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REPORTAGE - La mission de l'Eufor s'achève le 15 mars au Tchad


Alwihda Info | Par Abdel Ahmat - 6 Mars 2009


Ce matin-là, la patrouille part très tôt du camp des Polonais installé non loin du village d'Iriba. Deux véhicules Mercedes tout-terrain, un camion pour les démineurs et, derrière, un gros blindé de combat d'infanterie à 8 roues, un Rosomak ultra-moderne, équipé d'un respectable canon. Après quelques dizaines de kilomètres de piste sèche, la petite colonne guidée par les navigateurs GPS dans un


REPORTAGE - La mission de l'Eufor s'achève le 15 mars au Tchad
Ce matin-là, la patrouille part très tôt du camp des Polonais installé non loin du village d'Iriba. Deux véhicules Mercedes tout-terrain, un camion pour les démineurs et, derrière, un gros blindé de combat d'infanterie à 8 roues, un Rosomak ultra-moderne, équipé d'un respectable canon. Après quelques dizaines de kilomètres de piste sèche, la petite colonne guidée par les navigateurs GPS dans un entrelacs d'improbables déviations s'arrête en plein désert. "C'est par ici que les Français nous ont dit avoir vu un engin explosif non identifié", explique le commandant Kryzstof Plajzuck. Tout le monde s'y met et, finalement, un bout de roquette RPG-7 est découvert derrière un buisson. Les démineurs sortent le plastique, le détonateur et le cordeau Bickford, éloignent leur petit monde et font exploser l'engin. À quelques dizaines de mètres de là, une femme seule sur son baudet ne s'est même pas écartée de sa route, insensible au remue-ménage.

Les soldats polonais de l'Eufor forment l'ossature du bataillon multinational nord d' Iriba . Ils sont un peu moins de 400 hommes très bien équipés, logés au coeur de leur camp retranché dans des conteneurs climatisés, et aiment à se donner des allures de terribles guerriers. Comme les deux autres "gros" contingents, formés, d'une part, par les Irlandais installés à Goz-Beida et, d'autre part, par les Français du bataillon multinational centre de Forchana et du détachement de Birao en Centrafrique, la mission des Polonais consiste à assurer la sécurité des multiples camps abritant 280.000 réfugiés et 180.000 déplacés. Les premiers ont été chassés du Soudan voisin et les seconds sont des émigrés de l'intérieur. Les soldats européens n'ont pas le droit d'avoir de contacts avec eux ni d'entrer dans les camps. Cette mission est celle de la Minurcat , une opération de l'ONU comptant 300 policiers et oeuvrant de concert avec le DIS (Détachement intégré de sécurité) , formé de policiers tchadiens dépendant de leurs seules autorités nationales.

"Nous sommes là pour nous occuper des populations"

De ce fait, il est particulièrement difficile d'apprécier le bénéfice qu'apporte l' Eufor . Mais cet officier en poste à l'état-major d'Abéché, qui sillonne le Tchad en permanence, ne doute pas de l'efficacité de sa mission : "J'aime entendre les Tchadiens me dire : 'Là où vous êtes, nous nous sentons protégés. Et là où vous n'êtes pas, il y a moins de sécurité.' Notre action se déroule dans un État souverain et nous avons l'obligation de demeurer impartiaux. Nous ne sommes pas là comme une force d'interposition, mais pour nous occuper des populations." Le colonel Wojciech Kucharski, qui commande le contingent polonais et a suivi la formation du Collège interarmées de défense à Paris , confirme : "Nous sommes cordiaux et ouverts, mais saurions être sérieux si un problème survenait. Tout le monde peut voir nos équipements ! Chaque semaine, je rends visite au préfet, je rencontre les ONG. La sécurité s'est améliorée, la région est stable."

L'insécurité est difficile à cerner. Elle est diffuse et émane de groupes variés : quand les miliciens soudanais Janjawids menacent les populations du Darfour, celles-ci se réfugient de l'autre côté de la frontière tchadienne. À l'intérieur même du Tchad, les menaces viennent de groupes armés qui s'en prennent aux récoltes des agriculteurs sédentaires, pillent les marchés, s'attaquent aux humanitaires. "Il s'agit souvent de nomades descendant de l'Ennedi (nord) avec leurs troupeaux", remarque un officier français. "On cherche à savoir si cela ne serait pas un effet du réchauffement climatique", précise-t-il. Peut-être... Mais les motifs des incidents sont parfois inattendus. Dans le camp d'Am Nabak, qui accueille 16.000 réfugiés, des affrontements ont éclaté lorsque le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a entamé un recensement. Découvrant des habitants de la ville voisine, il a refusé de les enregistrer, les privant du même coup des bénéfices de l'aide humanitaire. Les émeutes ont aussitôt démarré, et les Polonais sont intervenus pour évacuer les personnels de l'UNHCR.

