Ce qui suit peut paraître indigeste. Ce qui suit peut paraître insensé. Ce qui suit peut paraître inopportun dans l'actuel contexte Centro-centrafricain. Pour le lire et comprendre ces propos, prière de poursuivre sans à priori.
Les tribus ne sont pas une invention post république. Elles sont comme Daouda-Kassaï et Bas Oubangui, les deux chaînes de colline qui coupent la continuité de la ville de Bangui d'Est en Ouest sur un axe Nord-Sud. Elles étaient là avant le choix du site de l'actuelle ville de Bangui. Ce qu'elles représentent comme handicap peut être contourné si l'on prend le temps pour réfléchir sur la problématique et faire de ces collines, un atout pour la ville de Bangui.
Il en est de même des tribus en Centrafrique. Ce pays (la RCA) à l'instar de nombreux autres en Afrique, n'est pas une société « atribale », c'est à dire sans tribu. L'ETAT tel que nous l'avons aujourd'hui est un héritage colonial. Nous étions avant cela, des unités humaines plus ou moins organisées mais n'appartenant pas à une structure centrale telle que nous les sommes aujourd'hui. Nous étions, à l'exception des pygmées, venus d'ailleurs. Certains des réfugiés politiques, d'autres des réfugiés climatiques ou économiques. La réforme scolaire de Mr Maïdou a permis d'introduire une hérésie qui fait office de loi universelle jusqu'à ce jour et qui prêche le début du peuplement de la RCA à partir de 1820.
Ainsi donc, parler des tribus ou de la tribu ne devrait pas être un sujet tabou. Dans ma famille, mon père, ses frères et cousins ont poussé l'exercice à son paroxysme en remontant l'arbre généalogique familial jusqu'à huit générations de sorte que chez nous, l’hurluberlu qui viendra dire que les Yakoma viennent du Zaïre devra se réveiller du bon côté s'il n'a pas peur de devenir ridicule.
La RCA n'est pas un bloc monolithique. C'est un assemblage issu d'une part de la conférence de Berlin en 1884/1885 et d'autre part de la volonté de la France puisqu'à la motivation de celle-ci, la cartographie administrative de ce qu'est l'actuel Centrafrique a connu de nombreuses évolutions.
La France a décidé de mettre ensemble des personnes dans une structure administrative unique : d'abord colonie puis territoire autonome et depuis 1960, une république. Le devoir revenait à celles-ci à partir de 1946 de défendre leurs intérêts et dès 1958 de créer des passerelles pour consolider la communauté de destin. Hélas, il en a été autrement. Nous avons eu le KAMAGNA POWER jusqu'en 1981 suivi du SIA RULES jusqu'en 1993 lui-même suivi du PAOUA STYLE qui s’éclipsa pour laisser le champ aux GBAYABOYS BELIEF eux-mêmes chassés un 24 mars 2013 par le DJELLABA MOMENTUM qui dût se retirer au profit du SAINT KOUANGO TIME. Là, c'est le mauvais côté du discours sur la tribu c'est à dire son utilisation comme socle de légitimité politique nationale ou comme principal outil de conquête et/ou de consolidation et de conservation du pouvoir. On dit chez nous Tribalisme.
Même si à ses débuts, le Président Dacko prit quelques initiatives pour lutter contre le tribalisme, jamais, tout au long de ces 56 dernières années, des passerelles furent construites pour consolider les liens entre les différentes composantes centrafricaines. Pour preuve, une unité politique du pays fut réalisée au détriment de l'unité géographique et sociale.
Il y a quelques années, discutant avec un tonton, ce dernier me relatait son Centrafrique idéal, celui de sa jeunesse. Celui de ce pays où les notions de tribalisme étaient ou paraissaient abstraites. Quand il eut fini son refrain nostalgique, je lui fis remarquer qu'eux, une fois aux
affaires, furent les artisans de la balkanisation réelle du Centrafrique. Il s'emporta. Je lui fis remarquer que nous avons cru être UN parce que nous parlons tous la même langue et qu'à 99,8%, nous mangions tous le manioc mais cela ne constitue pas la véritable UNITE. J'ai appuyé mon observation en disant que nous sommes un peuple de JUXTAPOSES et depuis 125 ans, rien ne fut réellement initié ni par la coloniale et encore moins par les Centrafricains depuis 1958 pour que nous passions de la juxtaposition à l'intégration.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Que faire pour s'en sortir ? Ces réflexions méritent d'être poussées à l'extrême.
