Le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de N'Djamena, Youssouf Tom. © Mahamat Abderaman/Alwihda Info
Alwihda Info : 44 prisonniers de Boko Haram sont morts en prison. Comment en est-on arrivé là ? Pouvez-vous nous expliquer le déroulé de cet incident ?
Youssouf Tom : Il est vrai qu'en date du 14 avril, nous avons reçu 58 hommes qui ont été arrêtés suite aux évènements survenus au Lac Tchad dans la guerre contre Boko Haram. Nous avons cherché un local adéquat, sécurisé pour les garder afin de démarrer l'enquête judiciaire. C'est pour cette raison que de l'armée nous les avons reçus et les démarches faites nous ont conduit à trouver ce grand local de la légion de gendarmerie pour les déposer. C'était mardi. Ils y ont passé la nuit. Le lendemain matin, je me suis déplacé en personne pour aller voir leurs conditions de détention. J'ai échangé avec eux, j'espère que ceux qui sont en vie peuvent témoigner.
Au départ, j'ai d'abord commencé à m'exprimer avec eux en anglais parce que je pensais qu'étant membres de Boko Haram, c'est des gens qui ont quitté le Nigeria voisin et qui parlent l'anglais. Par la suite, quelques-uns m'ont fait savoir qu'eux ne parlent pas l'anglais, ne comprennent pas ce que je dis, mais parlent plutôt un dialecte de la localité du Lac Tchad et l'arabe tchadien. Pour cette raison, nous avons conversé, et je me suis séparé d'eux pour aller rendre compte à ma hiérarchie.
Le jeudi, la cellule antiterroriste devait commencer les investigations. Mais malheureusement, ce même jeudi, arrivé au bureau le matin comme aujourd'hui, on m'appelle au téléphone pour me signifier qu'il y a un drame dans les locaux de détention des 58 présumés membres de Boko Haram. Quel drame ? On me dit que 44 d'entre eux ont rendu l'âme la nuit. C'est vraiment abracadabrant. Nous étions tous estomaqués, tombés des nues. Ça m’a obligé à quitter mon bureau pour me déplacer dans les locaux de la légion n°10 de gendarmerie où ils sont détenus.
J'ai appelé les autorités médicales et la mairie afin qu'ils viennent avec les services sanitaires pour aussi désinfecter les lieux. Avec tout ce monde, on s'est retrouvé là-bas. Nous avons fait le décompte, on a trouvé qu'effectivement, 44 des 58 prisonniers ont été rappelés à Dieu, dans des circonstances que nous ignorons. Devant cet état de fait qui est extraordinaire, quiconque le trouvera, nous avons automatiquement décidé d'ouvrir une enquête judiciaire pour déterminer les causes de cette mort massive des détenus dans leur violon. Mais, comme les corps entraient en putréfaction, nous ne pouvions les conserver. Avec les services sanitaires de la mairie et les autorités, nous avons décidé de procéder à l'inhumation des 40 corps. Le médecin légiste que nous avons appelé a décidé de prendre en échantillon quatre corps pour son autopsie.
Que révèle l'autopsie ?
L'autopsie dont j'ai vu le résultat avant-hier nous a révélé qu'il y a des substances ionisantes. Là aussi, c'est le résultat d'un médecin et jusque-là, il est entrain de continuer les examens (...) Pour certains, les poumons sont carrément carbonisés. Maintenant, est-ce que c'est ça qui est la cause exacte ? Ça demeure encore dans le secret de Dieu, moi je ne suis pas un médecin, je suis un juriste. Je ne peux pas dire que c'est exactement ça, ou ce n'est pas ça. Mais le résultat que nous avons, c'est celui-là. Jusqu'à preuve du contraire, n'étant pas dans le secret de Dieu, je m'en tiens à ce résultat.
Donc il n'y a pas une évolution par rapport à l'enquête ? La société civile dit que les prisonniers ont été affamés et assoiffés pendant trois jours, ce qui serait à l'origine de leur mort.
Je ne pense pas. Ils détiennent ces informations de qui ? D'où ? Parce que trois jours, ils n'ont pas mangé, trois jours, ils les ont assoiffés (...) Je pense que nous sommes tous des êtres humains et quand un être humain disparait même, fut-il ton ennemi, je pense que ça doit rappeler ta conscience.
Comment ont-ils reçu en prison une substance toxique de sorte à ce qu'un grand nombre puisse en consommer en même temps et mourir ensuite ? Comment peut-on expliquer cela ?
Seul l'enquête pourra le déterminer. Je ne peux pas mettre la charrue devant les bœufs. Si je vous disait que ça été fait de telle sorte, c'est que c'est déjà le résultat. Or l'enquête continue encore.
Donc il n'y a pas une évolution par rapport à l'enquête ?
