Editorial du Président | 28 mai 2013 |
Les projets de loi en cours manifestent à l’égard de notre profession une défiance et une absence d’estime que nous ne tolérerons pas plus longtemps. Parce qu’un ministre de la République, médecin de son état, aurait été fraudeur et parjure, il fut récemment question de rendre incompatible l’exercice de la profession d’avocat avec un mandat parlementaire, alors que les conflits d’intérêts sont déjà réglés par les articles L.O. 149, L.O. 145 et L.O. 146-1 du code électoral. Après que le Conseil d’État a renvoyé sa copie au gouvernement, un nouveau projet de loi organique prétend rendre incompatible la fonction de « conseil » et le mandat de député. L’imprécision de la formule ne pourra qu’être sanctionnée par le Conseil constitutionnel. Mais ce projet révèle la persistance du gouvernement à montrer les avocats du doigt. S’y ajoute l’idée d’une limitation des revenus tirés de la profession d’avocat par un parlementaire qui continuerait d’exercer notre métier, ce qui est à la fois injurieux et absurde : l’avocat devenu parlementaire n’a plus le temps de s’y consacrer comme auparavant. Pour autant, il est illégitime de le stigmatiser. Une fois achevée sa mission au service de la République, il devra reconstruire son cabinet, tandis que le fonctionnaire revenu à son corps d’origine ne subira aucun préjudice. S’agit-il d’empêcher les avocats de remplir un mandat électif ? Pourquoi ? Qu’avons-nous fait à nos gouvernants ? Déjà la loi de sécurisation de l’emploi a écarté les avocats du processus de négociation en le réservant aux seuls experts-comptables. Les contacts pris avec tels ou tels élus ou ministres n’ont servi à rien. La loi a été votée et est soumise actuellement au Conseil constitutionnel. Le projet de création des actions de groupe marque la même volonté de brider les avocats : les actions ne pourraient être intentées que par le biais d’associations agréées. Cette barrière à l’entrée des juridictions, préférée à l’intervention d’un juge de la recevabilité, constitue une humiliation sans fondement. Enfin, au lieu d’adopter les propositions du Conseil national des barreaux pour abonder l’aide juridictionnelle par une contribution qui lui serait affectée, perçue à l’occasion des transmissions de patrimoine ou de toutes les conventions soumises à enregistrement ou publicité légale, la chancellerie réfléchit à une taxe de 0,2 % sur le chiffre d’affaires des professionnels du droit. Alors que l’assistance est assurée avec désintéressement par les avocats au profit de leurs contemporains les plus démunis moyennant une indemnisation qui ne couvre pas toujours leurs frais, le gouvernement prétend leur faire supporter le poids de cette indemnisation. Ce n’est pas seulement injuste, c’est injurieux. Tout cela se fait dans le plus grand désordre puisque le ministre du budget n’était pas encore informé, voilà trois semaines, de cette idée saugrenue née dans les services de la Chancellerie. Sur tous ces sujets, des résolutions ont été votées par le Conseil national des barreaux et transmises aux autorités compétentes qui n’en ont cure. Cet affrontement entre la technocratie gouvernementale et la profession d’avocat doit prendre fin. Aucun de nos voisins et partenaires européens n’a institué d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et notre métier. Aucun n’envisage de faire payer par l’avocat lui-même le coût de l’assistance aux plus pauvres. L’action de groupe, née en Amérique, y est exercée par les avocats et n’est pas limitée aux litiges de consommation. Il n’y a pas d’exemple de pays où les avocats soient écartés d’une négociation collective. Nous avons déjà dû lutter d’arrache-pied pour que notre système de garde à vue s’aligne enfin sur les principes européens que depuis bien longtemps déjà l’Espagne, l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, et plus récemment la Turquie, avaient choisi de respecter. La décadence économique française et le recul de notre pays sur l’échiquier mondial devraient conduire ceux à qui nous avons confié notre sort à redonner confiance dans l’avenir par l’exaltation des énergies de tous. Au lieu de cela, l’État semble avoir décidé d’instituer les avocats en boucs-émissaires en oubliant totalement que notre profession, dont l’effectif reste le plus faible d’Europe quoiqu’elle soit quatre fois plus nombreuse qu’en 1974, est pourvoyeuse d’emplois et abonde le budget de l’État grâce aux prélèvements qu’elle supporte sans broncher. À défaut d’être habités par le respect des tribuns de la plèbe que nous sommes et de notre fonction essentielle au service des libertés dans une démocratie, ayez au moins, Mesdames et Messieurs nos gouvernants, un minimum de bon sens pratique : le barreau contribue, par la diversité de ses membres, leur jeunesse et leur vitalité, à la prospérité générale, que les avocats soient au service des personnes ou des entreprises. La croissance n’est possible que dans un climat de confiance. Et la confiance se nourrit du sentiment de la sécurité, celle du droit opposée à la tyrannie des forces aveugles. C’est notre service et notre honneur que d’y contribuer. Loin de justifier votre méfiance ou votre mépris, nous méritons hautement votre considération.
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