Jeunes Maliens agitant le drapeau français à Bamakosamedi 12 janvier. HABIBOU KOUYATE / AFP
Lorsque vous avez la chance, comme moi –car c’est une énorme chance- de recevoir des informations, souvent de première main, il y’a plusieurs précautions à observer : d’abord ne jamais oublier de remercier votre ou vos informateurs au risque de tarir vos sources, ensuite veiller à soumettre ces informations à votre propre sens critique, après les évaluer à l’aune du contexte national ou international, enfin et surtout les mettre en perspective.
Tout cela peut prendre 5 minutes ou plusieurs jours, voire des semaines selon les cas.
L’exercice auquel je me plis ci-dessous décoiffera sans doute beaucoup d’entre vous, tant il prend à contrepied mes précédentes thèses, notamment sur l’inertie de la France dans la crise qui finit d’achever notre pays. Comme d’habitude, vous aurez le droit de ne pas partager cette nouvelle thèse qui, je vous rassure, ne remet nullement en cause notre objectif commun : chasser Séléka par tous les moyens, traduire ses dirigeants en justice et reconstruire une République centrafricaine belle et prospère.
Je n’ai donc pas changé, j’applique simplement l’un des préceptes de Lao-Tseu : «Connais le pourquoi avant d’envisager le comment». Dès lors, il serait stupide de recevoir de nouvelles informations et de ne pas les exploiter dans l’intérêt bien compris de mon pauvre pays, quitte à se faire une entorse au cerveau.
LA MANNE DE BRUXELLES
Contrairement à une acception générale, si les crises au Mali et en République centrafricaine présentent quelques similitudes, l’approche globale de leur résolution, à la fois par les deux pays même mais aussi et surtout par les organisations régionales (CEDEAO d’un côté et CEMAC-CEEAC de l’autre) sont radicalement différentes et expliquent en très grande partie leur perception par l’opinion internationale et partant leurs issues probables.
A Bruxelles, le jeudi 16 mai 2013, la conférence des donateurs pour la reconstruction du Mali, à l’initiative du Mali lui-même, de la France et de l’Union européenne, a réussi à mobiliser 3,250 milliards d’euros. Les organisateurs n’en espéraient pas tant mais les modalités d’utilisation de cette manne sont connues.
En effet, il importe de préciser que c’est sur la base d’un programme bien structuré, cohérent et sérieux que les différents bailleurs se sont laissé convaincre. En réalité, le Mali et la CEDEAO ont su, après bien des péripéties, donner un gage de crédibilité au processus de transition qui a suivi le coup d’état du capitaine Mamadou Sanogo.
L’APPORT DECISIF DE LA CEDEAO
Après moins de trois mois de flottement, soumise à une forte pression politique ainsi que la menace d’une intervention militaire de la CEDEAO, la junte qui a renversé le président Amadou Toumani Touré a été contrainte de rendre le pouvoir.
Mais l’organisation sous-régionale ouest africaine ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Si en guise de retour à l’ordre constitutionnel, elle n’a pas fait de la réinstallation du président déchu un préalable, la CEDEAO s’est néanmoins appliquée à imposer à la future transition un processus constitutionnel rigoureux. C’est ainsi que, comme le prévoit la constitution du Mali, le président de l’assemblée nationale, Dioncounda Traoré, a été nommé président par intérim.
Mais avant cette formalité constitutionnelle, qui n’allait pas de soi, la CEDEAO avait surtout pris le soin d’obtenir la démission formelle de l’ancien président Toumani Touré, conférant ainsi toute légalité à la transition toujours en cours.
Même l’épisode controversé de la primature assuré par Cheikh Modibo Diarra n’y a rien changé. D’autant que la crédibilité de Dioncounda Traoré n’a jamais été prise une seule fois en défaut, dans sa détermination à ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle.
Même également l’intervention militaire française au Mali n’a pas changé l’ordre des choses. Au demeurant, il peut être fait crédit à la France d’avoir, toute seule et avec une détermination qui a surpris, engagé cette intervention au seul motif officiel de la préservation de l’intégrité territoriale du Mali, devant le risque avéré de mainmise totale des islamistes sur ce grand pays sahélien.
De sorte qu’aujourd’hui, même si elle peut apparaître quelque peu illusoire au regard de l’état post-conflit du Mali, la volonté des autorités françaises de voir tenir l’élection présidentielle à la fin du mois de juillet participe de cette analyse de boucler au plus vite la parenthèse islamiste et permettre à ce pays charnière de retrouver la stabilité et de renouer avec le développement.
