ANALYSE

Télédétection et recherche des zones constructibles d'un site urbain de collines : le cas de Yaoundé


Alwihda Info | Par René Joly Assako-Assako, Professeur titulaire, Président de la Société Camerounaise de Géographie, Vice-recteur à l'université de Douala. - 10 Octobre 2023


Le 8 octobre dernier, un éboulement de terrain a coûté la vie à des dizaines de morts, et occasionné des dégâts matériels importants. Pourtant, dans une étude publiée en 1988, le Pr René Joly Assako-Assako relevait déjà une urbanisation anarchique qui fait courir de nombreux risques aux habitants de la capitale camerounaise.


Yaoundé, capitale du Cameroun, est en proie à une croissance spatiale essentiellement anarchique et précaire et à des risques d'inondation, d'érosion et de glissements de terrain. Pour remédier à cette situation, les pouvoirs publics peuvent mener une action qui consisterait à réorienter le développement urbain tout, en résorbant les poches d'anarchie urbaine représentées par les quartiers spontanés et d'habitat précaire.

Cela exige du décideur qu'il distingue les zones adaptées à une densification urbaine de celles qui ne le sont pas, au regard de critères comme l'altitude, la pente ou la distance des espaces bâtis par rapport aux plans d'eau. L'imagerie satellitale et le SIG sont particulièrement adaptés à une telle problématique. Ils permettent de combiner des données spatiales de sources, de natures et d'échelles différentes, et de fournir des synthèses d'information répondant à une multitude de critères.

L'identification des zones les mieux adaptées, pour recevoir un équipement ou une certaine mise en valeur (nature et densité), après évaluation de différents critères, constitue l'un des apports les plus prestigieux des SIG à l'aménagement urbain. En urbanisme réglementaire, cet apport est particulièrement appréciable car « les fonctions d'analyse spatiale des SIG assurent une précision satisfaisante pour l'évaluation des distances, des pentes et autres informations géométriques ou géomorphologiques» (Joerin, 1995).

Fondée sur cette problématique de stratification de l'espace urbain, la présente analyse cherche à distinguer, à l'intérieur de l'espace actuellement bâti ou à bâtir, les zones les mieux adaptées à une densification urbaine de celles qui lui sont impropres, au regard des conditions morphologiques et hydrologiques du site collinaire de Yaoundé. Cela suppose la prise en compte de quatre couches d'information géographique : le bâti, l'altitude, la pente des terrains et la distance (linéaire) des zones bâties par rapport aux plans d'eau (rivières et lacs). Les trois dernières couches d'information sont utilisées comme critères d'évaluation de la première. Après avoir présenté les données utilisées, nous ferons le point sur la croissance urbaine au regard des conditions du site. Cet état des lieux servira de base à la définition, puis à l'évaluation des critères à considérer pour juger de la constructibilité de l'espace urbain.

1 . Les données utilisées
Pour mener cette analyse, deux sources de données complémentaires ont été utilisées : une image satellitaire et une carte topographique. Les traitements ont été facilités par une solide connaissance du terrain. L'image satellitaire (L'image SPOT-XS du 07/02/1992) présente plusieurs avantages : périmètre couvrant toute la zone urbanisée, résolution spatiale de 20 mètres, suffisante pour mener une analyse urbaine fiable (Weber, 1995) ; information récente sur l’urbanisation : le dernier schéma directeur, seul document relatif à l'occupation du sol dont dispose la Communauté urbaine de Yaoundé, date de 1982. La carte topographique utilisée présente elle aussi plusieurs avantages : bonne visibilité des courbes de niveau à équidistance de 5 m, ce qui en a facilité la numérisation ; échelle de 1/10000 ; couverture de la zone actuellement urbanisée. Réalisé en 1962, ce document renferme également une grande richesse temporelle, qui ne sera pas exploitée dans le cadre de cette analyse.

