La censure est inutile, puisqu'elle est impuissante face à la réalité. A quoi sert d'envoyer les services de sécurité dans les imprimeries ou les rédactions ? La politique du coup de ciseaux ne change rien à ce que l'on veut cacher. Une erreur n'est pas corrigée lorsqu'elle est masquée. Un problème ne se règle pas pour avoir été déguisé. Et puis surveiller des journalistes, menacer des rédacteurs en chef et suspendre des journaux ne montre du gouvernement que le visage de la répression, révèle ses faiblesses et lui crée des ennemis. Tel est le message que Reporters sans frontières souhaite faire passer aux autorités soudanaises.
Lors de notre voyage à Khartoum et El-Fasher, en mars 2007, nous avions constaté avec admiration la vitalité de la presse de Khartoum et les espoirs qu'avait fait naître l'accord de paix de 2005. Nous avions alors souligné publiquement, dans le rapport intitulé "Enquête sur les acteurs oubliés d'une crise", à quel point la société civile et les médias soudanais étaient "actifs et divers". Nous avions voulu également mettre en lumière le scandale que représentait le silence fait, dans les médias occidentaux, sur cette réalité pourtant importante du Soudan d'aujourd'hui.
Mais l'actualité est en train de nous faire mentir. Les médias privés de Khartoum commencent à suffoquer, pliant sous le poids d'une police vétilleuse, qui n'a pourtant rien à faire dans leurs rédactions ou leurs imprimeries. Aux descentes des services de sécurité et aux saisies succèdent les suspensions ou les mesures coercitives du Conseil national de la presse, faisant régulièrement trébucher les journaux, les contraignant à vivre dans la crainte et les privant de ressources importantes. Les journalistes eux-mêmes ne supportent plus ce carcan étroit, cette infantilisation et cette méfiance que leur propre gouvernement leur impose. Comme s'ils étaient responsables des problèmes que connaît le Soudan et qu'ils rapportent aux Soudanais. Comme si leurs punitions et leurs vexations changeaient quoi que ce soit à la réalité. Ce sont les lecteurs, et non les services de sécurité, qui sont les mieux à même de juger et de sanctionner un journal. Il leur suffit de ne pas l'acheter.
Cette course absurde après la réalité, qui fait le quotidien des médias de Khartoum, a démarré le 6 février 2008, après le rétablissement, en secret, d'un procédé archaïque, dont le monde entier avait pourtant salué la disparition, en 2005. Dès le 10 février, les services de sécurité commençaient leur travail de répression, en supprimant un article d'Al-Sahafa. Les jours suivants, ils empêchaient la parution d'Al-Rai Al-Shaab, interrogeaient longuement les rédacteurs en chef d'Al-Ahdaht et Al-Watan, puis les responsables d'Al-Wifaq, Al-Midan, Al-Sudani et Al-Raï Al-Aam, surgissaient nuitamment dans l'imprimerie d'Al-Midan pour supprimer un article... La litanie des incidents n'a pas cessé depuis. Le 4 novembre, les rédactions d'Ajras Al-Hurriya, Al-Maidan et Raï Al-Chaab ont décidé de se mobiliser pour en appeler à la raison des responsables du pays, alors même qu'un journaliste d'Al-Intibaha avait été arrêté, quelques jours plus tôt, pour un article qui avait manifestement dérangé les autorités.