Les interférences entre la loi sénégalaise avec la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples dans le procès de HABRE Hissen, ancien Président tchadien.
La prééminence du droit ne se conçoit pas sans la possibilité d’accéder à une justice indépendante et impartiale. Cela suppose que soit garanti, selon la terminologie de la Cour européenne, « le droit à un procès équitable » (Golder, 21 février 1975).
Ce droit reconnu aux personnes privées de liberté est énoncé à titre principal par l’article 6 de la Convention européenne et par les dispositions de l’article 7 de la Charte africaine.
Par le biais des notions autonomes, cette Cour a largement étendu le champ d’application du droit à un procès équitable, repoussant une interprétation étroite des notions de « contestations sur des droits et obligations à caractère civil », et d’ « accusation en matière pénale ». La Cour européenne a également précisé le contenu de ce droit.
I – LES RÈGLES DU PROCÈS EQUITABLE ET L’AFFAIRE HABRE
Le droit a un procès équitable recouvre d’abord le droit d’avoir accès à un Tribunal ; ce « droit à un Tribunal » peut être violé par la présence d’un obstacle juridique mais aussi par un obstacle de fait, tel que le coût élevé de la procédure ou l’impossibilité d’obtenir l’assistance judiciaire gratuite (Avrey, 9 oct. 1979). En second lieu, la Cour Européenne a précisé dans une jurisprudence très fournie, les exigences du procès équitable.
Elles tiennent d’abord à l’organisation et à la composition du Tribunal : un Tribunal se caractérise par son indépendance, qui suppose des garanties constitutionnelles et légales protégeant les juges contre les pressions extérieures, et son impartialité (l’appréciation de l’impartialité est objective et est fondée sur l’apparence). De telle sorte que la juridiction (qu’elle soit d’instruction ou de jugement) ne doit pas être soumise à des pressions comme le craignent les avocats de HABRE Hissène (« la prégnance de la tutelle politique »).
Au sens de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde, un Tribunal n’est donc pas nécessairement une juridiction de type classique, mais peut être un organe spécialisé doté de l’indépendance et des garanties procédurales fondamentales (Sramek, 22 oct. 1984).
Elles tiennent ensuite au déroulement de l’instance. La publicité de la procédure garantit les justiciables contre une justice secrète ; la « durée raisonnable » de la procédure les protègent contre les lenteurs excessives de la justice, « spécialement en matière répressive ». Sur cette dernière question, la Cour relève que le « délai raisonnable » s’apprécie au regard de trois critères : la complexité de l’affaire, l’attitude du requérant et le comportement des autorités apprécié au regard du contexte politique et social ; en règle générale, seules des lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Baraona, 8 juillet 1987 ; H. c/ France, 24 oct. 1989).
Dans le même sens, il conviendrait de rapprocher décision de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 11 juin 1985 : Société Armoricaine de Distribution (SODARMOR) c/ Société PROMODES, concluant à la méconnaissance de l’article 6 de la C.E.S.D.H. (Gaz. Pal. 1986 – II – p.21 et Ch. Crim., 19 juin 1989 ; Bull. Crim. 1989, N° 267, p. 648)
II – LES GARANTIES ACCORDEES A L’ACCUSE
L’accusé a d’abord droit à la présomption d’innocence (l’article 6, paragraphe2 de la CESDH et l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples), qui constitue l’un des principes de base du droit pénal moderne.
Dans sa décision MINELLI du 25 mars 1983, la Cour européenne affirme que la présomption d’innocence est méconnue lorsque, sans établissement légal préalable de la culpabilité du prévenu, une décision judiciaire ou, en l’absence de constat formel, une simple motivation laisse à penser que l’intéressé est considéré comme coupable.
L’accusé doit disposer également des droits de la défense, qui sont des applications particulières du principe général du droit à un procès équitable (l’article 6, paragraphe 3).