2. Yaoundé : une croissance urbaine indifférente aux conditions du site
Un site de collines abondamment arrosé donne une idée du relief de Yaoundé et de son réseau hydrographique. La topographie décroît généralement en direction du sud, depuis la ligne des hauteurs qui cernent la ville dans sa partie ouest. Elle est composée de trois unités morphologiques : les sommets (plus ou moins élevés), les versants et les fonds de vallées.
Ce site est profondément et diversement disséqué par un réseau hydrographique qui tient sa densité du régime des précipitations de la région, il tombe en moyenne 1 600 mm de pluies par an, les mois les plus pluvieux étant septembre et surtout octobre. C'est l'une des caractéristiques climatiques essentielles de la zone subéquatoriale dans laquelle se trouve Yaoundé. On y voit se succéder quatre saisons (deux saisons sèches et deux saisons de pluies). Les conditions du site influencent directement la croissance spatiale et la densification urbaine. En effet, elles entretiennent des risques naturels permanents tels que l'inondation, l'érosion et les glissements de terrain. On juge de leur importance à l'occasion des multiples catastrophes naturelles qui, en plus des pertes humaines, entraînent la dégradation des conditions d'habitat.

3. Une urbanisation anarchique sur le site de collines directement exposé aux risques naturels L'urbanisation, à plus de 50%, se poursuit de façon totalement incontrôlée. La disponibilité du terrain, quel qu'il soit, étant le seul moteur de l'urbanisation, des quartiers populaires denses se développent partout, y compris dans les zones sensibles. L’actualité de l'urbanisation (donnée par l'image satellitaire en composition colorée) qui combien avec la perception du relief (grâce à un modèle numérique d'altitude), permet de voir que la croissance spatiale de Yaoundé n'épargne ni fortes pentes ni fonds de vallées. En effet, en dehors des sommets les plus élevés qui cernent la ville dans sa partie ouest, formant ainsi une espèce d'obstacle naturel, la ville s'étend, en direction du sud, du nord et de l'est, partout où le terrain est disponible, exposant les populations et leurs biens aux risques naturels.

Partant de ce constat, nous avons établi un certain nombre de critères, au regard desquels, une zone urbaine était apte à recevoir une densification sécurisée. Certains paramètres relèvent de notre connaissance du terrain, d'autres des études déjà entreprises dans le but d'améliorer les conditions d'habitat à Yaoundé.

4. Analyse multicritères de la constructibilité
Compte tenu de notre problématique et des données dont nous disposions, nous avons fixé trois critères de constructibilité : l'altitude, la pente et la distance des espaces bâtis par rapport aux plans d'eau. L'analyse de chacun de ces critères se fait selon une démarche combinée. La première étape consiste en une classification hiérarchique. Elle définit les zones urbaines en fonction de leurs différentes valeurs dans le critère retenu : on aura par exemple les classes d'altitude, de pente, etc. La deuxième étape est binaire. Elle consiste, sur la base de la classification réalisée à la première étape, à fixer des seuils permettant d'isoler les zones qui répondent au critère défini. Cette deuxième étape produit en fait des résultats provisoires, dont la combinaison permettra, à la troisième phase, de distinguer les zones adaptées à l'urbanisation de celles qui ne le sont pas.

Le critère d'altitude
L’on peut montrer 15 classes d'altitude sur l'ensemble du site qu'occupe la ville. Ce critère joue un double rôle, dans la détermination de la constructibilité à Yaoundé. Lorsque l'altitude est supérieure à 850 mètres, elle indique des terrains à forte pente (comme nous le verrons plus loin). Les risques d'érosion des pentes et de glissements de terrains sont donc plus élevés. De plus, la roche affleure sur la plupart de ces sommets, ce qui rend difficile la construction. En revanche, compte tenu de la disposition topographique générale de la ville, les zones des plus faibles altitudes sont exposées à un grand risque d'inondation. Elles se trouvent en effet être les exutoires d'un système de drainage des eaux de ruissellement qui demeure essentiellement naturel, faute d'assainissement. C'est le cas notamment des zones inférieures à 700 m. elles indiquent des terrains à forte pente (comme nous le verrons plus loin). Les risques : Sur la base de ces deux réalités et en tenant compte de ce seul critère, nous avons défini comme constructibles les seules zones dont l'altitude varie entre 700 m et 850 m, soit 88,26% de l'espace urbain. Les 11,74% de l'espace urbain restant sont déclarés impropres à l'urbanisation.

Le critère de pente
Une autre figure donne une idée des valeurs des pentes. On voit les pentes les plus fortes suivre la ligne des hauts reliefs de l'Ouest, et surtout du Nord-Ouest. Comme nous l'avons vu plus haut, la valeur de la pente influence directement l'urbanisation. Plus elle est forte, plus elle entraîne l'érosion et les glissements de terrain. Ces deux éléments entretiennent une instabilité pédologique qui décourage l'urbanisme de pente. Mais il faut aussi y ajouter les coûts d'aménagement des zones de pentes : remblais et déblais visant à les rendre constructibles.

