Dr BABELET Blaise Servais, Anthropologue et chercheur
Dr BABELET Blaise Servais, Anthropologue et chercheur
La République Centrafricaine a toujours été constituée de plusieurs régions, de nombreux groupes ethniques et de plusieurs langues locales. Au sein de cette disparité, chaque individu et chaque groupe dispose d’une « identité ». « L’identité nationale centrafricaine repose donc sur plusieurs identités : individuelle, familiale, ethnique, régionale, religieuse (musulmane, chrétienne, païenne) et politique (partis politiques). De ce point de vue, l’identité nationale apparaît comme quelque chose de construite par tous les Centrafricains. C’est en ce sens que nous évoquons l’idée d’une identité nationale centrafricaine comme une prise de conscience commune de tous les centrafricains autour des pratiques, des concepts, des pensées, des croyances, des arts, et la détermination de tout un chacun à défendre la culture de la paix acquise au prix du sang par nos nombreux martyrs nationaux. Elle repose ainsi aujourd’hui sur l’histoire du pays, aux valeurs, aux traditions, et sur tout ce que chaque centrafricain partage avec les autres et qui sont le vaste territoire national, la langue nationale (le sango), l’emblème (bleu-blanc-vert-jaune-barré de rouge), la devise (unité-dignité-travail), l’hymne national (La Renaissance), sans oublier les droits fondamentaux de vivre en paix, de circuler, de s’exprimer, de se nourrir, de se loger, de pratiquer une religion. Dans le sillage de la construction identitaire, on dénombre plusieurs confessions religieuses, notamment le christianisme, majoritairement représenté, l’islam et l’animisme. Tous les pratiquants ont toujours cohabité sans difficulté dans le respect de leurs valeurs mutuelles. Toutes ces valeurs précitées sont acceptées et reconnues par le peuple centrafricain, la disparition d’un des éléments ne pouvant qu’entrainer la remise en question de l’identité nationale.
L’identité nationale en danger !
Depuis deux décennies, la République Centrafricaine vit cependant au rythme de crises à répétition ayant abouti à sa désintégration sur tous les plans. Parmi toutes ces crises, celles politico-militaires ont été les plus meurtrières et dévastatrices, et ont profondément impacté sur des vies humaines ainsi que sur le faible tissu économique. A partir de mars 2013, avec l’avènement au pouvoir de la coalition Séléka, la cohésion sociale, qui ne tenait déjà qu’à un fil, n’existe plus, ou du moins celle-ci n’existe que de nom. L’identité nationale est en danger ! En effet, en tant que substance humaine de l’Etat centrafricain, la population, censée vivre paisiblement en « groupe d’individus sédentaires et solidaires », ne doit aujourd’hui sa survie qu’à la présence des pays étrangers et des organisations internationales. Les liens, à la fois matériels et spirituels qui unissent les uns aux autres, et résumés dans ses devises (unité-dignité-travail) se sont effrités.
Aujourd’hui, force est de constater que toutes les valeurs constituant l’identité nationale sont en turbulence :
- La culture de la paix a laissé place à la culture de la haine et de la division.
L’instrumentalisation de la religion par certains responsables politiques comme moyen de parvenir au pouvoir s’est dégénérée en conflit interconfessionnel. L’intolérance religieuse s’est ainsi installée entre musulmans et chrétiens, contribuant ainsi à la déconstruction de l’identité nationale acquise au fil de longues années de sensibilisation et de conscientisation.
- Le sango est menacé de survie par les divisions liées aux nombreux conflits à répétition. Pire, ce trésor est concurrencé par l’arabe, unique langue de communication des rebelles de la coalition Séléka à l’origine de la grave situation actuelle que traverse le pays.
- Le territoire est menacé de partition à l’initiative des rebelles venant du nord-est, et qui sont majoritairement appuyés par des soudanais et des tchadiens. L’Etat est en totale décomposition. La loi de la jungle s’est imposée au profit de ceux qui détiennent les armes et qui contrôlent les ressources minières du pays. Face au laxisme des autorités en place, chaque groupe armé œuvre pour le prolongement du chaos, ou bien cherche à s’imposer dans toutes les décisions cruciales à l’occasion des nombreuses tentatives de médiation pour un retour à la paix.
- Le drapeau centrafricain ne flotte pas dans les zones sous contrôle de la rébellion Séléka. Ceux-ci, selon la déclaration de certains d’entre eux, auraient même déjà confectionné les drapeaux de la nouvelle république qu’il compte créer.