Mais l'enquête continue. L'enquête continue. J'ai écouté les défenseurs des droits de l'Homme. Les prisonniers restants, les 14, eux-mêmes vous dirons qu'on les a amenés d'abord au niveau de l'armée, on leur a égorgé un mouton, on leur a donné à manger. De là-bas, on m'a appelé, on les a pris, on les a déplacés ici.
Ici, ils n'ont même pas encore fait trois jours, comment a-t-on pu ne pas les sevrer pendant trois jours ? Laissons l'enquête continuer au lieu de faire des spéculations. Chacun c'est son droit, c'est un débat, ça interpelle tout le monde, mais on ne peut pas affirmer. Tout est dubitatif.
Monsieur le procureur, les 14 qui sont encore en vie, est-ce que vous avez procédé à des examens pour qu'on ne tombe pas dans le même cas ?
Les 14, il y a un d'entre eux qui était malade. On l'a conduit à l'hôpital, il a été soigné, il a déjà recouvré sa santé. On l'a réintégré. C'est le plus jeune. C'est un mineur, il a 16 ans. Ils sont quand même bien portants. Ils ont passé des jours dans la brousse, ils ne sont pas corpulents comme vous et moi.
Un obus est tombé accidentellement au domicile du commandant 1er adjoint de la garde présidentielle. Où en est-on avec l'enquête ? Est-ce que c'est un obus qui serait sorti d'un Soukhoï ? Ou en sommes nous ? Est-ce qu'on peut en savoir plus ?
Là aussi je vous dirais que l'enquête est en train de se poursuivre. Comme je vous l'avais dit, les informations que nous avons reçues premièrement nous ont révélé que l'obus est sorti accidentellement. Il y a trois versions. Une version qui dit que l'obus est sorti, c'est tombé d'abord à l'aéroport, à côté d'une citerne, ça a causé un incendie, et que c'est maintenant un éclat de l'obus qui est sorti pour aller tomber dans le domicile du général. Ça c'est une version.
L'autre version c'est que l'obus est sorti d'un Soukhoï de l'armée tchadienne. Une troisième version, c'est sorti d'un avion de l'armée française. Il y a une équipe mixte qui est en train de mener les investigations. Elle n'a pas encore rendu son rapport.
Pourtant l'ambassade de France au Tchad dit que c'est une roquette qui est sortie d'un avion de l'armée tchadienne. L'ambassade a fait un communiqué attribuant la sortie de la roquette à l'armée tchadienne.
Je ne peux pas dire (...) du moment où l'on a confié le travail à une équipe mixte qui est en train de mener des investigations, ça c'est leur version. J'ai énuméré trois versions. Donc je ne sais pas laquelle des versions est vrai. Seule l'enquête va nous déterminer la vraie version.
Est-ce que le bilan sur le nombre de victimes a évolué ?
Jusqu'à preuve du contraire, ce sur quoi je suis informé, nous avons signé au départ des réquisitions aux fins d'inhumer pour cinq personnes. Ils nous ont dit d'abord dans un premier temps que c'est quatre personnes qui sont décédées, dont les corps sont déposés à l'hôpital général de référence nationale. Alors j'ai appelé le 8ème substitut parce que je me trouvais sur les lieux de l'accident. J'ai dit au 8ème substitut de me préparer quatre réquisitions aux fins d'inhumer. Il les a préparés, signés.
Je lui ai intimé l'ordre de les apporter à l'hôpital général de référence nationale, afin de remettre aux parents des victimes pour leur permettre de retirer les corps pour procéder à l'inhumation. C'était un vendredi. Par la suite, étant sur les lieux, on m'informe que non, il ne s'agit pas de quatre cas de décès mais plutôt cinq. Je l'ai rappelé pour qu'il prépare une cinquième réquisition aux fins d'inhumer. Il a pris les cinq réquisitions, il est allé sur les lieux à l'hôpital. Quand il est arrivé à l'hôpital, il a trouvé qu'en réalité, c'est quatre personnes qui sont décédées. On a procédé à la remise des quatre réquisitions aux fins d'inhumer.
S'agissant de la cinquième réquisition, on l'a gardé avec nous puisque les quatre sont à l'hôpital général de référence, mais il y avait deux personnes qui sont hospitalisées à la base militaire. On nous disait que l'une d'entre elles avait la jambe amputée. L'autre c'est des blessures simples. On départ on nous a dit qu'au niveau de la base, il y a un garçon qui est décédé. Par la suite, on nous a fait savoir qu'il n'est pas décédé, il est en vie mais il a la jambe amputée. Jusqu'à preuve du contraire, on ne m'a pas informé d'un décès survenu à la base militaire.
Donc on s'en tient aux quatre...
Oui, on s'en tient aux quatre puisqu’on n’a pas remis une cinquième réquisition. A moins qu'il y ait un cinquième décès et que le parquet n'a pas été associé pour remettre des réquisitions pour retirer le corps.
