POINT DE VUE

Thiaroye 44 : manifeste pour la nationalité française des descendants de tirailleurs


Alwihda Info | Par Aliou Tall, Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen) - 3 Décembre 2024


Préambule : A l’occasion du 80ème anniversaire du massacre de tirailleurs africains par la France, survenu le 1er décembre 1944, nous lançons ce manifeste pour appeler le président français, les présidents africains, les peuples français et africains, à travailler ensemble pour un geste d’apaisement et de reconnaissance : l’attribution de la nationalité française aux descendants de tirailleurs présents à Thiaroye ce jour fatidique.


Ces derniers temps les relations historiques entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique se sont dégradées considérablement. Loin des idéologies qui s’opposent, nous pensons qu’il y a lieu d’apaiser les douloureux souvenirs qui hantent nos esprits, et ressouder les liens de fraternité qui nous unissent. Les nouvelles prises de conscience de la jeunesse africaine sur l’esclavage, la colonisation, et l’enrôlement d’africains dans les forces armées françaises lors des deux guerres mondiales, en Algérie et en Asie, suscitent une soif de vérité et de justice qu’il urge d’assouvir, avant que les frustrations exprimées ne se soldent en radicalisations.

C’est dans cette perspective que nous émettons ce manifeste, à l’occasion du 80ème anniversaire de « Thiaroye 44 », pour demander à la France d’assumer pleinement sa responsabilité sur le massacre perpétré ; d’exprimer des excuses à tous les pays africains ayant des ressortissants parmi les victimes ; et, surtout, de faire un geste exceptionnel de fraternité et de compassion en faveur des descendants des victimes.

Nous demandons à la France de bien vouloir adopter une mesure législative qui permettra aux descendants des tirailleurs africains présents au camp de Thiaroye le 1er décembre 1944, d’accéder à la citoyenneté française. Il nous semble qu’une telle mesure, dérogatoire du droit commun de la nationalité française, serait juste et légitime.

D’autant plus que les dispositions actuelles sur l’acquisition de la nationalité française ne permettent pas à ces descendants de recouvrer la nationalité française de leurs ascendants et d’en bénéficier par le biais de la filiation.

L’inertie sur cette question pourrait corroborer et encourager les extrapolations sur des discriminations raciales dans l’armée française au détriment des tirailleurs africains : blanchiment des rangs de l’armée française à la fin de la deuxième guerre mondiale, cristallisation discriminatoire des pensions militaires des tirailleurs, blocages juridiques à la conservation de leur nationalité française.

Discussion
Considérant que les ressortissants des territoires d’outre-mer avaient la qualité de citoyens français, au même titre que les nationaux français de la métropole et des départements d’outre-mer.

Considérant qu’au même titre que les ressortissants des anciens territoires d’outre-mer présents dans leurs pays au moment des indépendances, les tirailleurs dans cette situation avaient perdu leur nationalité française par une mesure collective. Qu’ils n’auraient pu conserver leur nationalité française que s’ils avaient établi, avant l’accession à l’indépendance de leurs pays, leur domicile de nationalité hors d’un Etat qui avait eu antérieurement le statut de territoire d’Outre-mer de la République française.

La France considérant le domicile de nationalité comme une résidence effective, stable et permanente, correspondant au centre des attaches personnelles et professionnelles.

Considérant, qu’en plus de la perte collective de la nationalité française induite par les indépendances, la loi française pose un autre obstacle à la conservation de la nationalité française des tirailleurs : la France oppose aux descendants de tirailleurs la résidence de leurs ascendants hors de France depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Ils se heurtent à la perte de la nationalité française des tirailleurs qui, selon la loi française, intervient dès lors que ces derniers n’ont pas de possession d’état de français et sont demeurés fixés à l’étranger pendant plus de 50 ans.

Considérant toutefois qu’en vue de l'acquisition de la nationalité française, la France assimile à la résidence en France, le séjour hors de France des étrangers qui travaillent pour la France ou pour un organisme dont l’activité présente un intérêt pour la culture ou l’économie française ; le séjour hors de France des étrangers qui sont dans une formation régulière de l’armée française, ou des étrangers qui sont des volontaires du service national.

Que la France confère aussi la nationalité française, sans condition de résidence, à tout étranger francophone qui contribue au rayonnement et à la prospérité des relations économiques internationales de la France. Les tirailleurs méritent autant de considération.

