Le Dialogue national inclusif et souverain qui s’est ouvert entre Tchadiens le 20 août revêt une singularité que n’ont pas eue nos précédentes assises nationales, et à plusieurs égards. D’une part, il intervient après une vacance soudaine et tragique du pouvoir suprême (le décès en avril 2021 du président Idriss Deby Itno), d’autre part il aura été précédé par un pré-dialogue entre les politico-militaires et les autorités de la transition à Doha au Qatar. Ces pourparlers ont duré cinq mois et se sont soldés par la signature d'un accord le 8 août 2022.
Depuis son indépendance le 11 août 1960, le Tchad patauge dans une vallée de larmes et de sang, parce que le dialogue des armes a toujours prévalu sur le dialogue des esprits et de la raison entre Tchadiens. C'est pourquoi il est indispensable, afin que le Tchad s’installe durablement dans la paix, de bannir de notre espace politique le langage des armes. Les précédentes assises nationales que le pays a organisées, notamment la Conférence nationale souveraine, ont occulté cette dramatique réalité.
C’est en partie la raison pour laquelle nous nous sommes installés dans un « éternel retour » du tragique. Quelle que soit l’issue de notre grande palabre familiale prochaine, nous aurons au moins eu le mérite d’avoir fait le bon diagnostic.
Mais qu’en sera-t-il donc de la thérapie ? C’est à ce tournant que se trouvent dès à présent les Tchadiens, aussi bien les acteurs politiques, que ceux de la société civile et les politico-militaires. Comme on le dit trivialement, pour dialoguer il faut non seulement être deux, en outre chacune des parties doit être portée par le vœu sincère de trouver un terrain d’entente qui mettra un terme au différend qui les oppose. Or, depuis que notre pays existe en tant qu'Etat, nous avons toujours fait prévaloir les ambitions personnelles, les calculs politiciens ou tacticiens au détriment de l’intérêt général.
C’est le constat que j'ai fait d’ailleurs fort opportunément dans mon récent ouvrage, Essai sur la Refondation du Tchad. Dans un chapitre intitulé Bâtir entre Tchadiens un véritable contrat social gage de réconciliation nationale, j'ai rappelé que: « L’une des raisons, et non des moindres, des nombreuses crises que le Tchad a connues depuis 1960, c’est l’absence de consensus entre les Tchadiens sur un modèle de société librement choisi par ses filles et ses fils, en fonction de leurs réalités socio-anthropologiques propres, de leur histoire commune, mais surtout d’une vision propre et autocentrée de leur pays dans le concert des nations. Les Tchadiens ont hérité d’un ordre institutionnel, d’un mode de régulation des rapports sociaux et d’un découpage territorial qui ont pour unique vocation de servir les intérêts de la puissance coloniale métropolitaine » [1].
Il est donc évident que les seuls moyens matériels ou la présence de toutes les composantes de la société tchadienne ne sont pas les seuls préalables au moyen desquels nous fumons le calumet de la paix. Certes, nous ne perdons pas de vue leur importance. Nous estimons au demeurant, dans la droite ligne de la philosophie de l’UNESCO que les guerres naissent dans l’esprit des hommes tout autant que la paix.
Nous devons reconnaître que l’armée a une importante partition à jouer dans cette symphonie que nous sommes en train de bâtir. S’il faut saluer la bravoure, le patriotisme, voire l’intrépidité de nos forces de défense et de sécurité sur les théâtres d’opérations extérieurs, nous devons reconnaître une fois de plus que c’est l’un de nos grands chantiers dont la réussite conditionne notre cohésion nationale, notre stabilité et notre prospérité futures : « L’armée demeure l’un des plus grands chantiers des prochaines années dans notre pays. Notre armée demeure encore en partie à l’image de ce qu’elle a été depuis 1975, à savoir le reflet d’une rébellion, d’une faction armée qui était parvenue à s’emparer du pouvoir d’État au détriment d’une autre…. Nous mettrons encore plus en danger notre sécurité collective si notre armée n’engage pas sa mue pour devenir au fil des ans, un corps d’excellence au sein duquel la promotion par le mérite sera la règle.
