Emmanuel MARTIN
Le 20 novembre est célébrée la journée de lindustrialisation de lAfrique. Lindustrialisation est traditionnellement prônée sur la base de largument quelle est le meilleur atout pour sortir les populations de la pauvreté. Dans quelles conditions ? Est-ce toujours vrai ?
Cette thèse remonte à lidée dindustrie industrialisante (Gérard DE BERNIS) elle-même largement inspirée de celle de pôle de croissance (François PERROUX) ayant des effets dentrainement sur les autres secteurs.
Lidée, développée plus avant notamment par Nicholas KALDOR, est que les secteurs industriels jouissent naturellement de fortes économies déchelle : le potentiel de hausse de productivité et donc, in fine, de développement est bien plus élevé que pour le secteur tertiaire par exemple. Lexemple de lAllemagne ou des dragons asiatiques illustre facilement le propos.
Pour autant, un élément essentiel du développement économique est le climat des affaires qui permet (ou pas, sil est mauvais) aux entreprises démerger. Il est aussi un facteur explicatif de lattraction des investissements directs étrangers qui peuvent être un facteur dindustrialisation du pays.
Malheureusement bien souvent en Afrique, léconomie de rente a tendance à bloquer linstauration dun climat relativement sain des affaires. Cela est vrai de la rente des ressources naturelles qui, par la "malédiction des ressources" quelle génère, garantit malheureusement bien souvent la mauvaise gouvernance, la corruption et la pauvreté pour la majorité, exclue du gâteau de la rente. Cela est aussi vrai de la rente issue dun quasi-monopole de quelques grandes entreprises entre les mains du pouvoir politique :
En étouffant ainsi la concurrence et en assurant linefficacité dun secteur protégé, on sinterdit en définitive lindustrialisation tant désirée, qui est rappelons-le un processus "schumpétérien" reposant sur lémergence de nouvelles entreprises spécialisées.
Un point rarement soulevé est celui de la question même de lindustrialisation de lAfrique comme source de développement. Cette réflexion irait évidemment un tant soit peu à lencontre de lidée de cette journée, mais il convient den évoquer la substance.
En effet, il pourrait être problématique de se focaliser uniquement sur lindustrialisation. Dabord parce que celle-ci requiert des compétences (capital humain) et des complémentarités (industrielles) qui sont pour le moment relativement absentes en Afrique, et qui, si les questions déconomie de rente et de climat des affaires ne sont pas rapidement résolues, ne pourraient de toutes les façons pas sexprimer.
On pourrait rétorquer que les pays dAsie sont parti du même pointe que lAfrique en matière de capital humain par exemple. A ceci près dabord que la concurrence en la matière est nettement plus vive aujourdhui pour lAfrique (lavantage en termes de main duvre à bas coût est nettement moins évident). Par ailleurs ces pays avaient fait ce quil fallait dans certaines composantes du climat des affaires, et notamment dinfrastructures pour le commerce international.
Mais de manière plus importante, lindustrialisation nest peut-être pas lunique recette du développement. Le développement est fondé sur la capacité à créer de la valeur (à travers toute la population). Et lindustrie nest pas la seule source de création de valeur.
En Afrique, lexemple du Zimbabwe avant les réformes de 2000 et le contre-exemple de la destruction du secteur après ces réformes- semble montrer que lagriculture a un effet très positif sur le développement. En nouvelle Zélande, le développement de lagriculture a permis le développement de lindustrie agroalimentaire. Au Luxembourg, ce sont très majoritairement les services (plus de 85%) qui tirent léconomie du pays jouissant du premier PIB per capita de la planète selon la Banque Mondiale (2011).
Plus profondément encore, la mondialisation des échanges aujourdhui fait quun T- Shirt nest plus, en dépit de létiquette, Made in China ou Made in USA, mais Made in the World. La fragmentation des processus à léchelle mondiale fait que la production des différentes composantes, matérielles et immatérielles (services), sont réparties à travers la planète en fonction de ce que les acteurs dans les différents pays peuvent offrir.
Voilà donc une chance unique pour les africains de se saisir dopportunités dans la chaines de valeurs mondialisées, en matière de production extra-industrielle. Mais il faut, là aussi au minimum, un climat des affaires accueillant.
Dans cette nouvelle configuration de la division internationale du travail, si se focaliser sur "lindustrialisation" consiste en des stratégies des années 50 de planification centralisée qui plus est, alors cette stratégie est vouée à léchec. Elle a échoué en Algérie par exemple dans les années 60, et elle échouera dautant plus dans le monde du vingt-et-unième siècle.
Avant lindustrialisation en tant que telle, le développement en Afrique passe avant tout par sa libération : Etat de Droit et climat sain des affaires. Lindustrialisation suivra si elle doit suivre.
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