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L’Afrique avait encore les yeux rivés sur le Burkina Faso le 30 septembre, lorsque est parue l’édition 2015-2016 du Global Competitiveness Report (GCR) du World Economic Forum.
Ce rapport a une vocation économique : classer 140 pays suivant le critère de la compétitivité. Mais parce que politique et économie sont intimement liées, son principal intérêt, au moins pour les pays africains, réside dans les questions d’ordre politique qu’il soulève.
À l’heure où une série de dirigeants africains arrivés au terme de leurs mandats constitutionnels montrent des velléités de prolongation, la doxa fait de l’alternance au sommet le problème central des pays du continent, et donc le passage obligé vers le développement économique.
Or le GCR nuance cette idée. L’île Maurice, une nouvelle fois pays le plus compétitif d’Afrique (46e/140 au niveau mondial), est une démocratie « à l’occidentale ». En revanche, le Rwanda, injustement qualifié par certains commentateurs de « prison à ciel ouvert », est solidement installé à la trosième place des pays africains (58e/140 au niveau mondial) et confirme son ascension.
Maurice et le Rwanda ont des formes de gouvernement dissemblables, qui sont le reflet de trajectoires historiques différentes. Les deux pays ont cependant en partage la qualité de leur gouvernance. Le GCR salue la « solidité des institutions publiques et privées » du Rwanda (17e/140 !), mais Maurice n’est pas en reste (34e/140). Le niveau de corruption est bas dans les deux pays. Cette bonne gouvernance produit une forme de consensus social. Celui-ci génère de la stabilité. Ce cercle vertueux est manifestement à l’œuvre au Rwanda, où le projet de révision constitutionnelle porté par le régime rwandais est globalement accepté par la population et les institutions (la Cour suprême du Rwanda a rejeté le 8 octobre une requête visant à empêcher une réforme constitutionnelle récemment lancée pour permettre au président Paul Kagamé de briguer un troisième mandat en 2017).
L’opposition des peuples aux projets de modifications constitutionnelles traduit avant tout un rejet de la mauvaise gouvernance. Les peuples africains tournent le dos – à juste titre – à des leaders dont l’échec est évident. Dans son expression, cependant, sous l’influence d’une pensée unique portée par les nombreux « amis de l’Afrique », le rejet de la mal gouvernance prend subrepticement la forme de la revendication d’une alternance de principe au sommet des Etats africains. Or si, notamment dans le contexte politique actuel, l’exigence de respect des limites constitutionnelles est compréhensible, la confusion entre alternance (à l’occidentale) et bonne gouvernance serait malheureuse.
Que le modèle occidental d’alternance systématique ait des vertus est indiscutable. Qu’il soit une garantie de bonne gouvernance est contestable. Or le mal africain fondamental est la mauvaise gouvernance, dont l’entêtement des leaders africains à s’accrocher à leur pouvoir au mépris de la volonté de leurs peuples n’est jamais qu’une illustration.
Le drame des jeunes « nations » est qu’elles n’ont pas la mémoire de l’Histoire. Dans le cas de la majorité des pays africains, ce déficit s’ajoute à l’inexistence d’institutions de savoir performantes. La conséquence de cette combinaison de handicaps est que le discours dominant sur le continent se résume à la répétition mécanique de grands principes généraux.
Dans son dernier livre, le politologue américain Francis Fukuyama rappelle que l’évolution des systèmes politiques – et plus largement celle des société s humaines – a historiquement reposé sur trois piliers : l’émergence de l’Etat moderne, l’institution du droit (par opposition au règne de l’arbitraire), et la démocratie. L’enjeu a toujours été celui de la séquence : pour parvenir à l’objectif final, à savoir l’amélioration des conditions de vie des citoyens, faut-il d’abord consolider des Etats forts, établir la primauté du droit, ou emprunter la voie de la participation populaire ? Peut-être les trois dans le même mouvement ?
Certaines sociétés comme l’Allemagne ont d’abord bâti des Etats modernes avant de satisfaire la demande croissante de participation populaire qui résultait de l’amélioration des conditions économiques. D’autres, comme la Grèce ou l’Italie, ont adopté la démocratie avant d’avoir établi des Etats efficaces.
Il faut avoir le courage d’affirmer que la majorité des pays africains sont dotés d’Etats embryonnaires. Ceux-ci sont inefficaces, patrimoniaux, extraordinairement corrompus. Ces « Etats » doivent être profondément réformés, sans quoi l’alternance à leur sommet contentera les promoteurs de la démocratie libérale mais échouera à améliorer la vie des citoyens.
Ces pays ne sont pas davantage des nations, mais des collections de groupes ethniques ou religieux. Or sans communauté de destin, le cycle des alternances réjouira les « amis de l’Afrique » et les nombreux opposants dont le véritable dessein est de jouir du pouvoir dans des conditions identiques à celles de leurs rivaux, mais échouera à produire la stabilité nécessaire au développement des sociétés.
Oh, il ne s’agit pas, loin de là, d’un plaidoyer pour « les présidences à vie ». Il s’agit de l’expression d’une détresse. Raymond Aron avait raison : « L’Histoire est tragique ». Elle n’a que faire des tendances de l’époque. Elle ne s’occupe pas de justice. Elle n’est pas politiquement correcte. Elle suit son cours implacable. Et punit, avec la même constance, les naïfs et les dilettantes.
