Depuis le temps de Frantz Fanon jusqu’à présent, la situation n’a guère changé, malheureusement, pour les Noirs, et particulièrement pour ceux d’Afrique. Lesquels demeurent toujours, comme l’écrivait le célèbre médecin psychiatre martiniquais, des « damnés de la terre ». Avant-hier, les fers de l’esclavage leur étaient réservés et ils étaient traités comme des animaux, voire chosifiés, et leur humanité niée. Plus tard, ils ont été colonisés, « indigénisés », traités en sous-hommes, les richesses de leurs pays pillées. Par les armes, par le fer et par le feu, ils ont été colonisés par les armées occidentales ayant dans leur sillage les « missionnaires » pour les convertir au christianisme et sauver leurs âmes. Bien avant cela, la plupart d’entre eux avaient été islamisés par le sabre s’ils n’étaient réduits en esclavage par les Arabes. Lesquels étaient également soucieux de sauver — décidément ! — leurs âmes pécheresses.
Aujourd’hui, en plein 21ème siècle, ce ne sont que les formes de cet esclavage et de cette colonisation qui ont changé. Aux armées européennes d’antan — qui interviennent toujours mais sous couvert d’opérations onusiennes ou d’accords de défense bilatéraux — se sont substitués les institutions de Bretton Woods et, surtout, les Ong, particulièrement celles dites de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch. Et si aujourd’hui, comme au bon vieux temps, on ne déporte plus les dirigeants africains indociles et insoumis dans quelques iles lointaines ou des destinations exotiques — cas du Roi Mohamed V du Maroc ou du marabout Cheikh Ahmadou Bamba exilés respectivement à Madagascar et au Gabon —, on les livre à la « justice » internationale, autre nom des bagnes d’antan ! Dans ce dessein, une Cour pénale « Internationale » a été créée à La Haye, aux Pays Bas, où ne sont détenus que des Africains ! Parmi ceux-là, le plus illustre est sans doute l’ancien chef de l’Etat ivoirien, M. Laurent Gbagbo, emprisonné pour avoir contesté un peu violemment les résultats de l’élection présidentielle de 2010 dans son pays. Et ce après que l’aviation française eut bombardé son palais. Il a retrouvé dans la prison de Scheveningen, aux Pays Bas, un ancien chef d’Etat africain, Le Libérien Charles Taylor, condamné, lui, par le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, sous l’accusation d’avoir soutenu les rebelles du RUF (Front révolutionnaire uni) du défunt caporal Foday Sankoh, qui ont mis ce dernier pays à feu et à sang. D’autres Africains noirs encore sont détenus dans cette même prison où ils ont été envoyés par la Cour pénale « internationale » (on devrait dire africaine !) Parmi ceux-là, le Congolais Thomas Lubanga. La même Cour a même poussé l’outrecuidance jusqu’à inculper deux chefs d’Etat africains en activité, le Soudanais Omar El Bachir (le seul qui ne soit pas un Nègre puisque lui, c’est un Arabe) et le Kenya Uhuru Kenyatta — ainsi que le vice-président kenyan William Ruto. Contre Bachir, d’ailleurs, un mandat d’arrêt a été lancé par la CPI que la plupart des pays africains refusent d’exécuter. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que Charles Blé Goudé, leleader des « jeunes patriotes » ivoiriens, partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo, également ex-ministre de la Jeunesse de son pays, a été lui aussi transféré à la prison de la CPI aux Pays Bas. Indépendamment du fait qu’aucune autre personne d’aucune autre région du monde, en dehors donc de l’Afrique noire, n’est poursuivie, a fortiori emprisonnée, par la CPI, cette Cour a décidément les poursuites, pour ne pas dire l’indignation, sélectives. Comme si les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et les génocides n’étaient commis que par ces Nègres d’Afrique Sub-saharienne ! Et dans cette région du monde seulement. Le fait qu’une négresse de service ait été nommée comme procureure de cette juridiction ne change rien à l’affaire, évidemment. En effet, même dans un même pays d’Afrique noire (et non ailleurs, évidemment), elle ne s’intéresse qu’aux présumés coupables — car ils ne sauraient bénéficier de la présomption d’innocence — d’un seul camp. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire où une guerre civile a fait rage pendant 10 ans à la suite du coup d’Etat manqué de 2002 contre le président Laurent Gbagbo. Qui dit guerre dit, bien sûr, deux camps qui s’affrontent. Et dans le cas d’espèce, des massacres à grande échelle ont été commis en Eburnie, et pas seulement sur les bords de la lagune Ebrié mais aussi partout ailleurs dans le pays, notamment dans la partie occupée par la rébellion du Front Nord. Une partie mise sous coupe réglée par des seigneurs de la guerre et commandants d’opérette qui ont tué, pillé et violé. Des « comzones » qui, en toute bonne justice, auraient dû eux aussi répondre de leurs crimes devant la CPI si cette justice était équitable. Au lieu de quoi, ils trônent aujourd’hui au pouvoir à Abidjan sans être inquiétés. Mieux, ils ont même pris du galon, eux dont la plupart