Le principe de l’ « égalité des armes » entre les parties, spécialement en matière pénale (Delcourt, 17 janvier 1970) et le principe du contradictoire (l’intéressé doit pouvoir se faire entendre à tous les stades du débat judiciaire) doivent être respectés (Koskovski, 20 nov. 1989) : plus précisément, l’accusé doit pouvoir se défendre lui-même ou être assisté d’un défenseur de son choix, ou, sous certaines conditions, commis d’office gratuitement, faire entendre des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge (Windisch, 27 septembre 1990) (Cour européenne, D.H., arrêt Delta du 19 décembre 1990 c/ France) ou encore, s’il ne comprend pas la langue nationale, bénéficier de l’assistance gratuite d’un interprète durant la procédure engagée contre lui (Oztürk, 21 fév. 1984) . Il s’agit là d’autant de prestations positives, d’ordre économique ou social pour certaines, qui donnent une réalité concrète au droit à un procès équitable (Cour européenne, D.H. arrêt Woukam Moudefo du 11 oct. 1988 C/ France. Série A. N° 141 – B. Cour européenne, D.H., arrêt Salabiaku du 7 oct. 1988, C/France. Série A. N° 141 – A.)
III - Le droit à la santé du Président HABRE
L’article16 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) prévoit que :
1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre.
2. Les Etats parties à la présente Charte s'engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l'assistance médicale en cas de maladie ».
L’ancien Président Tchadien est signalé gravement malade de cœur et son état est jugé très sérieux. Mais le Parquet des Chambres africaines extraordinaires exige sa « comparution forcée » et le Chef de l’institution pénitentiaire refuse que l’intéressé bénéficie d’une assistance médicale.
Bien évidemment, le refus de l’hospitalisation du Président Hissène HABRE par la juridiction des Chambres africaines extraordinaires constitue une atteinte aux dispositions prévues à l’article 16 paragraphes 1 et 2 de la Charte africaine. Si l’attitude des autorités pénitentiaires semble à première vue prudente, le refus d’assistance sanitaire à un malade est juridiquement contestable devant la Cour africaine de Banjul(Gambie).
En définitive, l’analyse qui précède montre que les décisions de la Cour européenne de Strasbourg influence directement les juridictions européenne et la Chambre criminelle de la Cour de cassation française.
De son côté, la Cour africaine de Banjul devrait opter pour une approche large du concept du « procès équitable » et d’affirmer sa jurisprudence dans le cas d’espèce.
Maître Abdou DANGABO MOUSSA
Avocat à la Cour d’appel de Paris
La prééminence du droit ne se conçoit pas sans la possibilité d’accéder à une justice indépendante et impartiale. Cela suppose que soit garanti, selon la terminologie de la Cour européenne, « le droit à un procès équitable » (Golder, 21 février 1975).
Ce droit reconnu aux personnes privées de liberté est énoncé à titre principal par l’article 6 de la Convention européenne et par les dispositions de l’article 7 de la Charte africaine.
Par le biais des notions autonomes, cette Cour a largement étendu le champ d’application du droit à un procès équitable, repoussant une interprétation étroite des notions de « contestations sur des droits et obligations à caractère civil », et d’ « accusation en matière pénale ». La Cour européenne a également précisé le contenu de ce droit.
I – LES RÈGLES DU PROCÈS EQUITABLE ET L’AFFAIRE HABRE
Le droit a un procès équitable recouvre d’abord le droit d’avoir accès à un Tribunal ; ce « droit à un Tribunal » peut être violé par la présence d’un obstacle juridique mais aussi par un obstacle de fait, tel que le coût élevé de la procédure ou l’impossibilité d’obtenir l’assistance judiciaire gratuite (Avrey, 9 oct. 1979). En second lieu, la Cour Européenne a précisé dans une jurisprudence très fournie, les exigences du procès équitable.
Elles tiennent d’abord à l’organisation et à la composition du Tribunal : un Tribunal se caractérise par son indépendance, qui suppose des garanties constitutionnelles et légales protégeant les juges contre les pressions extérieures, et son impartialité (l’appréciation de l’impartialité est objective et est fondée sur l’apparence). De telle sorte que la juridiction (qu’elle soit d’instruction ou de jugement) ne doit pas être soumise à des pressions comme le craignent les avocats de HABRE Hissène (« la prégnance de la tutelle politique »).
Au sens de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde, un Tribunal n’est donc pas nécessairement une juridiction de type classique, mais peut être un organe spécialisé doté de l’indépendance et des garanties procédurales fondamentales (Sramek, 22 oct. 1984).