Dans le même registre, il est important qu’au-delà même de l’armée, une action forte soit portée sur la formation civique de nos forces de défense et de sécurité » [2].
Il est donc de la plus haute importance que les participants au prochain Dialogue national inclusif et souverain de N’Djamena aient présents à l’esprit ces incontournables prolégomènes, pour nous permettre ce pléonasme.
Au demeurant, la récente actualité politique n’est pas sans susciter en nous autant de perplexité que d’interrogations. Durant cinq mois, les Tchadiens de l’intérieur comme de l’extérieur, nos partenaires étrangers, voire le monde entier, ont été tenus en haleine dans l’attente de la fumée blanche qui nous est venue de Doha au Qatar. La montagne n’a pas accouché d’une souris. Toutefois, la refondation du Tchad que nous appelons de tous nos vœux devra être le chantier de tous les Tchadiens, auquel chacune de ses filles, chacun de ses fils devra apporter son indispensable pierre à notre édifice à tous.
Nous n’en sommes pas encore à déchanter. En effet, nous pouvons déjà mettre au crédit des formations politico-militaires qui ont participé à la grande palabre africaine de Doha, la volonté de ne pas avoir opté pour la politique de la chaise vide.
Sans nous prévaloir d’un optimisme candide, nous relevons que le porte-parole des mouvements qui n’ont pas apposé leur signature au bas de cet accord laisse la porte ouverte au dialogue. Il subsiste donc une lueur d’espoir avant la fin du Dialogue national inclusif et souverain de voir tous les acteurs qui ont participé au pré-dialogue de Doha, rejoindre l’ensemble des Tchadiens afin qu’ensemble, nous soyons tous, sans exclusive, les architectes du Tchad de nos rêves et de nos légitimes espoirs.
C’est ensemble que nous foulerons la terre promise, c’est aussi ensemble que nous sombrerons car, nous sommes embarqués « dans le même bateau », s’il nous est permis fort opportunément, au regard de l’histoire de notre pays et des défis qui s’imposent à notre maison commune, de faire le présent emprunt au philosophe allemand Peter Sloterdijk [3].
[1] Eric Mocnga Topona, Essai sur la Refondation du Tchad, Harmattan, P.67
[2] Eric Mocnga Topona, Essai sur la Refondation du Tchad, Harmattan, 2021, PP. 146-147
[3] Peter Sloterdijk, Dans le même Bateau, Gallimard, 2003
Depuis son indépendance le 11 août 1960, le Tchad patauge dans une vallée de larmes et de sang, parce que le dialogue des armes a toujours prévalu sur le dialogue des esprits et de la raison entre Tchadiens. C'est pourquoi il est indispensable, afin que le Tchad s’installe durablement dans la paix, de bannir de notre espace politique le langage des armes. Les précédentes assises nationales que le pays a organisées, notamment la Conférence nationale souveraine, ont occulté cette dramatique réalité.
C’est en partie la raison pour laquelle nous nous sommes installés dans un « éternel retour » du tragique. Quelle que soit l’issue de notre grande palabre familiale prochaine, nous aurons au moins eu le mérite d’avoir fait le bon diagnostic.
Mais qu’en sera-t-il donc de la thérapie ? C’est à ce tournant que se trouvent dès à présent les Tchadiens, aussi bien les acteurs politiques, que ceux de la société civile et les politico-militaires. Comme on le dit trivialement, pour dialoguer il faut non seulement être deux, en outre chacune des parties doit être portée par le vœu sincère de trouver un terrain d’entente qui mettra un terme au différend qui les oppose. Or, depuis que notre pays existe en tant qu'Etat, nous avons toujours fait prévaloir les ambitions personnelles, les calculs politiciens ou tacticiens au détriment de l’intérêt général.
C’est le constat que j'ai fait d’ailleurs fort opportunément dans mon récent ouvrage, Essai sur la Refondation du Tchad. Dans un chapitre intitulé Bâtir entre Tchadiens un véritable contrat social gage de réconciliation nationale, j'ai rappelé que: « L’une des raisons, et non des moindres, des nombreuses crises que le Tchad a connues depuis 1960, c’est l’absence de consensus entre les Tchadiens sur un modèle de société librement choisi par ses filles et ses fils, en fonction de leurs réalités socio-anthropologiques propres, de leur histoire commune, mais surtout d’une vision propre et autocentrée de leur pays dans le concert des nations. Les Tchadiens ont hérité d’un ordre institutionnel, d’un mode de régulation des rapports sociaux et d’un découpage territorial qui ont pour unique vocation de servir les intérêts de la puissance coloniale métropolitaine » [1].
