ANALYSE

Tchad : comment sortir la capitale N’Djamena de l’eau ?


Alwihda Info | Par Bahar Tidjani - 1 Aout 2022


Les inondations récurrentes que connait la ville de N’Djamena ces derniers jours ne laissent personne indifférent. Ces inondations sont les résultats des fortes pluies qui s’abattent sur la capitale. Cette situation désastreuse a causé énormément des dégâts matériels inestimables pour les habitants de la capitale. Beaucoup se retrouvent même sans abris. La problématique des inondations ne s’est pas posée pour la première fois et ne sera pas non plus la dernière si l’on ne réfléchit pas rapidement à une solution. Cependant, comment pouvons-nous sortir de ce cycle interminable des inondations ? J’apporterai ci-dessous ma contribution citoyenne à la problématique des inondations dans la ville de N’Djamena.


Les inondations en général sont le résultat des extrêmes pluviométriques. Les épisodes pluvieux extrêmes (extrêmes pluviométriques) surviennent suivant une fréquence, appelé communément période de retour. Ce période de retour correspond au nombre de fois qu’on peut observer cet évènement pluviométrique. Avec le changement climatique, on observe régulièrement des épisodes pluviométriques extrêmes et par conséquent des inondations qui en découlent. L’arrivée des extrêmes pluviométriques est observée partout dans le monde, d’où l’on enregistre des inondations dans presque tous les pays du monde. La différence entre les pays se trouve au niveau de la gestion de ces inondations. La gestion des inondations requiert donc des prédispositions qui peuvent être un bon réseau de drainage, une bonne planification urbaine, un service ou organisme de gestion des eaux pluviales efficace. Avons-nous ces prédispositions ici à N’Djamena pour faire face comme les autres pays à la problématique mondiale des inondations ? j’en suis pas certain !

Avant d’apporter une réponse adéquate à la problématique de la gestion des eaux pluviales dans la ville de N’Djamena, il est important de mon point de vue, d’établir un état des lieux de notre dispositif de riposte actuel face aux inondations. Il est décrit ci-dessous, un panorama non exhaustif de la situation actuelle de l’assainissement pluvial dans la ville de N’Djamena :

• Le réseau d’évacuation des eaux pluviales, souvent confondu avec le réseau des eaux usées quand il existe ne dessert que le centre-ville de N’Djamena au détriment des quartiers périphériques de la ville. La plupart des ouvrages (collecteurs à ciel ouvert) date de la période coloniale. Ces ouvrages ou collecteurs à ciel ouvert ne sont ni entretenus et moins encore calibrés malgré l’augmentation des surfaces urbanisées. Ces surfaces urbanisées provoquent bien évidemment un volume important d’eau pluvial. On se retrouve donc face à un réseau sous-dimensionné et incapable d’évacuer l’excèdent d’eau pluvial.
• L’urbanisation anarchique ou urbanisation sur des sites non viabilisés est un autre facteur de risque en place dans la ville de N’Djamena. En effet, l’exode rural massif que connait le Tchad en général a favorisé cette urbanisation anarchique et d’où les gens construisent dans des endroits à risque (bas-fonds, zones inondables, marécages, etc). De plus, une gestion catastrophique du foncier accentue ce risque puisque les services techniques ne sont pas consultés en amont.
• La gouvernance ou la gestion institutionnelle de l’assainissement de manière général dans la ville de N’Djamena est catastrophique, bien qu’il est question du bien-être et de la vie des N’Djamenois. On ne sait pas qui fait quoi. Il y a toutefois une confusion de rôle entre le ministère de l’eau (direction de l’assainissement), le ministère de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme et la mairie de la ville de N’Djamena. Une gestion coordonnée de la question de l’assainissement est pourtant nécessaire !
• L’entretien des ouvrages existants (curage des caniveaux) est un service qui n’existe que de nom. Les collecteurs à ciel ouvert des eaux pluviales sont devenus les lieux des dépôts des ordures de tout genre. Cette défaillance au niveau de l’entretien découle directement du problème de la gestion institutionnelle car on ne responsabilise personne pour la cause !

Cet état des lieux non exhaustif bien évidemment, me permettra de proposer quelques solutions pour sortir N’Djamena de l’eau. D’après cet état des lieux, l’assainissement pluvial de la ville de N’Djamena fait face à une multitude des problèmes, qui sont d’ordre institutionnels (gouvernance de l’assainissement) et techniques (défaillance du réseau et gestion urbaine). Pour ce faire, les solutions que je propose sont les suivantes :

• Du point de technique, il faut privilégier les techniques alternatives de gestion des eaux pluviales. Les techniques alternatives permettent de répondre efficacement au cas des villes sujettes à une urbanisation anarchique à l’exemple de N’Djamena. Il s’agit en effet, la réalisation des bassins d’infiltration ou de retenue, des filtres plantes des roseaux, toitures végétalisés dans les maisons pour retarder le ruissellement des eaux de pluie. Ces techniques environnementales, qualifiés d’écologiques permettent de considérer les eaux pluviales comme des solutions valorisables. Ces solutions valorisables sont par exemple la recharge des nappes via le bassin d’infiltration ou la collecte des eaux pluviales pour le besoin domestique après traitement par un filtre planté des roseaux (FPR) par exemple. Ces solutions écologiques permettent de limiter le cout du réseau de drainage et répondre en même temps à la question de l’urbanisation anarchique. A creuser !
• La gouvernance de l’assainissement est une question à trancher très rapidement. Car sans une gouvernance efficace, aucune planification n’est envisageable. C’est pourquoi, je propose la création d’un organisme autonome co-gérés par les deux ministères (ministère de l’hydraulique urbaine et rurale et celui de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme) et la mairie. Cet organisme ou office de l’assainissement pourra piloter les investissements et assurera en même temps les entretiens des ouvrages. Des exemples de réussite en la matière existe en Afrique subsaharienne. Je propose que le Tchad s’inspire de la cote d’ivoire et du Sénégal qui ont créés des organismes autonomes pour gérer l’assainissement (ONAS du Sénégal en particulier !).
• Il est important de traiter la question de l’assainissement de manière global et non pas traiter les eaux pluviales en les dissociant des eaux usées. Comme vous le savez, à N’Djamena les gens déversent les eaux usées et les déchets solides dans les collecteurs (caniveau) servant à évacuer les eaux pluviales. Traiter les inondations, revient également à gérer les eaux usées dans la règle de l’art.
• La question de dimensionnement des ouvrages d’assainissement est aussi cruciale. Les pratiques de calcul du réseau d’assainissement en vigueur au Tchad conduisent souvent à un sous-dimensionnement du fait que les données de base (météorologiques surtout) sont inadéquates. Je recommande l’installation des réseaux de mesure (stations météorologiques adaptées à l’hydrologie urbaine) aussi dense que possible pour faire face à cette situation.

BAHAR TIDJANI
Enseignant-Chercheur

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