LE JEU TROUBLE DE LA CEMAC-CEEAC
Contrairement à la CEDEAO, organisation assez bien structurée regroupant quinze (15) pays de l’Afrique de l’Ouest et qui, peu ou prou, s’est exprimée d’une seule voix tout au long de ces moments douloureux, il importe de lever d’emblée l’équivoque sur l’implication de la CEMAC et de la CEEAC dans la crise centrafricaine.
En effet, il est excessif, voire abusif, de mentionner un quelconque rôle de la CEEAC, excroissance sans grand moyen et sans ambition de la CEMAC, tant le rôle archi-dominant de deux Etats de la seule CEMAC donne à penser qu’il n’y a eu rien de communautaire dans la volonté de cette institution de régler la crise centrafricaine.
Si on peut pointer les actions en pointillé de la République du Congo, dont le chef de l’Etat est pourtant le médiateur désigné, c’est essentiellement le seul Tchad qui a joué de bout en bout un rôle prépondérant tout au long de ce qui apparaît aujourd’hui comme une catastrophe majeure, lorsqu’on prend en compte la destruction totale de toute infrastructure, y compris de l’appareil d’état et des archives d’état-civil, sans compter les massacres, les viols, les vols, les pillages, les saccages des églises et monuments chrétiens avec les archives paroissiales sur l’ensemble du territoire centrafricain.
A titre de comparaison, seule la moitié nord du Mali avait été occupée par les islamistes et autres djihadjistes d’Ansar Dine et du Mujao. Et, toutes choses étant égales par ailleurs, les destructions et atrocités perpétrées par Séléka sont sans commune mesure avec ce qui s’est passé au Mali.
Le rôle du seul Tchad, esseulé au sein même de la CEMAC, est si singulier dans cette affaire qu’il n’est guère étonnant de voir certains autres pays exprimer une relative irritation. C’est le cas du Cameroun qui a accueilli l’ancien président Bozizé et se fait tirer l’oreille pour le renvoyer vers une autre destination. Mais le plus grave est ailleurs.
Non seulement, la CEMAC, contrairement à la CEDEAO avec Amadou Sanogo, n’a pas formellement ostracisé les rebelles de Séléka et leur chef Michel Djotodia, comme le réclame pourtant l’Union africaine (UA), mais les chefs d’Etat d’Afrique centrale, après quelques tergiversations de bon aloi, ont aujourd’hui légalisé ce coup d’état et déroulent ostensiblement le tapis rouge sous les pieds de celui que le Tchad a décidé de désigner sans rire comme ‘’le chef de l’Etat de Transition de la République centrafricaine’’. Cherchez l’erreur…
Seulement voilà ! Dans le même temps, personne n’a pris le soin d’obtenir la démission formelle de François Bozizé, de sorte que celui-ci se considère toujours comme le Président élu de la République centrafricaine. Cela est d’autant plus évident que les fameux ‘’Accords de Libreville’’ s’articulaient justement autour de la constitution du 27 décembre 2004 (que Michel Djotodia s’est empressé d’abroger) et subséquemment de la personne de l’ex Président, censé terminer son mandat en 2016.
TRANSITION ILLEGALE
Dès lors, la transition en République centrafricaine ne saurait jouir d’aucune sorte de légalité, encore moins de légitimité, en dépit des contorsions d’Idriss Déby, suivi par Sassou Nguesso, qui avance presque en reculant. C’est ni plus ni moins la lecture faite par la France, notamment le ministre des Affaires étrangères dans sa déclaration devant l’assemblée nationale le 17 avril 2013. Et, elle tient désormais à le faire savoir.
Ainsi, Laurent Fabius a t-il expressément demandé aux chefs d’Etat de la CEMAC-CEEAC, la veille du sommet de Ndjamena du 18 avril dernier, de n’accorder aucune reconnaissance aux putschistes de Bangui. Cette séquence n’avait pas été appréciée à sa juste valeur. Et nous avons tous eu tort.
Aujourd’hui, sur la base d’un pré-rapport au vitriol de Mme Margareth Vogt, sa représentante à Bangui, le secrétaire général des Nations-Unies lui-même ne dit pas autre chose dans son dernier rapport réquisitoire, Ban-Ki-Moon s’alignant sur la position de l’Union africaine (ne pas reconnaître le coup d’état). Ce qui fait dire à un grand connaisseur de ces dossiers que «si le capitaine Sanogo avait été en Afrique centrale, il serait toujours président de la transition». CQFD !