- La devise du pays (unité-dignité-travail) est simplement ignorée ou altérée. L’unité a ainsi laissé place à la division. En pratique, la RCA est gangrenée par plusieurs divisions intestines, notamment entre chrétiens et musulmans, entre les gens du nord et les gens du sud, entre divers groupes ethniques… Les récentes sanglantes violences intercommunautaires, alimentées par les innombrables exactions des groupes armés (Séléka et Anti-balaka) ont non seulement fait des milliers de morts mais ont opéré également des divisions entre les familles, les voisins et les paisibles populations contraintes au déplacement et à l’errance avec tous les risques que cela contient. Beaucoup de crimes de sang ont été commis. La dignité nationale a été remplacée par l’indignité entraînant de facto la dégradation civique. Aux yeux du monde, les centrafricains apparaissent désormais comme des anthropophages, ce qui vient corroborer le soupçon qui avait déjà plané sur l’ex-empereur Bokassa et qui avait été relayé dans le monde entier par les média. De nombreux actes de barbarie (pillage, viols, vandalisme, sabotage) sont commis sur toute l’étendue du territoire et présentés au monde par les média comme étant le quotidien en Centrafrique. Tout ce qui précède fait que le travail est relégué au second plan, la rébellion armée, le détournement, la corruption… étant devenus des moyens plus faciles pour s’enrichir. L’argent public, sensé améliorer les conditions de vie de tous les centrafricains, est ainsi redistribué aux bourreaux du peuple, ceux-là mêmes qui ont mis le pays à feu et à sang. Les régimes qui se sont succédé à la direction du pays ont par ailleurs érigé le tribalisme, le régionalisme, le népotisme et le clientélisme en systèmes de gouvernement. L’impunité chronique a finalement contribué à faire disparaitre l’Etat de droit.
- Les droits fondamentaux de se nourrir, se loger, de se vêtir, de circuler, bref de s’émanciper sont bafouillés car les populations sont prises au piège par la barbarie de ceux qui ne souhaitent que le prolongement du chaos pour réaliser leur forfait. La destruction des biens d’autrui est devenue monnaie courante et un moyen privilégié d’expression de la jalousie, constituant ainsi un frein pour le développement durable.
Reconstruire et consolider l’identité nationale menacée
Parmi les tentatives de résolutions préconisées, il faut le souligner, les solutions militaires et politiques, même si elles s’avèrent nécessaires, semblent insuffisantes.
Faire taire les armes, désarmer tous les belligérants et toutes les populations civiles en détention d’armes de guerre, restent une priorité, car cela permettra non seulement de ramener la paix en RCA mais aussi de garantir la paix dans la sous-région. Accompagner ces mesures par une justice forte devrait mettre fin à l’impunité chronique qui sévit en RCA. Toutefois, il est important de retourner à la base. C’est pour cette raison que l’éducation est fondamentale.
Faire de l’éducation et de la formation une priorité
L’éducation et la formation devraient être une priorité à tous les niveaux. Loin de se limiter à l’instruction, l’éducation consistera à transmettre à la future génération un ensemble de connaissances consistant en des savoirs et des savoirs faire, et de valeurs qui font partie d'une culture commune. Elle devrait assurer à chaque individu le développement de toutes ses capacités (physiques, intellectuelles et morales). C’est l’unique chemin pour transformer la culture de la haine et de la division en culture de la paix. Toutes les couches sociales sont concernées à cet effet. Elle devra permettre à un enfant ou un adulte de voir en face sa vie personnelle et de la gérer en tant que citoyen responsable au sein de la société. Le ministère de l’éducation, au lieu de jouer simplement un rôle de ministère de l’instruction et d’être classé parmi les départements non prioritaires, devrait devenir prioritaire tout comme celui de la défense et des finances.
Il s’agit d’appliquer dans son intégralité, en l’étendant aux adultes, les objectifs fixés dans l’article 29 de la convention des droits de l’enfant, et auxquels la RCA a adhéré et qui consistent à : favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et des ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ; inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ; inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ; préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d'origine autochtone ; inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel. Pour atteindre de tels objectifs l’Etat devrait investir suffisamment dans la création de structures adéquates et dans la formation du personnel capable d’aider aux réalisations des objectifs. Chaque quartier et chaque village devraient être concernés. C’est par ce biais que l’identité nationale pourra être consolidée, et l’intégration de chaque citoyen garantie.
Il conviendrait également d’instaurer un dialogue social permanent entre les divers partenaires sociaux afin de surmonter les blocages de tous genres et privilégier le consensus.
Par ailleurs, il faudrait impérativement rétablir la valeur du travail à travers de nombreux projets de développement communautaire car le travail unit, libère, crée de la richesse, crée et maintien le lien social et l’unité nationale. Il est également source d’émancipation et de réalisation de soi.
Pour l'équilibre et le bon fonctionnement d’une nouvelle société centrafricaine, il faudrait aussi privilégier la cohésion sociale notamment en impliquant tous les hommes et femmes des différentes couches sociales dans la gestion du pays. Chaque citoyen devra, à cet effet participer activement à la vie sociale s’y reconnaitre sans complexe. Les nominations aux divers postes de responsabilité ainsi que la distribution des fruits de la richesse nationale devraient toujours se faire en tenant compte de la géopolitique. La transparence dans la gestion de la chose publique ainsi que la lutte contre la corruption doivent être au centre du programme gouvernemental afin de garantir la justice et l’équité.
Enfin, la consolidation de l’identité nationale centrafricaine requiert la stabilité et la constance dans les engagements politiques des citoyens car le vagabondage politique a été souvent une cause de déstabilisation de l’unité nationale. Et si cette mauvaise pratique persiste, tous les efforts accomplis pour préserver la paix et la démocratie auraient été inutiles.
Dr BABELET Blaise Servais, Anthropologue et chercheur