exemple…

 

AHM – La méfiance est logique pour nos compatriotes au regard des faits des 40 dernières années. Le Tchadien a beaucoup évolué dans sa vision globale durant ces dernières décennies. Personne aujourd’hui ne se complait aux faits accomplis. Il faut beaucoup discuter, rediscuter, avoir de la patience, et surtout convaincre. Les problèmes trouvent toujours leurs solutions dans le dialogue et la compréhension. L’égo surdimensionné trouble la disponibilité des personnes en quêtes de confiance et de certitude. Mais pour nous, il est clair que le président Mahamat Nouri demeure la personne idoine pour la direction d’une entité menant la future transition. Cela n’écorche en rien la compétence des autres leaders ; sauf que dans ce genre de démarche, le pragmatisme est de mise. Nous ne rentrons pas dans les amalgames ou encore les ressources des insanités futiles. La méfiance exprimée doit trouver sa solution dans un forum national, qui à mon sens demeure un gage d’assurance permettant de corriger les imperfections constatées jusqu’à là. C’est à cela que nous devons nous atteler plutôt qu’à faire un travail de déstabilisation tout en restant au cœur de l’opposition armée.

 

L.A – Si vous pensez que certains parmi vous font « un travail de déstabilisation tout en restant dans l’opposition armée », pourquoi l’UFDD ne prend-elle pas seule l’initiative de mener une attaque contre les intérêts du régime ? Autrement dit, l’appui des autres mouvements est-il vraiment indispensable à la conduite d’une attaque contre l’armée de Déby ?

 

AHM – Je peux vous rassurer, sans démagogie, que L’UFDD a la pleine mesure de mettre Idriss Déby à genou. Ce mouvement a le potentiel militaire et humain pouvant faire très mal au régime d’en face. Mais le contexte international a évolué, tout comme la vision nationale. Le Tchad n’appartient pas seulement au mouvement UFDD. Il y’a d’autres Tchadiens qui ont la même motivation et les mêmes objectifs. Un amour pour un Tchad meilleur. De ce point de vue, il faut s’asseoir ensemble, converger les points de vue et aller dans un seul élan. Voilà ce qui motive l’UFDD dans l’alliance, avec le FSR et les autres partenaires. La dynamique qui sera mise en place ébranlera sans doute Idriss Déby, ses sbires et son clan de malheur.

 

L.A« S’asseoir ensemble » comme vous le souhaitez prouve que l’UFDD n’est pas capable de mener un combat sans l’appui des autres. Pourtant, nous savons, vous et moi, que Mahamat Nour Abdelkérim avec son FUC n’avaient pas eu besoin de l’aide des autres mouvements rebelles pour porter l’attaque jusqu’au cœur de N’Djamena

 

AHM – L’expédition qui fut à cet exemple peut toujours être rééditée. Mais l’expérience a démontré que ce n’est pas faire qui est impossible, mais c’est la finition du travail qu’il faut parfaire. Mahamat Nour Abdelkérim est un bon officier, la preuve…

 

L.A – Dans un accord signé récemment entre les principaux mouvements de la « résistance nationale », il est prévu une période de transition de 18 mois avant l’organisation d’élections libres. Cet accord garantit aussi le "pluralisme politique" ainsi que "l'indépendance de la justice et l'égalité des citoyens devant la loi". Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

 

AHM – Il faut d’abord saluer les techniciens qui ont jours et nuits travaillé, consulté, aplani les divergences afin de mettre à jour ce « manifeste ». Nous ne sommes encore qu’au parchemin, un document. Au-delà des garanties faites ici et là, c’est au forum que je pense. Car le manifeste est justement l’optique des politico-militaires. Le forum est, lui, l’essence des idées qui viendront de la société civile, de la diaspora, de diverses associations dont les organisations de défense des droits de l’homme. De ce forum aboutira sans nul doute le Tchad de l’avenir.

 

L.A – Ce que je voulais savoir, c’est pourquoi évoquer le "pluralisme politique", "l'indépendance de la justice et l'égalité des citoyens devant la loi", tous ces gages de bonne volonté maintenant ? A qui s’adressent les chefs rebelles ? Aux Tchadiens ou à la Communauté internationale ?

 

AHM – En premier sont concernés les Tchadiens que nous sommes, et ensuite la communauté internationale. Les deux sont des facteurs indissociables à la réussite de tout projet pour le Tchad de demain.

 

L.A – Vous n’êtes vraiment pas un « client facile » pour une interview. Champion de la langue de bois, si j’ose parler ainsi. Mais s’il vous plait, dites-moi concrètement ce que vous inspire le gouvernement de Youssouf Saleh Abbas face à la crise actuelle que vivent les Tchadiens ?