J'ai souvent dit que Bangui est l'avenir de la RCA. Non pas parce que c'est la capitale administrative et principale ville du pays mais parce qu'elle est le miroir de tous nos problèmes, le reflet de nos travers. Si nous voulons comprendre la RCA, nous pouvons la comprendre à travers Bangui. Si nous voulons trouver des solutions aux maux du Centrafrique, Bangui se révèle être le meilleur laboratoire.
En effet, on ne peut pas trouver meilleur endroit en Centrafrique pour consolider la Théorie de la Juxtaposition que Bangui.
La carte qui suit est extraite de « Rivalités ethniques et guerre urbaine au cœur de l'Afrique – Bangui (1996-2001) (1). Elle indique clairement que Bangui, en dehors d'une petite bande (avenue Boganda et avenue de France) qui fait moins de 5 km² sur une agglomération d'environ 120 km², l'occupation du sol Banguissois n'est pas ethniquement homogène.
Les gens de la forêt et du fleuve au Sud, les gens de la savane au Nord, une véritable bombe à retardement, ce qu'Emmanuel Chauvin nomme : « configuration pré conflictuelle ».Jusqu'en 1946, il fallait un laissez-passer pour entrer à Bangui. Puis le développement ségrégué par l'expansion spatiale et démographique de la ville vint consolider son fondement pré conflictuel par une arrivée massive de personnes dans les années 50 et 60. on disait à l'époque exode rural.
Les événements de 1996 et 2001 permirent d'opérer un nettoyage ethnique de certains quartiers de sorte qu'il y a des latitudes à Bangui que certains n'osent plus franchir dans le cadre d'une installation. Le Nord fut « désudiser » et le Sud fut « dénordiser ».
Le traumatisme est là, il est bien réel. J'avais un tonton Gbaya qui habitait un quartier du sud. Il a vécu toute sa vie, ses enfants y sont nés et sont pour moi des frères et des sœurs. À la faveur des événements de 1996, sa maison fut rayée de la carte et il dut se résigner à émigrer vers un quartier ethniquement compatible.
Un oncle qui habitait à quelques hectomètres de la barrière du PK12 et qui possédait une ferme sur la route de Damara, dut lui aussi se résigner à descendre vers le sud, voyant sa maison réduite en cendre et sa ferme restituée à la nature.
Moi-même je dus quitter SICA 1 où nous habitions à quelques pas de la direction générale de la gendarmerie et du siège du ministère de la défense nationale peu de temps après le déclenchement de la 3ème mutinerie et avoir eu la visite d'hommes en armes car soupçonné de sympathie mutine.
Un retour en arrière nous permet de fixer dans le temps, les origines ségréguées de Bangui.
Jean DRESCH, 1946 : « Bangui est une ville assez extraordinaire qui répond mal aux définitions traditionnelles. Les urbanistes prévoient qu'elle occupera la colline. On devine en effet le parti qu'ils en pourraient tirer pour l'aménagement des quartiers résidentiels. Mais elle n'est encore occupée que par des singes et par des panthères qui parfois se hasardent dans les rues de la ville. La ville blanche de Bangui vit dans l'avenir qui, du reste, parait assuré...
La population de Noirs est déjà imposante, puisqu'on dénombrait plus de 25 000 individus à la fin de 1945. Mais la répartition des indigènes n'est pas moins curieuse et incertaine. Bangui ne compte pas de gros villages groupés. Seize agglomérations, souvent désignées par le nom du chef de canton ou de quartier se dispersent dans le périmètre urbain. Certaines ne sont souvent que de vrais villages de ruraux intégrés dans la ville. Aucune n'est complètement coupée de la vie rurale...Ainsi la ville blanche s'entoure, à distance respectueuse, d'une série de villages. Il y en avait un autre tout près, sur l'emplacement de la future gare ; on l'a fait déménager, bien que certains de ses habitants aient construit en dur. Mais un village d'"évolués" et d'ouvriers est en cours de construction, au sud du terrain d'aviation. Les cases sont en dur et soignées...
Curieuse ville, en somme, semi-rurale encore, puisqu'elle contient non seulement des planteurs blancs, mais aussi et surtout des agriculteurs noirs qui ne sont pas "détribalisés". Réserve de main-d'œuvre pour la ville future...