En 1985, B. Mougoue évaluait à 100 millions de FCFA, le montant nécessaire pour un remblai-déblai qui réduirait un hectare de terrain d'une pente de 20 % à une pente de 5 %. Ainsi, l'urbanisation de pentes est non seulement risquée, mais excessivement onéreuse. Sur la base de ces données, nous avons estimé que les terrains urbanisables à moindre coût, et présentant une stabilité pédologique garantie, devaient avoir une pente inférieure ou égale à 5 %. Nous sommes parvenus à une binarisation de l'espace urbain, isolant les impropres à la densification urbaine. On voit que ces zones correspondent grossièrement aux terrains dont l'altitude excède les 850 m. Il s'agit donc de la ligne des hautes collines de l'Ouest et du Nord-Ouest.

Le critère de distance (linéaire) aux plans d'eau
En plus de l'altitude et de la largeur de vallées que nous n'avons pu modéliser, à Yaoundé, les inondations provoquent aussi des catastrophes du fait d'une urbanisation intensive des berges des cours d'eau. En effet, les cases sont au contact immédiat des plans d'eau, sans aucun aménagement protecteur des berges. Nous pensons toutefois que de tels incidents peuvent être évités, ou du moins réduits, si une ceinture de sécurité de 50 m est observée de part et d'autre des plans d'eau. Pour définir ce couloir de sécurité, il est question de classer les zones urbaines en fonction de leur éloignement par rapport aux plans d'eau (rivières et lacs). Les zones les plus proches des plans d'eau sont naturellement les fonds de vallées (0 m), alors que les points les plus éloignés se trouvent à environ 900 m, la distance moyenne aux plans d'eau étant d'environ 160 m. Il est aussi possible de définir les zones propices à l'urbanisation, selon qu'elles se trouvent en dehors de la ceinture de sécurité de 50 m. Ainsi, tous les environs immédiats des plans d'eau sont reconnus impropres à l'urbanisation.

Les zones constructibles et impropres à l'urbanisation ou la combinaison des critères
Jusqu'ici, nous avons analysé individuellement les critères de constructibilité (l'altitude, la pente et la distance linéaire aux plans d'eau). Une telle information paraît décousue. Pour en avoir une vision synthétique, nous avons combiné tous ces critères pour obtenir un résultat binaire unique. Les zones aptes à recevoir une densification urbaine sont donc celles qui répondent simultanément aux trois conditions ci-dessus définies, à savoir : une altitude comprise entre 700 m et 850 m, une pente inférieure ou égale à 5 % ; une distance aux plans d'eau supérieure à 50 m. Toutes les autres zones sont considérées comme impropres à l'urbanisation. Elles présentent trois cas de figures : certaines répondent à un seul des trois critères (par exemple pente supérieure à 5 % mais situation dans le couloir de sécurité) ; d'autres satisfont à deux conditions (par exemple altitude 720 m et pente inférieure à 5 % mais proche de 40 m d'un cours d'eau) ; d'autres encore ne satisfont à aucun des critères.

Ce résultat binaire synthétique fait voir que les zones impropres à l'urbanisation se retrouvent bien sur la ligne des hautes collines, dans les zones les plus basses du Sud et dans les fonds de vallées, soit 32 % de l'espace urbain. Les zones constructibles quant à elles regroupent tous les terrains d'altitude moyenne ayant une pente douce et assez éloignés des plans d'eau, soit 68 % de l'aire métropolitaine totale.

Conclusion
Nous avons d'abord présenté deux des conditions physiques du site collinaire de Yaoundé, pour montrer l'ampleur des risques naturels que pose une urbanisation rapide, incontrôlée et sans aménagement protecteur préalable. Nous avons ensuite défini et évalué les critères à observer pour soumettre une zone à une densification urbaine avec un minimum de risques. D'abord analysés individuellement, ces critères ont été combinés de manière à donner une vision générale et binaire de la constructibilité du site de Yaoundé. Il faut cependant dire que les zones reconnues inadaptées à une densification urbaine pourraient recevoir des constructions, moyennant la réalisation de certains aménagements protecteurs du site, l'acceptation des coûts parfois élevés, moyennant aussi le respect d'un certain coefficient d'occupation du sol.
(Article publié par L'essentiel du Cameroun)

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