Par Sébastian SEIBT
C’est à un immense schéma de fraude, touchant au moins une vingtaine de pays africains et impliquant la BNP Paribas, auquel la justice monégasque a décidé de s’attaquer. Le procureur du Rocher a annoncé, mercredi 19 février, avoir ouvert une information judiciaire contre X pour blanchiment, recel de blanchiment et fraude au taux de change dans l’affaire dite de la “lessiveuse africaine”. Dans cette histoire s’accumulent depuis des années plusieurs milliers de chèques douteux déposés sur des comptes bancaires à Monaco appartenant à des ressortissants de divers pays africains.
“C’est une heureuse surprise car nous avions envoyé plusieurs courriers au procureur de Monaco depuis avril 2013 et nous commencions à penser qu’il renâclait à agir”, s’est réjouit Sophia Lakhdar,présidente de l’ONG anti-corruption Sherpa, interrogée par FRANCE 24. Elle affirme l’intention de Sherpa de se porter partie civile dans une affaire qui n’a cessé de prendre de l’ampleur.
L’instruction monégasque va devoir déterminer la chaîne de responsabilité dans un série de transactions financières douteuses qui ont fait perdre plusieurs centaines de millions d’euros à une vingtaine de pays africains. “On doit même pas être loin du milliard d’euros”, estime Jean Merckaert, administrateur de l’ONG Sherpa qui a suivi l’histoire depuis ses prémices.
Tout commence par un lanceur d’alerte, ancien salarié de la BNP Paribas Wealth Management de Monaco, quidivulgue en 2013 un audit interne de la banque que FRANCE 24 a pu consulter. Il révèle un drôle de manège, entre 2008 et 2011, sur certains comptes de ressortissants de plusieurs pays africains. Un nombre anormalement élevé de chèques, libellés en euro et sans rapport avec l’activité déclarée des clients concernés, sont déposés sur les comptes. L’enquête interne se concentre sur l’activité des clients malgaches tout en soulignant que des faits similaires concernent des chèques en provenance du Gabon, du Burkina Faso et du Sénégal*. "Dans le cas des comptes de clients malgaches étudiés, il apparaît que la banque ne maîtrise pas totalement l'arrière-plan économique d'opérations susceptibles d'être en infraction avec la réglementation du pays de domicile des clients", conclut le document.
Des chèques sans d’ordre qui font désordre
En clair, la filiale monégasque de la banque française n’a pas fait suffisamment attention aux fonds qui arrivaient sur ces comptes. Il s’agissait pourtant de capitaux rapatriés à Monaco sans passer par la case taux de change, ce qui prive le trésor des pays africains d’importantes rentrées fiscales. Dans le cas malgache et pour un seul compte, les dépôts de chèques douteux s’élèvent à 10 millions d’euros. “Madagascar est en outre le plus petit des joueurs dans cette affaire”, souligne Jean Merckaert.
Comment fonctionne cette “lessiveuse africaine” ? Des touristes ou travailleurs expatriés sont incités par des commerçants et hôteliers locaux à payer en chèques libellés en euros plutôt qu’en monnaie de ces pays. Subtilité de l'affaire : on leur demande de ne pas indiquer d’ordre. Ces chèques sont ensuite revendus à des intermédiaires qui y inscrivent le nom des titulaires des comptes et les font parvenir à Monaco.
Pour l’heure, l’identité des bénéficiaires finaux de ce trafic de chèques est inconnue. “Nous espérons que la justice permettra de l’établir mais on peut supposer qu’il s’agit soit de riches particuliers qui cherchent à sortir de l’argent à l’insu des autorités de leur pays, soit des entrepreneurs locaux ou français qui veulent faire sortir leur bénéfice discrètement ou des organisations criminelles qui s’en servent pour blanchir leur argent”, estime Jean Merckaert.
L’instruction devra aussi établir l’ampleur de cette affaire sur le sol monégasque. Rien ne dit que la BNP Paribas est la seule banque à avoir accueilli les comptes douteux. Les sommes qui sont, ainsi, perdus pour les finances des pays africains pourraient alors être encore plus conséquentes.
*Une enquête préliminaire du parquet de Monaco, en 2013, a pu déterminer qu’au moins 21 pays, essentiellement d’Afrique francophone, sont concernés.