 

AHM – Youssouf Saleh Abbas était porteur d’espoir à sa nomination. Hélas, beaucoup de Tchadiens ont déchanté. Son gouvernement présente des lacunes, car c’est un assemblage fait des vieux gnous de la politique tchadienne, et quelques caciques d’Idriss Déby. Un amalgame de ventriloques qui ont bradé la vie d’Ibni Oumar Mahamat Saleh ; un groupuscule sans directives nationales, sans méthodes et donc des résultats plus que pitoyables. Il suffit de voir comment sont gérées les différentes crises. Guerre, charbon, famine, santé, éducation. Rien qui vaille ramener la confiance aux Tchadiens. Jamais dans ce pays le fossé entre les populations et les « élites » n’a été aussi grand. Des riches voleurs des deniers publics et des pauvres à qui on ne vient jamais en aide et qu’on regarde avec arrogance. Aucun contrôle de prix quand la bourse du fonctionnaire ne suffit pas. Un Etat qui n’a d’Etat que le nom, où sévissent la débauche, la prostitution, la corruption, le népotisme et le clientélisme.

Voilà comment se définit ce gouvernement dirigé par un homme, qui fut rebelle semble-t-il à une époque, avec des qualités soi-disant intrinsèques, mais vite rentré dans le moule du système.

 

L.A – Question plus personnelle : où en êtes-vous avec l’affaire Abou Zahra Al Mazloum ?

       

AHM – (Rire). C’est une des épisodes que je ne voudrais pas évoquer, mais comme nous y sommes,  je vais être beau joueur.

 

Vous savez, je suis victime jusqu’aujourd’hui des fameux détracteurs qui sont heureusement démasqués. Pourquoi le font-ils ? Un jour on le saura. La confiance n’exclut pas le contrôle, dit-on. Ma confiance à certaines personnes m’a conduit à vivre cette expérience. Et une expérience n’est pas toujours négative. Avec Mahamat Kébir, nous avions de tout temps eu un rapport assez fraternel et courtois, mais l’influence des mêmes, jugés « crédibles », a, pendant un laps de temps, cherché à détruire nos élans. Allez savoir quand on l’appelle à 8h du matin pour lui dire : « qu’est-ce que tu m’as fait du bien en le traitant de tel et de tel. » ? Les mêmes continuent encore dans l’hypocrisie qui leur sied ; les mêmes qui sortent de nos réunions pour en divulguer les faits et les dits. Ce fut gratuit. On s’est attaqué à mon père, ma défunte mère, ma famille, etc. Quand je pense que c’est des personnes que je vois souvent et qui se disent dans l’opposition parmi nous ; des personnes à qui, je peux vous assurer sur serment, je n’ai rien fait de mal…

 

L.A. – On comprend votre déception. Les coups bas, la lâcheté, les accusations gratuites sont caractéristiques de la vie politique. Il faut avoir des nerfs solides pour y faire face. Mais on sait que vous êtes assez solide pour supporter les coups bas. Cela dit, autant vous êtes déçu du comportement de quelques détracteurs envers votre personne, autant les Tchadiens sont déçus en cette fin d’année 2008 de voir que le régime de Déby se consolide plus que jamais… 

 

AHM – Vous savez, je suis dans l’opposition depuis les années 1990. Je sais ô combien c’est difficile d’espérer quand la patience arrive à bout. Mais il faut croire à un idéal et marquer ses principes dans la persévérance. Dans la lutte, il y’a trop de bas et difficilement des hauts. Il faut garder son cap et continuer de lutter. Aller de gauche à droite, c’est adhérer à l’esprit des sauterelles. Tout comme vouloir coûte que coûte exister vous expose à des lacunes identitaires. Je comprends parfaitement la déception des Tchadiens. Déby n’est plus l’avenir du Tchad, ni lui, encore moins ceux qui veulent pérenniser son régime. Il appartient aux Tchadiens de détruire le présent moribond et de construire l’avenir avec méthodes et esprits démocratiques dans le respect et l’amour de soi, de son prochain.

 

L.A – Vous êtes un membre très actif de l’UFDD, mais les Tchadiens veulent en savoir davantage sur vous, sur votre parcours…

 

AHM – Ecoutez, j’ai fait des études en hôtellerie et tourisme au Maroc pendant 5 ans. Une formation sanctionnée par un diplôme en gestion et administration des entreprises hôtelières et touristiques. Puis je me suis inscris au cycle des Relations internationales approfondies. Un DEA en poche m’a permis de faire deux années à Sciences-Po Paris. J’avais arrêté mes études pour des raisons de bourse. Je les reprendrai en mars prochain, si Dieu me le permet, afin de finir ce à quoi j’aspire pleinement. 

 

Monsieur Assileck Mahamat, je vous remercie

 

Tout le plaisir est pour moi.

 
Propos recueillis par Lyadish Ahmed


Dans la même rubrique :