Ce rapport a une vocation économique : classer 140 pays suivant le critère de la compétitivité. Mais parce que politique et économie sont intimement liées, son principal intérêt, au moins pour les pays africains, réside dans les questions d’ordre politique qu’il soulève.
À l’heure où une série de dirigeants africains arrivés au terme de leurs mandats constitutionnels montrent des velléités de prolongation, la doxa fait de l’alternance au sommet le problème central des pays du continent, et donc le passage obligé vers le développement économique.
Or le GCR nuance cette idée. L’île Maurice, une nouvelle fois pays le plus compétitif d’Afrique (46e/140 au niveau mondial), est une démocratie « à l’occidentale ». En revanche, le Rwanda, injustement qualifié par certains commentateurs de « prison à ciel ouvert », est solidement installé à la trosième place des pays africains (58e/140 au niveau mondial) et confirme son ascension.
Maurice et le Rwanda ont des formes de gouvernement dissemblables, qui sont le reflet de trajectoires historiques différentes. Les deux pays ont cependant en partage la qualité de leur gouvernance. Le GCR salue la « solidité des institutions publiques et privées » du Rwanda (17e/140 !), mais Maurice n’est pas en reste (34e/140). Le niveau de corruption est bas dans les deux pays. Cette bonne gouvernance produit une forme de consensus social. Celui-ci génère de la stabilité. Ce cercle vertueux est manifestement à l’œuvre au Rwanda, où le projet de révision constitutionnelle porté par le régime rwandais est globalement accepté par la population et les institutions (la Cour suprême du Rwanda a rejeté le 8 octobre une requête visant à empêcher une réforme constitutionnelle récemment lancée pour permettre au président Paul Kagamé de briguer un troisième mandat en 2017).
L’opposition des peuples aux projets de modifications constitutionnelles traduit avant tout un rejet de la mauvaise gouvernance. Les peuples africains tournent le dos – à juste titre – à des leaders dont l’échec est évident. Dans son expression, cependant, sous l’influence d’une pensée unique portée par les nombreux « amis de l’Afrique », le rejet de la mal gouvernance prend subrepticement la forme de la revendication d’une alternance de principe au sommet des Etats africains. Or si, notamment dans le contexte politique actuel, l’exigence de respect des limites constitutionnelles est compréhensible, la confusion entre alternance (à l’occidentale) et bonne gouvernance serait malheureuse.
Que le modèle occidental d’alternance systématique ait des vertus est indiscutable. Qu’il soit une garantie de bonne gouvernance est contestable. Or le mal africain fondamental est la mauvaise gouvernance, dont l’entêtement des leaders africains à s’accrocher à leur pouvoir au mépris de la volonté de leurs peuples n’est jamais qu’une illustration.
Le drame des jeunes « nations » est qu’elles n’ont pas la mémoire de l’Histoire. Dans le cas de la majorité des pays africains, ce déficit s’ajoute à l’inexistence d’institutions de savoir performantes. La conséquence de cette combinaison de handicaps est que le discours dominant sur le continent se résume à la répétition mécanique de grands principes généraux.
Dans son dernier livre, le politologue américain Francis Fukuyama rappelle que l’évolution des systèmes politiques – et plus largement celle des société s humaines – a historiquement reposé sur trois piliers : l’émergence de l’Etat moderne, l’institution du droit (par opposition au règne de l’arbitraire), et la démocratie. L’enjeu a toujours été celui de la séquence : pour parvenir à l’objectif final, à savoir l’amélioration des conditions de vie des citoyens, faut-il d’abord consolider des Etats forts, établir la primauté du droit, ou emprunter la voie de la participation populaire ? Peut-être les trois dans le même mouvement ?
Certaines sociétés comme l’Allemagne ont d’abord bâti des Etats modernes avant de satisfaire la demande croissante de participation populaire qui résultait de l’amélioration des conditions économiques. D’autres, comme la Grèce ou l’Italie, ont adopté la démocratie avant d’avoir établi des Etats efficaces.
Il faut avoir le courage d’affirmer que la majorité des pays africains sont dotés d’Etats embryonnaires. Ceux-ci sont inefficaces, patrimoniaux, extraordinairement corrompus. Ces « Etats » doivent être profondément réformés, sans quoi l’alternance à leur sommet contentera les promoteurs de la démocratie libérale mais échouera à améliorer la vie des citoyens.
Ces pays ne sont pas davantage des nations, mais des collections de groupes ethniques ou religieux. Or sans communauté de destin, le cycle des alternances réjouira les « amis de l’Afrique » et les nombreux opposants dont le véritable dessein est de jouir du pouvoir dans des conditions identiques à celles de leurs rivaux, mais échouera à produire la stabilité nécessaire au développement des sociétés.
Oh, il ne s’agit pas, loin de là, d’un plaidoyer pour « les présidences à vie ». Il s’agit de l’expression d’une détresse. Raymond Aron avait raison : « L’Histoire est tragique ». Elle n’a que faire des tendances de l’époque. Elle ne s’occupe pas de justice. Elle n’est pas politiquement correcte. Elle suit son cours implacable. Et punit, avec la même constance, les naïfs et les dilettantes.