En vieux routiers de l'Afrique, les militaires français sont parfois désarçonnés par l'attitude des Polonais, qui reviennent juste d'Irak avec des comportements calqués sur ceux des Américains. Les soldats ont le doigt sur la détente et se comportent au marché d'Iriba comme s'ils se trouvaient à Bagdad : tendus, l'oeil aux aguets, la vigilance pointilleuse, le soupçon constant. Ils ne retrouvent leur sérénité que lorsqu'ils rejoignent l'école du village pour y conduire l'une de ces "actions civilo-militaires" censées renforcer les contacts avec la population. Là, des soldats peignent les chaises, enduisent les murs de chaux blanche, changent un robinet. Et se fâchent devant le directeur de l'école : "C'est très pénible ! On a repeint à neuf cette classe, hier, et tous les murs ont été maculés dans la nuit. Pourquoi ?" Au capitaine Robert Zurawski, plus que dépité, l'instituteur Ramadam Alhadjtom ne peut que répondre que le gardien est parti, faute d'avoir reçu sa paie, et que les enfants sont "incontrôlables..."

Les soldats de l'Eufor n'ont pas le moindre pouvoir de police

Dans l'hélicoptère MI-17 polonais qui nous emporte d'Iriba à Abéché, les normes européennes de sécurité semblent assez lointaines : les fumeurs ne sont pas privés de leur toxique plaisir et les ceintures de sécurité sont... absentes ! Mais qu'importe... Au bout du vol, à Goz-Beida, le contingent irlandais s'entraîne d'arrache-pied avant de partir pour une patrouille de plusieurs jours jusqu'à la frontière soudanaise, avec une longue colonne de blindés Piranha . À 27 ans, natif de Cork, le lieutenant Barry Hannon, du 12e bataillon d'infanterie de Limerick , est à la fête : c'est sa première mission à l'étranger. Au champ de tir voisin du camp, il commande les soldats, hommes et femmes, leur fait répéter les manoeuvres de protection, courir sous le cagnard et vider leurs chargeurs contre des cibles. En quelques minutes, le semblant de désert s'est animé. D'abord, un enfant timide est arrivé. Puis un homme sur sa mule, et encore une fine équipe de jeunes gardiens de chèvres qui font faire une halte à leur troupeau. Guidés par la curiosité, ils observent sans un mot. Avant de reprendre leur route.

La nuit suivante, installé dans la tourelle de son blindé, Barry Hannon fera le tour des installations des ONG de Goz-Beida , de l'hôpital, des mosquées. Puis, dans la nuit noire, il postera ses deux engins sur la place du village, fera couper les moteurs et écoutera la nuit. Avec ses lunettes de vision nocturne sur les yeux, il chuchote : "Tous les villages parlent des bandits qui vont arriver, mais depuis sept semaines nous n'en avons jamais vu." Serait-ce le désert des Tartares ? Commandant le contingent irlandais de l'Eufor, le lieutenant-colonel Kieran Brennan n'est pas du tout de cet avis : "La situation est instable. Et les attaques sont toujours possibles. Si les réfugiés, les villageois ou les humanitaires étaient menacés, ce serait à nous d'installer le cordon sanitaire." Un officier remarque : "En fait, les soldats de l'Eufor n'ont pas le moindre pouvoir de police." Ce qui n'empêche pas les rumeurs de proliférer au Tchad. L'une d'entre elles veut qu'un camion de l'Eufor se soit renversé dans un fossé, en laissant échapper des milliers de paires de menottes ! Il n'en est rien, ce qui n'empêche pas le bobard de circuler...

Sentiment accompli

Talon d'Achille de l'opération : les troupes de l'Eufor se trouvent à près de 3.000 kilomètres du port de Douala, au Cameroun, où arrivent d'Europe les bateaux chargés de matériel ; la chaîne logistique met des semaines pour arriver jusqu'aux bataillons multinationaux. À N'Djamena et à Abéché, on rit encore de l'opération montée par l' Économat des armées françaises pour faire passer un convoi logistique par la Libye, qui a mis des semaines à surmonter les obstacles posés par le régime du colonel Kadhafi. Quand les livraisons sont urgentes, il n'y a pas d'autre moyen que d'avoir recours à des avions russes de location facturés 300.000 euros la rotation, puis à des avions tactiques. Les Transall français de l'opération Épervier offrent le transport quotidien de 12 tonnes entre N'Djamena et Abéché, quartier général de l'Eufor. Les Espagnols déploient deux Casa CN-235 sur le même trajet. La Grèce fournit un C-130 Hercules une semaine par mois et les Portugais ont mis à disposition un appareil du même type durant deux mois.

Mais le plus gros problème, ce sont les hélicoptères. La France en fournit huit, dont quatre hélicoptères de transport Puma et quatre Gazelle. Les Polonais sont venus avec trois MI-17, mais ont interdit qu'ils volent seuls, ce qui impose que chacun de leurs vols se fasse en compagnie d'un autre appareil. Deux hélicoptères irlandais MI-8 loués en Ukraine ne sont pas aux normes du transport de personnel, ce qui n'est que moindre mal puisqu'ils sont en panne. La bonne nouvelle, c'est que quatre hélicoptères MI-8 dépêchés par la Russie sont arrivés en décembre , mais pour une durée limitée à six mois.


Le 15 mars prochain, la mission de l'Eufor sera terminée, et c'est une Minurcat renforcée qui prendra le relais. Le général français Jean-Philippe Ganascia, qui a commandé cette mission durant un an, va quitter le Tchad avec le sentiment d'une mission accomplie : "Nous avons préparé la venue de cette force, et c'était notre mission. Nous l'avons réalisée de façon professionnelle. Nous avions un an et au bout d'un an nous avons atteint cet objectif précis."

Source:
http://www.lepoint.fr/



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