Attirés à la fois par le fleuve et par la colline, les blancs se sont établis d'abord sur la berge, ombragée par de vénérables manguiers, le long de ce qu'on appelle le port, digne de ce nom seulement depuis qu'un quai, pendant la guerre, a été aménagé. Au-dessus, des rues en damiers grimpent, toujours bordées de manguiers, sur les pentes inférieures de la colline factoreries et cases administratives sont du vieux type colonial. Mais à partir de la place du marché, la ville s'est étendue dans trois directions : le long du fleuve vers l'aval, vers les marais où conflue la M'Poko où s'esquisse un quartier portuaire et industriel, aux abords de la future gare du Bangui-Tchad, le long de la route de M'Baïki où se sont établis quelques petits planteurs blancs, enfin au contact de la colline et de la plaine où se succèdent missions, hôpital, logements, locaux administratifs, cité de l'aviation, tous bâtiments qui n'ont plus rien de colonial...
Quant à la population indigène, elle se répartit dans seize agglomérations qui se dispersent dans le périmètre urbain. En contournant la colline, on rencontre d'abord, en amont de la mission Saint-Paul, un groupe de villages nouvellement installés et occupés par des pêcheurs et cultivateurs appartenant aux races avoisinantes, Sangho à N'Zengué, Yakoma à Gremboutou, Banziri à Sao [entendez : Sayo], auxquels se mêlent des employés. Vers le Nord, après de petits "quartiers" où
résident des boys ou des prostituées attirées par le camp militaire, le village de N'Garsoué est un village de paysans N'Drè englobé dans la ville. Kaïmba et Boy-Rabé sont deux agglomérations jointives, peuplées d'anciens tirailleurs et de Baka-Mandjia. A la pointe du périmètre urbain, Bafio et Magoambala sont peuplés de Baya et de Mandjia, tous plus ou moins agriculteurs. Les villages situés au-delà du terrain d'aviation sont, au contraire, des villages de commerçants et artisans, étrangers au pays et musulmans, villages jointifs installés là sur plan en damiers, tandis que les autres s'aménagent au gré des occupants : Sénégalais à Ibrahim Sow, Bornouan à Mustapha, Haoussa à Mamadou-M'Baiki, concessions bien closes qui rappellent le Soudan et l'Islam contrastent avec les cases de leurs voisins, Banda de Malimaka, Sara d'Assana, anciens gardes de Yakété… » (2)
A la lumière de son passé lointain et récent, on peut affirmer que Bangui, deuxième chef-lieu du territoire du Haut Oubangui puis capitale du Centrafrique, loin d'être un carrefour cosmopolite est une juxtaposition de ghettos dont la matrice principale est l'ethnie et la région. Ce qui lui donne un caractère conflictuel permanent. Les événements de 1996/1997 et 2001 en sont la parfaite illustration. À ceux-là, est venu s'ajouter le ghetto confessionnel par la stigmatisation à tort ou à raison du KM5 et l'amalgame crée par les hommes de Nourredine et Assimeh entre les habitants de Boyrabe et Bozizé.
Comment rendre homogène la mosaïque humaine de Bangui. Comment créer la cohésion sociale. En réponse à ces questions, j'avais depuis 2003 plaidé pour un transfert de la capitale de Bangui à Bambari. Cette solution, à court ou moyen terme n'est pas envisageable vu l'état actuel de la RCA. Précisons que ce projet de transfert n'est pas seulement un acte spatial et administratif mais intégré dans un projet global que j'avais nommé PGASM pour Processus Global d'Amélioration des Situations Concrètes de nos Masses.
Aujourd'hui le défi principal auquel Bangui est confronté est celui de la sécurité. La cohésion de ses populations est un aspect primordial. Ne pas l'intégrer dans ce processus de stabilisation, c'est préparer les conditions de la prochaine flagellation, c'est consolider les tranchées.
L'avenir de Bangui et sa sécurisation passent par l'éradication du principal ghetto refuge Banguissois qu'est la TRIBU. Non pas comme lien social mais comme socle de développement urbain.
Clément De Boutet-M'bamba
Post-scriptum : En remplaçant Bangui par RCA, le verbatim de ce billet demeure inchangé.
1: Rivalités ethniques et guerre urbaine au cœur de l'Afrique – Bangui (1996-2001). Enjeux, 2009, 40, p. 30-38. <hal-00948669>
2: Jean Dresch, Villes congolaises -Etudes de géographie urbaine et sociale- repris par Marcel Soret in Bangui : études socio-démographique de l'habitat, Tome 1, Caractères et Structures, pages 28-29, ORSTOM, Bangui-Brazzaville, Mai-Juillet 1961.
Villes congolaises : Étude de géographie urbaine et sociale, Jean DRESCH, La Revue de géographie humaine et d'ethnologie – Paris, ISSN 1141-2119, ZDB-ID 2087753. Vol 1.1948,3,p. 3-24