Propos recueillis par Djimet Wiche.
Youssouf Tom : Il est vrai qu'en date du 14 avril, nous avons reçu 58 hommes qui ont été arrêtés suite aux évènements survenus au Lac Tchad dans la guerre contre Boko Haram. Nous avons cherché un local adéquat, sécurisé pour les garder afin de démarrer l'enquête judiciaire. C'est pour cette raison que de l'armée nous les avons reçus et les démarches faites nous ont conduit à trouver ce grand local de la légion de gendarmerie pour les déposer. C'était mardi. Ils y ont passé la nuit. Le lendemain matin, je me suis déplacé en personne pour aller voir leurs conditions de détention. J'ai échangé avec eux, j'espère que ceux qui sont en vie peuvent témoigner.
Au départ, j'ai d'abord commencé à m'exprimer avec eux en anglais parce que je pensais qu'étant membres de Boko Haram, c'est des gens qui ont quitté le Nigeria voisin et qui parlent l'anglais. Par la suite, quelques-uns m'ont fait savoir qu'eux ne parlent pas l'anglais, ne comprennent pas ce que je dis, mais parlent plutôt un dialecte de la localité du Lac Tchad et l'arabe tchadien. Pour cette raison, nous avons conversé, et je me suis séparé d'eux pour aller rendre compte à ma hiérarchie.
Le jeudi, la cellule antiterroriste devait commencer les investigations. Mais malheureusement, ce même jeudi, arrivé au bureau le matin comme aujourd'hui, on m'appelle au téléphone pour me signifier qu'il y a un drame dans les locaux de détention des 58 présumés membres de Boko Haram. Quel drame ? On me dit que 44 d'entre eux ont rendu l'âme la nuit. C'est vraiment abracadabrant. Nous étions tous estomaqués, tombés des nues. Ça m’a obligé à quitter mon bureau pour me déplacer dans les locaux de la légion n°10 de gendarmerie où ils sont détenus.
J'ai appelé les autorités médicales et la mairie afin qu'ils viennent avec les services sanitaires pour aussi désinfecter les lieux. Avec tout ce monde, on s'est retrouvé là-bas. Nous avons fait le décompte, on a trouvé qu'effectivement, 44 des 58 prisonniers ont été rappelés à Dieu, dans des circonstances que nous ignorons. Devant cet état de fait qui est extraordinaire, quiconque le trouvera, nous avons automatiquement décidé d'ouvrir une enquête judiciaire pour déterminer les causes de cette mort massive des détenus dans leur violon. Mais, comme les corps entraient en putréfaction, nous ne pouvions les conserver. Avec les services sanitaires de la mairie et les autorités, nous avons décidé de procéder à l'inhumation des 40 corps. Le médecin légiste que nous avons appelé a décidé de prendre en échantillon quatre corps pour son autopsie.
Que révèle l'autopsie ?
L'autopsie dont j'ai vu le résultat avant-hier nous a révélé qu'il y a des substances ionisantes. Là aussi, c'est le résultat d'un médecin et jusque-là, il est entrain de continuer les examens (...) Pour certains, les poumons sont carrément carbonisés. Maintenant, est-ce que c'est ça qui est la cause exacte ? Ça demeure encore dans le secret de Dieu, moi je ne suis pas un médecin, je suis un juriste. Je ne peux pas dire que c'est exactement ça, ou ce n'est pas ça. Mais le résultat que nous avons, c'est celui-là. Jusqu'à preuve du contraire, n'étant pas dans le secret de Dieu, je m'en tiens à ce résultat.
Donc il n'y a pas une évolution par rapport à l'enquête ? La société civile dit que les prisonniers ont été affamés et assoiffés pendant trois jours, ce qui serait à l'origine de leur mort.
Je ne pense pas. Ils détiennent ces informations de qui ? D'où ? Parce que trois jours, ils n'ont pas mangé, trois jours, ils les ont assoiffés (...) Je pense que nous sommes tous des êtres humains et quand un être humain disparait même, fut-il ton ennemi, je pense que ça doit rappeler ta conscience.
Comment ont-ils reçu en prison une substance toxique de sorte à ce qu'un grand nombre puisse en consommer en même temps et mourir ensuite ? Comment peut-on expliquer cela ?
Seul l'enquête pourra le déterminer. Je ne peux pas mettre la charrue devant les bœufs. Si je vous disait que ça été fait de telle sorte, c'est que c'est déjà le résultat. Or l'enquête continue encore.
Donc il n'y a pas une évolution par rapport à l'enquête ?
