Maguy Day
On reste sans nouvelle de Ibni Oumar Mahamat Saleh, principal opposant au régime d’Idriss Déby enlevé à son domicile de N’Djamena le 3 février 2008. Les gouvernements tchadiens et français disent tout ignorer de sa disparition. Et pourtant.
Les enquêtes des organisations non gouvernementales (ONG) sur place, s’appuyant sur des témoignages concordants, ont établi que Ibni Saleh, ancien ministre et porte-parole de la CPDC (Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution), a en réalité été arrêté par les forces gouvernementales de sécurité au lendemain de la tentative de coup d’Etat, début février. Très vite, les associations de défense des droits de l'homme s’inquiètent des arrestations abusives et demandent des comptes à la France qui a apporté un soutien décisif à Idriss Deby en contribuant au réarmement de ses troupes et en protégeant l'aéroport de la capitale lors de l’attaque des rebelles.
D’après un courrier échangé entre diplomates de haut niveau en notre possession, Paris sait dès le 11 février que Ibni Saleh ainsi que les deux autres figures de l’opposition tchadienne ont «effectivement été arrêtés et détenus dans les locaux de la direction des renseignements généraux tchadiens » .
Pourtant, près de trois semaines plus tard, le ministère français des affaires étrangères dément formellement, « pour la raison que nous ne savons toujours pas où se trouvent Messieurs Ngarlejy Yorongar et Ibni Oumar Mahamat Saleh et que nous ne savions pas où se trouvait M. Lol Mahamat Choua jusqu'à ce que notre ambassadeur à N'Djamena le rencontre, le 14 février, dans une prison militaire», a déclaré Pascale Andréani, porte-parole de Bernard Kouchner, le 28 février 2008.
Lors d’une rencontre, à l’Elysée, avec le président français et ses conseillers, les représentants des ONG n’ont pas obtenu de réponse à la question qui les taraudent. « De quelle prison militaire s’agit-il ? », soulignant l’existence de nombreux non-dits dans cette affaire.
Le document précise également que « plusieurs démarches ont déjà été faites en leur faveur par le gouvernement français à haut niveau ». Les pressions qu’elles aient été diplomatiques – française ou étrangères -, associatives ou personnelles ont porté leurs fruits dans le cas de l’ancien président Lol Choua et du député Yorongar. Elles n’ont pas été couronnées de succès dans le cas d’Ibni Saleh, pour qui l’on craint le pire.
Après avoir fui le Tchad pour le Cameroun fin février, le député Njargely Yorongar, arrivé jeudi 6 mars à Paris pour se faire soigner, a fourni le témoignage suivant. « Ibni Mahamat Saleh est arrivé après moi. Les militaires qui l'ont amené se sont mis à le frapper - coups de crosse, coups de poing, coups de pied. Ils l'ont conduit dans une cellule entre le 4 et le 6 (février). Ou bien on l'a amené dans un hôpital tenu secret, ce qui m'étonnerait, parce que vu l'état dans lequel on l'a mis, pour moi il est mort », a-t-il déclaré à Radio France Internationale (RFI) à son arrivée à l'aéroport parisien de Roissy. Il explique dans une interview publiée par le magazine Afrique Education comment lui même a été emmené, le 21 février, dans un cimetière de Ndjamena, où l'un de ses geôliers a fait mine de l'exécuter avant de disparaître.
Avant lui, Lol Choua, ancien chef de l'Etat, et président du comité de suivi de l'accord du 13 août 2007 en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad, a également retrouvé la liberté. Placé depuis le 26 février en résidence surveillée par Idriss Deby, il a été arrêté le même jour que ses compatriotes. Là encore, les autorités tchadiennes avaient dit ignorer où il se trouvait. Or les arrestations ont débuté le dimanche 3 février en fin d’après-midi, à l’heure où les forces gouvernementales avaient repris le contrôle de N’Djamena. « Saleh a été arrêté par les hommes d’Idriss Déby dans la même zone que Lol Choua. C’est une question de logique géographique. Comment des hommes armés auraient-ils pu entrer dans ce quartier sans que les forces tchadiennes ne les voient ? », souligne un chercheur d’Amnesty International.
La disparition d’Ibni Saleh, originaire du nord du Tchad - comme Deby – , respecté pour sa rectitude morale et symbole d’une opposition crédible au dictateur tchadien, donne la mesure de l'escalade répressive engagée. Ce chef de file d'une coalition de partis d'opposition a été arrêté dimanche 3 février en début de soirée, plusieurs heures après l’arrestation des autres opposants. « Mon père était au courant, mais il n’a pas fui. Je ne sais pas si le pire est arrivé, mais si Deby a franchi cette ligne rouge, il fait le choix d’une radicalisation du régime sans limites », a déclaré son fils Mohamed.
Quant à la commission d’enquête annoncée par le président tchadien, à la veille de sa rencontre à N’Djamena avec le président français, Nicolas Sarkozy, le 27 février 2008, elle est déjà discréditée. Nicolas Sarkozy qui a émis le souhait que cette instance comprenne également des représentants de la Commission européenne, de la France et de la Croix-Rouge n’a pas été entendu. Le Comité international de la Croix rouge (CICR) y a opposé une fin de non-recevoir définitive. « Nous ne participerons pas à cette commission. Cela va à l'encontre de nos principes de neutralité, d'impartialité et d'indépendance ».
Dirigée par le président de l'Assemblée nationale tchadienne, Nassour Ouaïdou, un proche d’Idriss Deby, elle a peu de chance de recevoir l’appui d’organisations internationales en raison de son intitulé. Le texte du décret gouvernemental précise que la commission d’enquête à pour mission de « rechercher et produire les informations sur les personnes portées disparues » mais ajoute, également que l'enquête porte sur « l'agression soudanaise du 28 janvier au 8 février ». L’Union européenne n’a pour l’instant pas encore été saisie par le gouvernement tchadien, mais celui-ci devra se faire plus que convaincant pour qu’un tel parti-pris puisse être entériné par Bruxelles.