Comme nous l’avons raconté récemment dans ces mêmes colonnes, Le Témoin avait été le seul, en avril 2012, à avoir écrit que le premier gouvernement Abdoul Mbaye était nul. Notre manchette de « une » était d’ailleurs sans équivoque : « Un gouvernement pire que l’équipe Souleymane Ndéné Ndiaye » avions-nous titré à l’époque. Au moment où presque tous les confrères s’extasiaient sur ce gouvernement en chantant les louanges de ses membres, nous n’avions pas craint de ramer à contre-courant en disant tout le mal que nous en pensions. En particulier, nous avions insisté sur le fait que M. Abdoul Mbaye ne nous paraissait pas être l’homme de la situation. Une telle positon tranchée ne nous avait pas empêchés, au mois de juin dernier, d’écrire que, tout compte fait et à bien considérer, nous nous étions trompés à propos du premier Premier ministre que le président de la République, M. Macky Sall, s’était choisi. Lequel, convenions-nous, faisait finalement du très bon travail. Brillant sujet, diplômé d’HEC en France, banquier public d’abord avant de devenir banquier commercial, M. Abdoul Mbaye avait donné du lustre à une fonction que le président Abdoulaye Wade avait pris un malin plaisir à dévaloriser.
A ce propos, que l’on nous permette de reproduire ici l’essentiel de ce que nous avions écrit alors, et qui résume exactement ce que nous pensons aujourd’hui encore, au
lendemain de la défénestration de celui qui est devenu l’ex-Premier ministre M. Abdoul Mbaye.
« Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, en effet, force est de reconnaître que M. Mbaye est un brillant sujet, une belle mécanique intellectuelle. Il s’est fondu dans le moule de la fonction et fait son job comme le lui demande le président de la République, avec la volonté évidente de réussir la mission qui lui a été confiée et qui consiste, en résumé, à améliorer les conditions de vie des Sénégalais. Apolitique, il ne passe pas son temps à faire des calculs, à soigner son image ou à préparer son agenda. Le président de la République peut être au moins sûr que ce Premier ministre-là ne songe pas à lui prendre son fauteuil tous les jours en se rasant !
Autre gros avantage : en homme moderne, bien au fait des affaires de son temps, M. Abdoul Mbaye sait que la société et l’économie sénégalaises traînent trop d’anachronismes, de goulots d’étranglement, de forces d’inertie, bref de handicaps structurels qu’il faut surmonter pour bâtir un pays tout simplement moderne avant de prétendre à l’émergence. Avec son collègue banquier Amadou Kane aux Finances, ils ont entrepris de redresser les finances publiques et d’appliquer un traitement de choc à une économie atone. Laquelle, apparemment, et les opérateurs qui la font tourner et en vivent avec, a bien du mal à supporter ces potions libérales, pour ne pas dire ce remède de cheval administré par des banquiers commerciaux !
Surtout, M. Abdoul Mbaye n’a pas eu peur de résister — à défaut de s’attaquer à eux ! — à de puissants lobbies qui tenaient en otages l’économie nationale et les consommateurs sénégalais. En particulier il a tenu tête aux lobbies du sucre, de la farine, du pétrole et du gaz. Il avait
même entrepris courageusement de croiser le fer avec le lobby des maîtres coraniques exploitant des « daaras » suite à l’incendie de la Médina au cours duquel une dizaine de talibés avaient trouvé la mort. Hélas, dans cette croisade, il n’avait pas pu bénéficier du soutien du président de la République qui, après avoir menacé de ses foudres ces « marabouts », avait rétropédalé dès le lendemain suite à leur levée de boucliers !