Mais l'enquête continue. L'enquête continue. J'ai écouté les défenseurs des droits de l'Homme. Les prisonniers restants, les 14, eux-mêmes vous dirons qu'on les a amenés d'abord au niveau de l'armée, on leur a égorgé un mouton, on leur a donné à manger. De là-bas, on m'a appelé, on les a pris, on les a déplacés ici.
Ici, ils n'ont même pas encore fait trois jours, comment a-t-on pu ne pas les sevrer pendant trois jours ? Laissons l'enquête continuer au lieu de faire des spéculations. Chacun c'est son droit, c'est un débat, ça interpelle tout le monde, mais on ne peut pas affirmer. Tout est dubitatif.
Monsieur le procureur, les 14 qui sont encore en vie, est-ce que vous avez procédé à des examens pour qu'on ne tombe pas dans le même cas ?
Les 14, il y a un d'entre eux qui était malade. On l'a conduit à l'hôpital, il a été soigné, il a déjà recouvré sa santé. On l'a réintégré. C'est le plus jeune. C'est un mineur, il a 16 ans. Ils sont quand même bien portants. Ils ont passé des jours dans la brousse, ils ne sont pas corpulents comme vous et moi.
Un obus est tombé accidentellement au domicile du commandant 1er adjoint de la garde présidentielle. Où en est-on avec l'enquête ? Est-ce que c'est un obus qui serait sorti d'un Soukhoï ? Ou en sommes nous ? Est-ce qu'on peut en savoir plus ?
Là aussi je vous dirais que l'enquête est en train de se poursuivre. Comme je vous l'avais dit, les informations que nous avons reçues premièrement nous ont révélé que l'obus est sorti accidentellement. Il y a trois versions. Une version qui dit que l'obus est sorti, c'est tombé d'abord à l'aéroport, à côté d'une citerne, ça a causé un incendie, et que c'est maintenant un éclat de l'obus qui est sorti pour aller tomber dans le domicile du général. Ça c'est une version.
L'autre version c'est que l'obus est sorti d'un Soukhoï de l'armée tchadienne. Une troisième version, c'est sorti d'un avion de l'armée française. Il y a une équipe mixte qui est en train de mener les investigations. Elle n'a pas encore rendu son rapport.
Pourtant l'ambassade de France au Tchad dit que c'est une roquette qui est sortie d'un avion de l'armée tchadienne. L'ambassade a fait un communiqué attribuant la sortie de la roquette à l'armée tchadienne.
Je ne peux pas dire (...) du moment où l'on a confié le travail à une équipe mixte qui est en train de mener des investigations, ça c'est leur version. J'ai énuméré trois versions. Donc je ne sais pas laquelle des versions est vrai. Seule l'enquête va nous déterminer la vraie version.
Est-ce que le bilan sur le nombre de victimes a évolué ?
Jusqu'à preuve du contraire, ce sur quoi je suis informé, nous avons signé au départ des réquisitions aux fins d'inhumer pour cinq personnes. Ils nous ont dit d'abord dans un premier temps que c'est quatre personnes qui sont décédées, dont les corps sont déposés à l'hôpital général de référence nationale. Alors j'ai appelé le 8ème substitut parce que je me trouvais sur les lieux de l'accident. J'ai dit au 8ème substitut de me préparer quatre réquisitions aux fins d'inhumer. Il les a préparés, signés.
Je lui ai intimé l'ordre de les apporter à l'hôpital général de référence nationale, afin de remettre aux parents des victimes pour leur permettre de retirer les corps pour procéder à l'inhumation. C'était un vendredi. Par la suite, étant sur les lieux, on m'informe que non, il ne s'agit pas de quatre cas de décès mais plutôt cinq. Je l'ai rappelé pour qu'il prépare une cinquième réquisition aux fins d'inhumer. Il a pris les cinq réquisitions, il est allé sur les lieux à l'hôpital. Quand il est arrivé à l'hôpital, il a trouvé qu'en réalité, c'est quatre personnes qui sont décédées. On a procédé à la remise des quatre réquisitions aux fins d'inhumer.
S'agissant de la cinquième réquisition, on l'a gardé avec nous puisque les quatre sont à l'hôpital général de référence, mais il y avait deux personnes qui sont hospitalisées à la base militaire. On nous disait que l'une d'entre elles avait la jambe amputée. L'autre c'est des blessures simples. On départ on nous a dit qu'au niveau de la base, il y a un garçon qui est décédé. Par la suite, on nous a fait savoir qu'il n'est pas décédé, il est en vie mais il a la jambe amputée. Jusqu'à preuve du contraire, on ne m'a pas informé d'un décès survenu à la base militaire.
Donc on s'en tient aux quatre...
Oui, on s'en tient aux quatre puisqu’on n’a pas remis une cinquième réquisition. A moins qu'il y ait un cinquième décès et que le parquet n'a pas été associé pour remettre des réquisitions pour retirer le corps.
Propos recueillis par Djimet Wiche.