Aux toute dernières nouvelles, le torchon brûle sévèrement entre Déby et Sassou sur le dossier centrafricain, le second trouvant que le nouvel imperator d’Afrique centrale en fait trop. Il en aura mis du temps pour s’en apercevoir ! Du coup, le congolais a refusé, pour le moment de recevoir Djotodia, comme ‘’l’exigeait’’ Déby. Les services spéciaux congolais dirigés par Jean Dominique Okemba sont sur les dents. (LC n°659 du 22 mai 2013)
La responsabilité pleine et entière de la CEMAC-CEEAC, et en particulier celle du Tchad dans la tragédie centrafricaine, doit donc être pleinement déterminée et assumée. Du coup, il apparaît excessif, encore moins rationnel, de pointer ‘’une politique de deux poids deux mesures’’ de la France en comparant ce qui se passe en RCA avec le Mali, comme le font beaucoup de commentaires, tous de bonne foi je présume.
D’ailleurs, au sein même de la CEMAC-CEEAC, il n’y a pas que le Cameroun à émettre de sérieuses réserves sur la légalisation de ce coup d’état, lequel viole gravement les principes de l’Union africaine.
On ne l’a pas suffisamment souligné, les réunions successives de Ndjamena et de Brazzaville, ostensiblement boudées par plusieurs pays de la CEEAC comme l’Angola, la RDC, le Burundi, Sao-Tomé etc, n’ont guère fait recette et démontrent par l’absurde l’isolement du Tchad dans ce processus.
LA PAILLE ET LA POUTRE
Vive à pointer un doigt accusateur sur la responsabilité des autres, l’élite centrafricaine –ou ce qui en tient lieu-, a -t- elle suffisamment évalué ses propres responsabilités dans la tragédie actuelle ? Tel n’est pas l’objet premier de cette chronique. Mais j’y reviendrai très bientôt.
Je note simplement qu’entre l’autisme et la médiocrité d’un Bozizé et l’incroyable frénésie qui s’est emparé des centrafricains ‘’pouvant tuer père et mère’’ pour faire partie du gouvernement de Séléka ou du conseil national de transition, nous avons prouvé, à tout le moins, notre degré d’infantilisme. Et, c’est le cas de le dire, «nous avons nous-mêmes fait le lit de cette chienlit».
Dernier avatar ! Devant boire le calice jusqu’à la lie, le fait d’hériter de Nicolas Tiangaye comme premier ministre a été (je l’ai dit à plusieurs reprises) la première fausse bonne idée. Peut-être bon avocat, Tiangaye est l’illustration caricaturale de l’irrésolution, de la velléité et de la pusillanimité. Cela peut paraître outrancier mais c’est comme ça. Toutefois, afin de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, j’avoue avoir été surpris par le ton extraordinairement critique de son discours contre Séléka aux Nations-Unies.
A tout prendre, la seule similitude absolue avec la situation au Mali a été, là-bas, la nomination de Cheikh Mobibo Diarra, authentique ‘’savant’’ astrophysicien mais qui s’est très vite révélé comme un pitoyable politique, jouissant des mêmes ‘’qualités’’ que son alter ego Tiangaye. Les maliens ont fini par l’éjecter. Gageons que Djotodia - je l’ai également écrit à plusieurs reprises-, se chargera, le moment venu, de renvoyer notre cher maître à sa chère étude. Du coup, au lieu de chercher la paille dans l’oeil de nos partenaires, cherchons d’abord à enlever l’énorme poutre coincée derrière notre propre rétine.
MARGINALISATION
La République centrafricaine demeure donc en marge de la communauté internationale, en dépit des efforts désespérés de son ‘’parrain’’.
Dans ce contexte et dans ce contexte seulement, selon des sources sûres, notre pays ne pourra guère compter que sur une aide humanitaire et éventuellement sur une enveloppe de la France, devant servir à la préparation, à l’organisation et à la tenue des élections démocratiques espérées pour décembre 2014, élections auxquelles le chef de la Junte au pouvoir à Bangui n’a encore formellement renoncé.
Par ailleurs, il est aisé de comprendre que la situation particulièrement volatile de la sécurité tant à Bangui que dans l’arrière pays ne plaide nullement en faveur du décaissement immédiat d’une quelconque subvention consacrée au programme DDR.
Dès lors et indépendamment de toute considération d’ordre éthique et humanitaire, il importe de savoir raison garder et d’examiner froidement les raisons de la non-intervention, du moins pour le moment, de la France dans la résolution active de la crise qui meurtrit la République centrafricaine.
De fait, elle est déjà présente sur le terrain à travers le détachement Boali mais également comme soutien logistique aux forces de la MICOPAX.