Elles tiennent ensuite au déroulement de l’instance. La publicité de la procédure garantit les justiciables contre une justice secrète ; la « durée raisonnable » de la procédure les protègent contre les lenteurs excessives de la justice, « spécialement en matière répressive ». Sur cette dernière question, la Cour relève que le « délai raisonnable » s’apprécie au regard de trois critères : la complexité de l’affaire, l’attitude du requérant et le comportement des autorités apprécié au regard du contexte politique et social ; en règle générale, seules des lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Baraona, 8 juillet 1987 ; H. c/ France, 24 oct. 1989).
Dans le même sens, il conviendrait de rapprocher décision de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 11 juin 1985 : Société Armoricaine de Distribution (SODARMOR) c/ Société PROMODES, concluant à la méconnaissance de l’article 6 de la C.E.S.D.H. (Gaz. Pal. 1986 – II – p.21 et Ch. Crim., 19 juin 1989 ; Bull. Crim. 1989, N° 267, p. 648)
II – LES GARANTIES ACCORDEES A L’ACCUSE
L’accusé a d’abord droit à la présomption d’innocence (l’article 6, paragraphe2 de la CESDH et l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples), qui constitue l’un des principes de base du droit pénal moderne.
Dans sa décision MINELLI du 25 mars 1983, la Cour européenne affirme que la présomption d’innocence est méconnue lorsque, sans établissement légal préalable de la culpabilité du prévenu, une décision judiciaire ou, en l’absence de constat formel, une simple motivation laisse à penser que l’intéressé est considéré comme coupable.
L’accusé doit disposer également des droits de la défense, qui sont des applications particulières du principe général du droit à un procès équitable (l’article 6, paragraphe 3).
Le principe de l’ « égalité des armes » entre les parties, spécialement en matière pénale (Delcourt, 17 janvier 1970) et le principe du contradictoire (l’intéressé doit pouvoir se faire entendre à tous les stades du débat judiciaire) doivent être respectés (Koskovski, 20 nov. 1989) : plus précisément, l’accusé doit pouvoir se défendre lui-même ou être assisté d’un défenseur de son choix, ou, sous certaines conditions, commis d’office gratuitement, faire entendre des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge (Windisch, 27 septembre 1990) (Cour européenne, D.H., arrêt Delta du 19 décembre 1990 c/ France) ou encore, s’il ne comprend pas la langue nationale, bénéficier de l’assistance gratuite d’un interprète durant la procédure engagée contre lui (Oztürk, 21 fév. 1984) . Il s’agit là d’autant de prestations positives, d’ordre économique ou social pour certaines, qui donnent une réalité concrète au droit à un procès équitable (Cour européenne, D.H. arrêt Woukam Moudefo du 11 oct. 1988 C/ France. Série A. N° 141 – B. Cour européenne, D.H., arrêt Salabiaku du 7 oct. 1988, C/France. Série A. N° 141 – A.)
III - Le droit à la santé du Président HABRE
L’article16 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) prévoit que :
1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre.
2. Les Etats parties à la présente Charte s'engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l'assistance médicale en cas de maladie ».
L’ancien Président Tchadien est signalé gravement malade de cœur et son état est jugé très sérieux. Mais le Parquet des Chambres africaines extraordinaires exige sa « comparution forcée » et le Chef de l’institution pénitentiaire refuse que l’intéressé bénéficie d’une assistance médicale.
Bien évidemment, le refus de l’hospitalisation du Président Hissène HABRE par la juridiction des Chambres africaines extraordinaires constitue une atteinte aux dispositions prévues à l’article 16 paragraphes 1 et 2 de la Charte africaine. Si l’attitude des autorités pénitentiaires semble à première vue prudente, le refus d’assistance sanitaire à un malade est juridiquement contestable devant la Cour africaine de Banjul(Gambie).
En définitive, l’analyse qui précède montre que les décisions de la Cour européenne de Strasbourg influence directement les juridictions européenne et la Chambre criminelle de la Cour de cassation française.
De son côté, la Cour africaine de Banjul devrait opter pour une approche large du concept du « procès équitable » et d’affirmer sa jurisprudence dans le cas d’espèce.
Maître Abdou DANGABO MOUSSA
Avocat à la Cour d’appel de Paris