étaient des sous-officiers, caporaux et sergents notamment, de l’armée ivoirienne avant la guerre civile, et qui se retrouvent promus officiers supérieurs voire généraux en récompense de leurs exactions sur les populations civiles ! Mieux, le chef politique de cette rébellion, M. Guillaume Soro, est même aujourd’hui le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, autrement dit, le deuxième personnage de l’Etat ! Pendant ce temps, deux responsables du camp des vaincus de la présidentielle de 2010, le président Gbagbo et M. Charles Blé Goudé, sont,eux,détenus aux Pays Bas. La CPI réclame en plus que lui soit livrée l’ex-Première dame ivoirienne, Mme Simonne Gbagbo ! Ce qui ferait trois responsables du seul camp des vaincus de la présidentielle de 2007. Pendant ce temps, encore une fois, les « comzones » de l’ex-rébellion du Front national, eux, bénéficient de l’impunité totale. Vous parlez d’une justice ! Et pourtant, le symbole de cette justice est symbolisé par une balance dont le fléau doit se trouver au milieu pour justifier son équité. Hélas, celui de la balance de la CPI est singulièrement — pour ne pas dire scandaleusement — penché d’un côté. Celui des Blancs au détriment des Africains, en particulier des Nègres et des plus faibles. Et dire que les chefs d’Etat africains ont peur de rompre avec cette « justice » discriminatoire et raciste ! La CPI qui exerce ce que nous appelions dans ces mêmes colonnes il y a quelques années, une « justice Ku Klux Klan ».
Côté racisme, ce n’est guère mieux du côté de la justice française. En effet, depuis des années, des plaintes y sont instruites à la requête d’obscures associations pour traquer des biens dits mal acquis. Le problème c’est que ces plaintes ne visent que des chefs d’Etat africains noirs ! Elles concernaient dans un premier temps le défunt président gabonais Omar Bongo Ondimba mais aussi ses homologues congolais, Denis Sassou Nguesso, et équato-guinéen Téodoro Obiang Nguéma. Lesquels sont accusés d’avoir volé les biens de leurs peuples pour acheter de somptueuses propriétés immobilières ainsi que des véhicules de luxe en France, un pays qui, si les faits étaient avérés, pourrait pour le moins être poursuivi pour recel ! Et pour cause, quand nos dirigeants volent, c’est à Marianne qu’ils vont planquer leur magot. Toujours est-il que ces associations qui prétendent ne vouloir que le bien — au point de songer à récupérer nos biens volés — des peuples africains, ne disent rien de ces potentats du Golfe qui ont acheté tout Paris. Ils ne s’interrogent évidemment pas — ça ne se fait pas ! — sur l’origine de la fortune que ces princes arabes dépensent sans compter en France. S’ils achètent tout ce qui se vend à Marianne, leur fortune ne peut être que licite. Bien sûr ! Tandis que des Nègres qui prétendent acquérir des biens sur les rives de la Seine, ça ne peut être que suspect et l’argent qu’ils utilisent pour ces transactions obtenu de façon malhonnête. Là également, la justice française ne se soucie guère de maintenir en équilibre les plateaux de sa balance.Pas plus tard que la semaine dernière, elle a de nouveau inculpé le fils du président équato-guinéen. Lequel a commis le crime d’être Nègre et riche. Et ce même si, tout comme son papa, il est évident qu’il a lui aussi profité des revenus pétroliers de son pays. Au même titre que les princes arabes qui écument la France !
La France dont la justice n’est pas la seule à pencher d’un seul côté malheureusement puisque notre pays aussi a réussi l’exploit de mettre en place des chambres africaines extraordinaires qui n’instruisent qu’à charge dans le dossier des faits présumés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité et autres actes de torture. Et encore contre une seule partie, c’est-à-dire le malheureux président Hissène Habré. En effet, curieusement, l’ancien
patron de tous les services de sécurité tchadiens du temps où ce dernier dirigeait le pays, et qui lui a succédé à la tête de l’Etat lorsqu’il a été chassé, M. Idriss Déby Itno, est curieusement épargné par les poursuites en cours. Mieux, c’est lui-même qui a débloqué les deux milliards de francs qui servent à l’organisation du procès de son adversaire ! Qui paye commande, c’est bien connu, et puisque c’est Déby qui paye et qui régale, nos magistrats n’auront pas le mauvais goût de refuser d’exécuter les volontés de la main qui les nourrit, c’est-à-dire celle du dictateur Déby. Et la principale de ces volontés, c’est, bien sûr, la condamnation du président Habré. A la peine de mort de préférence.
Et l’on viendra après tous ces exemples éloquents, qui sont autant de manifestations de déni de justice et de partialité — et dont les Nègres d’Afrique, éternels damnés de la terre, sont les seules victimes, hélas ! — nous parler de « justice » internationale et de lutte contre l’impunité ! Mais de qui se moque-t-on donc ?
Mamadou Oumar NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin » N° 1158 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2014)