"La corruption n’est plus un problème local, mais un phénomène transnational qui frappe toutes les sociétés et toutes les économies, ce qui rend la coopération internationale essentielle pour la prévenir et la juguler, (...)" – Convention des Nations unies contre la corruption
"La corruption piège des millions de gens dans la pauvreté". – Transparency International
"Nous considérons la corruption comme le plus grand obstacle au développement économique et social". – La Banque mondiale
Selon la Banque mondiale, la corruption peut généralement être définie comme l’abus de pouvoir aux fins de gains personnels.
Il existe divers types de corruption, selon qu’elle s’exerce aux niveaux les plus élevés des gouvernements ou aux échelons les plus modestes, portant sur l’échange de petites sommes d’argent en échange de faveurs minimes de petits fonctionnaires.
Mais quelle que soit son ampleur, la corruption sape le développement de la société civile et accroît la pauvreté, particulièrement lorsque les ressources publiques qui pourraient servir à financer les aspirations des peuples à une vie meilleure sont gaspillées ou détournées par des agents publics.
Ces dernières années, grâce à une série d’accords internationaux, un cadre international de lutte contre la corruption a commencé à prendre forme.
Des pays peuvent désormais, à titre individuel, rendre leurs mesures de lutte contre la corruption plus efficaces par une application rigoureuse de la loi et en s’appuyant sur la communauté internationale.
Même s’il est sans doute impossible d’éliminer la corruption aux États-Unis, l’adoption de règlements visant à combattre les tractations malhonnêtes et de lois destinées à accroître la transparence dans l’administration a réussi à réduire ces pratiques. On peut en effet désormais examiner à la loupe les actions des agents publics de façon à faire la chasse au gaspillage, à la fraude et aux abus.
Les lois relatives à la liberté de l’information et à la transparence ("sunshine laws") sont deux outils importants de la lutte contre la corruption aux États-Unis.
Les Américains suivent depuis longtemps deux approches très différentes en matière de lutte contre la corruption. La première, et celle dont les racines sont les plus profondes, est celle de la réglementation.
Qu’une pratique soit jugée peu judicieuse, voire détestable, par les citoyens ou leurs élus, et l’instinct d’adopter un règlement la prohibant prend le dessus.
On a vu ainsi proliférer les règlements, au point parfois d’assister à la mise en place de toute une réglementation destinée à prévenir la répétition d’un seul problème.
L’enquête sur l’affaire du Watergate concernant l’usage du pouvoir présidentiel par le gouvernement NIXON, dans les années 1970, a stimulé la formulation d’une deuxième stratégie de lutte contre la corruption. À elles seules, les règles n’avaient pas suffi à prévenir les abus généralisés de l’exécutif.
En outre, un grand nombre de réformateurs voyaient d’un œil très inquiet la concentration du pouvoir exécutif et le voile du secret qui couvrait souvent l’exercice de ce pouvoir.
Le Congrès tenta de réduire la corruption en créant plusieurs programmes destinés à accroître la transparence.
Certes, il est impossible d’éliminer la corruption. Les occasions sont nombreuses de manipuler les rouages publics de manière à obtenir un gain privé, et la corruption ne s’élimine pas à coups de règlements. Mais comme le montre l’approche adoptée aux États-Unis dans les années 1970, il serait peut-être possible de la réduire en ouvrant les portes du gouvernement, en braquant un faisceau de lumière vive sur son fonctionnement interne et en donnant aux investigateurs les moyens d’examiner à la loupe les actions des agents publics de manière à combattre le gaspillage, la fraude et les abus.
Cette approche est profondément enracinée dans la tradition politique des États-Unis et elle se fait l’écho des propos tenus en 1822 par James MADISON, le quatrième président des États- Unis : "Un gouvernement démocratique en l’absence de l’information du peuple ou des moyens d’acquisition de l’information n’est que le prologue d’une farce ou d’une tragédie, voire des deux. Le savoir gouvernera toujours l’ignorance, et un peuple qui entend se gouverner doit s’armer du pouvoir que confère le savoir".
La liberté de l’information
L’un des éléments les plus importants de cette stratégie est la loi relative à la liberté de l’information (FOIA, Freedom of Information Act).
Promulguée en 1966, la FOIA établit le principe que les documents du gouvernement appartiennent au peuple et que ce dernier a le droit de les consulter.
Rompant avec la tradition, cette loi rejette l’idée que les documents sont privés tant que le citoyen n’a pas prouvé son droit de les voir et elle présume au contraire qu’ils sont publics à moins que le gouvernement ne prouve qu’ils doivent rester secrets (pour des raisons de sécurité nationale ou de protection de renseignements personnels).
Fait peut-être plus important encore, la FOIA jette les fondements sur lesquels seront bâties les réformes ultérieures : elle affirme le droit du citoyen de savoir ce que fait son gouvernement.
Une loi complémentaire, le Privacy Act de 1974 relatif à la protection des renseignements personnels, pose en principe que le citoyen a le droit de consulter les renseignements que le gouvernement a recueillis à son sujet.
Le Bureau fédéral d’enquête (FBI), par exemple, avait conservé des fichiers détaillés sur certaines personnes. Ses détracteurs accusèrent cet organisme d’avoir enfreint les droits des individus dans le cadre de la collecte de ces renseignements. Ils firent en outre valoir que ces renseignements pouvaient être faux et ils exprimèrent la crainte que le gouvernement ne les utilise au détriment et à l’insu des individus concernés.