Considérant que la France admet aussi la conservation ou l’attribution de la nationalité française de certaines catégories d’étrangers, sans la condition de résidence. En effet, la France a formellement consacré la conservation de la nationalité française des français qui étaient domiciliés sur un territoire d’outre-mer le jour de son indépendance, ainsi que celle de leurs conjoints, veufs ou veuves, et descendants.

Qu’elle a ainsi décidé, par une présomption légale, que leur domicile de nationalité n’était pas juridiquement fixé sur ce territoire, bien qu’il y fût effectivement établi. Les tirailleurs méritent autant de considération. Considération que, dans une démarche politique et par une mesure législative, la France a acté la conservation de la nationalité française des français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie le jour de son indépendance. Bien que leur domicile de nationalité fût longtemps établi sur le territoire algérien, et même s’ils avaient eu la nationalité algérienne.

  Considérant que la France accorde aux anciens membres du Parlement de la République et de l'Assemblée de l'Union française qui ont perdu la nationalité suites aux indépendances, ainsi qu’à leurs conjoints, veufs ou veuves et à leurs enfants, la possibilité d’être réintégrés dans la nationalité française, par simple déclaration et à la seule condition d’établir leur domicile en France.

Les tirailleurs méritent autant de considération
Considérant que le peuple et législateur français ont régulièrement exprimé leur volonté d’être reconnaissants à l’égard des personnes qui ont été engagées dans les armées françaises. Que cet engagement militaire est un lien fort avec la nation française, lien qui empêche d’ailleurs les français qui contractent un engament dans les armées françaises de répudier leur nationalité française.

Considérant que la France permet ainsi la naturalisation d’étrangers engagés dans les armées françaises, et qui ont été blessés en mission. Que la France permet aussi de naturaliser, sans conditions de stage, les étrangers qui ont accompli des services militaires ou contracté un engagement volontaire dans l’armée française.

Considérant, en outre, que cette volonté est exprimée dans l’attribution de la nationalité française aux mineurs nés en France de parents étrangers, dès la date de leur incorporation en qualité d’engagé dans l’armée française.

Considération qu’en l’état actuel du droit français, les descendants de tirailleurs ne peuvent plus souscrire une déclaration de nationalité au titre de la possession d’état de français qu’auraient eue leurs ascendants après les indépendances.

Considérant toutefois que les tirailleurs ont non seulement accompli des services militaires dans des unités de l'armée française et combattu dans les armées françaises ou alliées en temps de guerre, mais encore ils ont concédé pour la France des sacrifices humains, sociaux, et familiaux ; ils ont endurés pendant quatre ans, pour la patrie française, des souffrances déshumanisantes dans les Frontstalags sous l’occupation allemande.

Mieux, malgré les indépendances, ils ont conservé avec la France des liens d’ordre culturel et historique ; et la France a continué de leur verser des pensions militaires, bien que cristallisées pendant des décennies.

La France pourrait alors considérer que les tirailleurs et leurs enfants ont joui de façon constante de la possession d’état de français. Leurs fils et petits-fils pourraient alors réclamer la nationalité française qu’ils tiennent d’eux par la filiation. Les tirailleurs méritent cette considération.

Considérant qu’il ressort de la loi française que l’enfant dont l’un des parents au moins est français, acquiert la nationalité française. Que le fait d’établir la nationalité française des tirailleurs, maintenant, ne constitue pas un obstacle à ce que leurs descendants soient considérés comme ayant acquis cette nationalité dès leur naissance.

La postériorité de l’existence des conditions requises par la loi pour l’attribution de la nationalité française n’excluant pas un transfert de celle-ci par la filiation. Considérant qu’une réintégration post-mortem des tirailleurs africains dans la nationalité française n’aura pas d’effet utile sur la nationalité française de leurs descendants.

Conclusion
Par ces motifs, nous demandons au peuple français, aux députés, aux sénateurs, aux autorités militaires et au président de la République française de travailler avec les autorités africaines des pays concernés, pour : Considérer que le domicile de nationalité des tirailleurs présents à Thiaroye le 1er décembre 1944 était en France, même après les indépendances.

Qu’ainsi, ces tirailleurs n’ont pas été affectés par la mesure collective de perte de la nationalité française survenue avec l’indépendance des territoires d’outre-mer.

Que, dès lors, les descendants de ces tirailleurs pourront entamer les démarches pour se voir attribuer la nationalité française. Reconnaître aux descendants de tirailleurs, nés entre le 27 octobre 1946 et la date de l’indépendance de leurs pays, le bénéfice du double droit du sol, dès lors qu’ils prouvent qu’ils sont nés sur un territoire sous souveraineté française, d’un parent qui y est lui-même né.

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