Il est donc évident que les seuls moyens matériels ou la présence de toutes les composantes de la société tchadienne ne sont pas les seuls préalables au moyen desquels nous fumons le calumet de la paix. Certes, nous ne perdons pas de vue leur importance. Nous estimons au demeurant, dans la droite ligne de la philosophie de l’UNESCO que les guerres naissent dans l’esprit des hommes tout autant que la paix.
Nous devons reconnaître que l’armée a une importante partition à jouer dans cette symphonie que nous sommes en train de bâtir. S’il faut saluer la bravoure, le patriotisme, voire l’intrépidité de nos forces de défense et de sécurité sur les théâtres d’opérations extérieurs, nous devons reconnaître une fois de plus que c’est l’un de nos grands chantiers dont la réussite conditionne notre cohésion nationale, notre stabilité et notre prospérité futures : « L’armée demeure l’un des plus grands chantiers des prochaines années dans notre pays. Notre armée demeure encore en partie à l’image de ce qu’elle a été depuis 1975, à savoir le reflet d’une rébellion, d’une faction armée qui était parvenue à s’emparer du pouvoir d’État au détriment d’une autre…. Nous mettrons encore plus en danger notre sécurité collective si notre armée n’engage pas sa mue pour devenir au fil des ans, un corps d’excellence au sein duquel la promotion par le mérite sera la règle.
Dans le même registre, il est important qu’au-delà même de l’armée, une action forte soit portée sur la formation civique de nos forces de défense et de sécurité » [2].
Il est donc de la plus haute importance que les participants au prochain Dialogue national inclusif et souverain de N’Djamena aient présents à l’esprit ces incontournables prolégomènes, pour nous permettre ce pléonasme.
Au demeurant, la récente actualité politique n’est pas sans susciter en nous autant de perplexité que d’interrogations. Durant cinq mois, les Tchadiens de l’intérieur comme de l’extérieur, nos partenaires étrangers, voire le monde entier, ont été tenus en haleine dans l’attente de la fumée blanche qui nous est venue de Doha au Qatar. La montagne n’a pas accouché d’une souris. Toutefois, la refondation du Tchad que nous appelons de tous nos vœux devra être le chantier de tous les Tchadiens, auquel chacune de ses filles, chacun de ses fils devra apporter son indispensable pierre à notre édifice à tous.
Nous n’en sommes pas encore à déchanter. En effet, nous pouvons déjà mettre au crédit des formations politico-militaires qui ont participé à la grande palabre africaine de Doha, la volonté de ne pas avoir opté pour la politique de la chaise vide.
Sans nous prévaloir d’un optimisme candide, nous relevons que le porte-parole des mouvements qui n’ont pas apposé leur signature au bas de cet accord laisse la porte ouverte au dialogue. Il subsiste donc une lueur d’espoir avant la fin du Dialogue national inclusif et souverain de voir tous les acteurs qui ont participé au pré-dialogue de Doha, rejoindre l’ensemble des Tchadiens afin qu’ensemble, nous soyons tous, sans exclusive, les architectes du Tchad de nos rêves et de nos légitimes espoirs.
C’est ensemble que nous foulerons la terre promise, c’est aussi ensemble que nous sombrerons car, nous sommes embarqués « dans le même bateau », s’il nous est permis fort opportunément, au regard de l’histoire de notre pays et des défis qui s’imposent à notre maison commune, de faire le présent emprunt au philosophe allemand Peter Sloterdijk [3].
[1] Eric Mocnga Topona, Essai sur la Refondation du Tchad, Harmattan, P.67
[2] Eric Mocnga Topona, Essai sur la Refondation du Tchad, Harmattan, 2021, PP. 146-147
[3] Peter Sloterdijk, Dans le même Bateau, Gallimard, 2003