En vertu du Privacy Act, le citoyen peut obtenir une copie des fichiers le concernant et, le cas échéant, contester la véracité des informations qu’ils contiennent.
En outre, cette loi restreint la capacité du gouvernement de divulguer ces renseignements à des tiers. Ensemble, la FOIA et le Privacy Act établissent la base juridique de la politique du gouvernement en matière de transparence, mais ils obligent aussi les organismes publics à rédiger des lignes directrices précises quant à la façon dont ceux-ci entendent appliquer ces deux lois, et ce afin que la politique de transparence soit elle-même transparente.
La transparence dans l’administration
En 1976, le Congrès a continué sur sa lancée en adoptant le "Government in the Sunshine Act", la loi sur la transparence de la gestion des affaires publiques.
À quelques exceptions près, essentiellement pour des raisons de sécurité nationale et de respect des renseignements personnels, cette loi oblige le gouvernement à ouvrir ses réunions au public. Les organismes publics doivent aviser le public du calendrier, de l’ordre du jour et des résultats de leurs réunions.
En outre, la loi prend soin de définir le mot de "réunion" pour éviter que des représentants du gouvernement ne se retrouvent en groupe afin de prendre des décisions tout en se défendant d’avoir participé à une réunion officielle.
Deux ans plus tard, le Congrès a adopté la loi portant création du poste d’inspecteur général : celle-ci prévoit la nomination dans chaque organisme fédéral d’un haut fonctionnaire qui est chargé d’effectuer des audits et de mener des enquêtes.
Ces inspecteurs généraux bénéficiaient de larges moyens d’action pour explorer le fonctionnement des organismes, ils jouissaient de l’autonomie budgétaire et ils avaient leur propre personnel.
C’est le gouvernement du président Jimmy CARTER qui avait poussé à l’adoption de cette loi. Quand il lui succéda, Ronald REAGAN limogea l’ensemble des inspecteurs généraux, seize au total, ce qui suscita des inquiétudes quant à sa détermination à lutter contre le gaspillage.
Du coup, Ronald REAGAN remit cinq inspecteurs généraux en poste, en nomma onze nouveaux et affirma que chacun d’entre eux serait "plus agressif qu’un chien dans un parc à ferrailles" ("meaner than a junkyard dog", pour reprendre les paroles de la célèbre chanson Bad, Bad Leroy Brown).
Les inspecteurs généraux ont souvent établi des rapports courageux sur des questions de grande importance, qu’il s’agisse de la mauvaise gestion du gouvernement fédéral ou des difficultés en matière de passation de marchés publics.
Leurs propos cinglants ont souvent excité les passions politiques, mais ils demeurent une composante importante de la politique de transparence du gouvernement fédéral, malgré les nombreuses occasions qui existent de saper leur rôle. Toutes ces initiatives sont d’origine fédérale, et elles ne sont contraignantes que pour les organismes fédéraux.
Ceci dit, la plupart des États individuels du pays ont adopté des lois du même genre (et les règles adoptées par le gouvernement d’un État s’appliquent généralement aux municipalités et aux gouvernements locaux).
Depuis les années 1970, la transparence a tenu une importance égale à celle de la réglementation dans les efforts de lutte contre la corruption.
Autres questions en jeu
Certes, des politiques rigoureuses ne produisent pas toujours la réalité désirée. Des représentants du gouvernement ont été reconnus coupables d’avoir usé de leur poste à des fins personnelles, et notamment d’avoir obtenu la promesse d’un emploi ultérieur dans des sociétés avec lesquelles ils avaient négocié des contrats ou encore d’avoir touché des dessous-de-table.
Le personnel du bureau d’un inspecteur général demeure relativement modeste par rapport à l’ampleur des activités dont il assure la surveillance. Inévitablement, il doit donc se concentrer sur certaines questions au détriment d’autres, ce qui fait qu’il est accusé à l’occasion de négliger certains problèmes et de se laisser guider parfois par des motivations politiques. Par ailleurs, ces mesures de transparence coûtent cher parce qu’elles alourdissent les procédures administratives.
Les organismes ont dû se doter d’un personnel supplémentaire pour traiter les demandes des citoyens qui sollicitent l’accès à leurs fichiers et à diverses informations.
Ils ont dû établir de nouvelles procédures pour faire connaître leurs activités et les résultats qui en découlent, et l’obligation de préavis contenue dans le "Sunshine Act" ralentit obligatoirement l’action des organismes publics.
En outre, la transparence ne s’est pas généralisée dans l’ensemble du gouvernement. Le pouvoir judiciaire, surtout au niveau fédéral, a résisté au mouvement en faveur de la transparence, en particulier en ce qui concerne la question de la diffusion télévisée des plaidoiries et des décisions.
Pour autant, la progression du mouvement en faveur de la transparence dans l’administration a eu des résultats largement positifs.
Elle a contribué à rétablir la confiance du public dans le gouvernement et ses rouages après les remous qui ont accompagné les enquêtes sur l’affaire du Watergate au début des années 1970. Elle a donné un coup de fouet à l’engagement des citoyens dans les affaires publiques.
Même ses détracteurs sont bien obligés de le reconnaître, ne serait-ce que du bout des lèvres : en dépit des difficultés procédurales qu’elle crée, la transparence a rehaussé le niveau général de la délibération. Elle n’a pas remplacé la réglementation comme premier rempart contre la corruption et elle n’a pas éliminé ce phénomène non plus, mais elle a certainement consolidé le processus démocratique.