Enfin, par deux fois, à l’Assemblée nationale, à l’occasion de sa Déclaration de Politique Générale (DPG), d’abord, puis lors du vote de la motion de censure déposée contre son gouvernement, il avait su tenir la dragée haute aux députés de l’opposition, faisant même par moments preuve d’un humour décapant qu’on ne lui connaissait pas auparavant. Mieux, il avait ridiculisé et administré une volée de bois vert à l’opposition qui avait eu l’outrecuidance — disons le toupet — de déposer une motion de censure contre lui au motif qu’il aurait contribué à « blanchir » l’argent prétendument sale que l’ancien Président tchadien, M. Hissène Habré, avait emmené avec lui en venant se réfugier avec sa famille et ses proches dans notre pays. Ce jour-là, M. Abdoul Mbaye avait admirablement tourné en bourrique ses contempteurs ! A l’évidence, le technocrate froid, compassé, pincé et quelque peu distant avait fait place à un redoutable débatteur, un tribun de talent et un formidable politicien d’autant plus à l’aise que ses adversaires qui avaient déposé la motion de censure n’étaient pas eux-mêmes blancs comme neige dans la gestion des deniers de l’Etat… »
Il faut regretter, hélas, que chez le président de la République, le politicien, qui n’était jamais très loin, a très vite repris le dessus sur l’homme d’Etat dont il s’efforcer
d’endosser l’habit. En effet, ne pouvant plus résister aux pressions des membres de son parti qui lui reprochent de trop donner à ses alliés — et notamment la présidence de l’Assemblée nationale à l’Alliance des Forces de Progrès (AFP) et celle du Conseil économique, social et environnemental à l’ancienne initiatrice du mouvement « Set » sans compter la Primature à un technocrate ! — le Président a cédé en nommant une responsable de l’APR à la tête du gouvernement. M. Abdoul Mbaye a été remercié non pas parce qu’il aurait échoué mais parce que, tout simplement, le Président à une échéance électorale importante — les locales — à affronter dans six mois à peine. Or, le moins que l’on puisse dire c’est que ces élections sont très mal engagées par lui du fait notamment de la déception et du mécontentement des populations. D’où la nécessité de mettre en place un gouvernement plus politique.
Cela dit, il est du pouvoir discrétionnaire d’un président de la République de nommer — et de révoquer — un Premier ministre et le président Macky Sall n’échappe pas à la règle. Il avait un agenda connu de lui seul et il savait certainement, le jour où il nommait M. Abdoul Mbaye, la durée du bail qu’il lui concédait. M. Mbaye ne s’imaginait donc certainement pas qu’il allait être éternel au poste. Ainsi vont les choses dans une démocratie.
Il reste que, d’après ses proches, et contrairement à ce qui s’est dit ou écrit ici et là, le Président et son Premier ministre se sont séparés en bons termes, le second remerciant même le Premier pour l’honneur qu’il lui a fait en l’élevant à une fonction aussi prestigieuse que celle de Premier ministre. Et il se dit que, maintenant qu’il est déchargé de ces lourdes fonctions officielles, il va pouvoir, non seulement retourner à ses affaires, mais aussi, et
surtout, avoir toute la latitude requise pour œuvrer librement et sans contrainte… à la réélection du président de la République en 2017. Eh oui, il va pouvoir utiliser son temps, son argent et ses relations pour aider M. Macky Sall. Ce serait, à ses yeux, le seul moyen de renvoyer l’ascenseur à ce dernier. Et croyez-nous, M. Abdoul Mbaye dont nous avons eu à écrire qu’il s’est bonifié durant ces 18 derniers mois au point de devenir un redoutable débatteur, semble avoir pris goût à la politique. Surveillez-le de près parce qu’il risque de faire mal ! Se mettrait-il en réserve de la République ? En attendant, nous nous plaisons à saluer ce brillant Premier ministre qui nous a finalement sortis de la médiocrité ambiante !
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1136 –Hebdomadaire Sénégalais (Septembre 2013)
A ce propos, que l’on nous permette de reproduire ici l’essentiel de ce que nous avions écrit alors, et qui résume exactement ce que nous pensons aujourd’hui encore, au
lendemain de la défénestration de celui qui est devenu l’ex-Premier ministre M. Abdoul Mbaye.
« Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, en effet, force est de reconnaître que M. Mbaye est un brillant sujet, une belle mécanique intellectuelle. Il s’est fondu dans le moule de la fonction et fait son job comme le lui demande le président de la République, avec la volonté évidente de réussir la mission qui lui a été confiée et qui consiste, en résumé, à améliorer les conditions de vie des Sénégalais. Apolitique, il ne passe pas son temps à faire des calculs, à soigner son image ou à préparer son agenda. Le président de la République peut être au moins sûr que ce Premier ministre-là ne songe pas à lui prendre son fauteuil tous les jours en se rasant !
Autre gros avantage : en homme moderne, bien au fait des affaires de son temps, M. Abdoul Mbaye sait que la société et l’économie sénégalaises traînent trop d’anachronismes, de goulots d’étranglement, de forces d’inertie, bref de handicaps structurels qu’il faut surmonter pour bâtir un pays tout simplement moderne avant de prétendre à l’émergence. Avec son collègue banquier Amadou Kane aux Finances, ils ont entrepris de redresser les finances publiques et d’appliquer un traitement de choc à une économie atone. Laquelle, apparemment, et les opérateurs qui la font tourner et en vivent avec, a bien du mal à supporter ces potions libérales, pour ne pas dire ce remède de cheval administré par des banquiers commerciaux !