POURQUOI LA FRANCE DOIT INTERVENIR MAINTENANT EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
Le seul problème, c’est que toutes les considérations ci-dessus développées ne prennent pas en compte l’effroyable désastre engendré par la marche, puis l’installation ( ?) de Séléka au pouvoir à Bangui, au point que la non-intervention de la France constituerait assurément aujourd’hui une non-assistance à peuple en danger.
Conséquemment, on ne peut que constater l’échec patent de la mission de la MICOPAX, inscrite dans les gènes même de cette force constituée en grande partie par des détachements tchadiens lorsque l’on prend en compte ‘’le rôle clé’’ joué par ce pays dans la chute de François Bozizé. Séléka est en majorité constitué d’éléments tchadiens. Du coup, demander au Tchad de ‘’redresser’’ Séléka serait pour lui se tirer une balle dans le pied.
Aussi, serait-il souhaitable, cette fois exactement comme au Mali, que le processus de la refondation de l’armée nationale centrafricaine soit placé sous la conduite de l’Union Européenne (qui finance déjà la MICOPAX), voire des Nations-Unies, avec des spécialistes de divers pays et sous la direction d’un officier général doté d’un mandat bien défini. Et la France, encore exactement comme au Mali, doit inspirer le vote d’une résolution au Conseil de sécurité.
A travers le programme de Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS), la Loi de Programmation Militaire et les recommandations souvent pertinentes des états généraux de la défense nationale tenus en 1998, cette mission veillera sur toutes les étapes de la réforme.
De grandes craintes voient déjà le jour avec les recrutements anarchiques, les validations de grades fantaisistes, la réintégration désordonnée des anciens militaires et gendarmes dont certains n’ont plus les compétences nécessaires. Dans cette optique, il est à appréhender la mise en place d’une ‘’armée des vainqueurs’’ saupoudrée par quelques rares vrais militaires qui ne feront de la figuration.
MESURES
Toute affaire cessante, la France doit donc considérablement renforcer le dispositif Boali avec le millier de ses hommes retirés du Mali et entamer une opération de police et d’interposition. J’enfonce une porte ouverte car je sais que timidement, elle commence déjà à le faire. Les éléments Boali sont de plus en plus visibles à Bangui.
Pour les grincheux, ce proverbe malinké : «Quand tu es au fond du trou, qu’importe la couleur de la main qui te porte secours».
Mieux, la réussite de tout le processus de sécurisation passe obligatoirement par la mise en place d’une force multinationale de 5.000 à 7.000 hommes.
Cette force (certes coûteuse mais nécessaire) permettra de garantir la sécurité à Bangui et dans les grandes villes de province. Elle permettra aussi de sécuriser les institutions afin d’éviter la mise en place d’une garde présidentielle préjudiciable à la création d’une véritable armée nationale.
Elle permettra enfin de conduire, si nécessaire par la contrainte, le processus de désarmement, cantonnement, démobilisation et réinsertion des forces négatives. En cela, il est urgent de réhabiliter le Camp Kassai à Bangui et le Centre de formation de Bouar, dans l’ouest du pays, qui devront être les véritables bases de la refondation et de casernement des Forces de Défense et de Sécurité.
Quant au retour des FACAS et des éléments de l’ancienne garde présidentielle, cela passera par des signaux politiques forts, mais surtout par un désarmement de la ville de Bangui, dangereuse poudrière.
Enfin et cela tombe sous le sens, comme cela avait été imposé à François Bozizé lors des Accords de Libreville, si la transition doit être reconfigurée, Séléka doit céder le ministère de la Défense à une personnalité neutre et compétente. Place forte que Djotodia squatte, secondée par son propre oncle, Bertrand Mamour. Une affaire de famille …
Le retour définitif de la paix en Centrafrique passe par la mise en place d’une armée républicaine, pluriethnique, couvrant l’ensemble du territoire.
Parallèlement et dans l’immédiat, il n’est pas inutile de rechercher une solution politique, en se fondant sur l’exemple malien, pour reconfigurer l’actuelle transition :
obtenir la démission ou du moins la renonciation de l’ancien président Bozizé ;
désigner l’ancien président de l’assemblée nationale ou l’un de ses vice-présidents pour conduire la transition ;
Procéder à la désignation d’un autre premier ministre. Ces quelques mesures ne sont absolument pas exhaustives.
Voilà, chers amis, ‘’l’objet de mon crime’’. Je comprendrai que beaucoup d’entre vous ne me reconnaissent pas dans cette chronique. Cependant, j’ai estimé de mon devoir, sentant tourner un vent bienfaiteur pour notre pays, de m’inscrire dans un processus qui n’exclut évidemment pas les autres formes de lutte pour notre libération.
Michel SOUPOU