Surtout, M. Abdoul Mbaye n’a pas eu peur de résister — à défaut de s’attaquer à eux ! — à de puissants lobbies qui tenaient en otages l’économie nationale et les consommateurs sénégalais. En particulier il a tenu tête aux lobbies du sucre, de la farine, du pétrole et du gaz. Il avait
même entrepris courageusement de croiser le fer avec le lobby des maîtres coraniques exploitant des « daaras » suite à l’incendie de la Médina au cours duquel une dizaine de talibés avaient trouvé la mort. Hélas, dans cette croisade, il n’avait pas pu bénéficier du soutien du président de la République qui, après avoir menacé de ses foudres ces « marabouts », avait rétropédalé dès le lendemain suite à leur levée de boucliers !
Enfin, par deux fois, à l’Assemblée nationale, à l’occasion de sa Déclaration de Politique Générale (DPG), d’abord, puis lors du vote de la motion de censure déposée contre son gouvernement, il avait su tenir la dragée haute aux députés de l’opposition, faisant même par moments preuve d’un humour décapant qu’on ne lui connaissait pas auparavant. Mieux, il avait ridiculisé et administré une volée de bois vert à l’opposition qui avait eu l’outrecuidance — disons le toupet — de déposer une motion de censure contre lui au motif qu’il aurait contribué à « blanchir » l’argent prétendument sale que l’ancien Président tchadien, M. Hissène Habré, avait emmené avec lui en venant se réfugier avec sa famille et ses proches dans notre pays. Ce jour-là, M. Abdoul Mbaye avait admirablement tourné en bourrique ses contempteurs ! A l’évidence, le technocrate froid, compassé, pincé et quelque peu distant avait fait place à un redoutable débatteur, un tribun de talent et un formidable politicien d’autant plus à l’aise que ses adversaires qui avaient déposé la motion de censure n’étaient pas eux-mêmes blancs comme neige dans la gestion des deniers de l’Etat… »
Il faut regretter, hélas, que chez le président de la République, le politicien, qui n’était jamais très loin, a très vite repris le dessus sur l’homme d’Etat dont il s’efforcer
d’endosser l’habit. En effet, ne pouvant plus résister aux pressions des membres de son parti qui lui reprochent de trop donner à ses alliés — et notamment la présidence de l’Assemblée nationale à l’Alliance des Forces de Progrès (AFP) et celle du Conseil économique, social et environnemental à l’ancienne initiatrice du mouvement « Set » sans compter la Primature à un technocrate ! — le Président a cédé en nommant une responsable de l’APR à la tête du gouvernement. M. Abdoul Mbaye a été remercié non pas parce qu’il aurait échoué mais parce que, tout simplement, le Président à une échéance électorale importante — les locales — à affronter dans six mois à peine. Or, le moins que l’on puisse dire c’est que ces élections sont très mal engagées par lui du fait notamment de la déception et du mécontentement des populations. D’où la nécessité de mettre en place un gouvernement plus politique.
Cela dit, il est du pouvoir discrétionnaire d’un président de la République de nommer — et de révoquer — un Premier ministre et le président Macky Sall n’échappe pas à la règle. Il avait un agenda connu de lui seul et il savait certainement, le jour où il nommait M. Abdoul Mbaye, la durée du bail qu’il lui concédait. M. Mbaye ne s’imaginait donc certainement pas qu’il allait être éternel au poste. Ainsi vont les choses dans une démocratie.
Il reste que, d’après ses proches, et contrairement à ce qui s’est dit ou écrit ici et là, le Président et son Premier ministre se sont séparés en bons termes, le second remerciant même le Premier pour l’honneur qu’il lui a fait en l’élevant à une fonction aussi prestigieuse que celle de Premier ministre. Et il se dit que, maintenant qu’il est déchargé de ces lourdes fonctions officielles, il va pouvoir, non seulement retourner à ses affaires, mais aussi, et
surtout, avoir toute la latitude requise pour œuvrer librement et sans contrainte… à la réélection du président de la République en 2017. Eh oui, il va pouvoir utiliser son temps, son argent et ses relations pour aider M. Macky Sall. Ce serait, à ses yeux, le seul moyen de renvoyer l’ascenseur à ce dernier. Et croyez-nous, M. Abdoul Mbaye dont nous avons eu à écrire qu’il s’est bonifié durant ces 18 derniers mois au point de devenir un redoutable débatteur, semble avoir pris goût à la politique. Surveillez-le de près parce qu’il risque de faire mal ! Se mettrait-il en réserve de la République ? En attendant, nous nous plaisons à saluer ce brillant Premier ministre qui nous a finalement sortis de la médiocrité ambiante !
Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1136 –Hebdomadaire Sénégalais (Septembre 2013)