Œil d’Afrique : Quelle image l’acteur politique que vous êtes a-t-il de la CENI ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Forcément une image négative, donc contre-productrice. Les multiples défaillances dont a fait l’objet la CENI, dans sa composition et son fonctionnement depuis mars 2011, ont décrédibilisé les institutions de la République Démocratique du Congo et amplifié l’illégitimité des acteurs politiques.
Ce calamiteux constat n’a même pas poussé le gouvernement à tirer les leçons pour pallier les innombrables difficultés qu’a rencontrées cette institution. Le remplacement de l’actuel Président, en l’occurrence Corneille Nangaa, n’est pas suffisant pour résoudre les questions qui sont restées en suspens.
Que faire, alors ?
Plutôt que de persister dans l’erreur, il vaudrait mieux réfléchir au statut et au nouveau rôle de la CENI. Pour parvenir à son indépendance et sa performante, il faudra une innovation en profondeur de ses missions, sa direction, son conseil d’administration, ses domaines de compétence, son personnel...
Définition de la mission de la CENI
Quelles missions faudra-t-il, à votre avis, confier à la CENI ?
L’autonomie de la CENI permettra sans conteste son impartialité. Sa crédibilité dépendra, entre autres, de son efficacité. Il faudra lui assigner six missions essentielles en vue de la délimitation des circonscriptions électorales, de l’établissement des listes électorales, de la définition du calendrier électoral, de l’admission des candidatures aux élections, de l’organisation des scrutins et, enfin, de la publication des résultats des élections.
La CENI doit donc être réformée et consolidée par une loi qui, par rapport au processus électoral, définira son champ d’action et ses partenaires institutionnels. Ce partenariat ne devra surtout pas être une sorte de mise sous tutelle.
Quelles institutions, voyez-vous, comme partenaires ?
Je pense notamment aux institutions étatiques. Dans cette optique, pour ne pas altérer son indépendance fonctionnelle, la CENI ne devra dépendre du ministère de l’Intérieur que sur les plans financier et administratif.
La CENI devra surtout fonctionner en toute impartialité. Elle ne doit recevoir aucune instruction, dans l’accomplissement de ses missions. Un contrat d’objectifs et de performance (COP) devra par conséquent être signé entre la CENI, d’une part, et les ministères du Budget et de l’Intérieur, d’autre part, pour une période de trois ans tacitement reconductible.
À part l’aspect financier, comment s’articulera concrètement ce partenariat ?
Le ministère de l’Intérieur devra être représenté au conseil d’administration de la CENI par le responsable des affaires électorales, et aussi le responsable de la modernisation et de l’action territoriale.
Pour ce qui est de la Direction générale du ministère des Affaires étrangères, un service électoral doit être mis en place. Ce département assurera les missions concernant l’élaboration et le suivi des textes en matière d’élection, le suivi de la politique de mise en place des bureaux de vote à l’étranger, l’enregistrement et la transmission des candidatures des Congolais de l’étranger aux scrutins présidentiel et parlementaire. Le ministère des Affaires étrangères doit donc être représenté au conseil d’administration de la CENI par le responsable du service des Congolais de l’étranger.
Comment voyez-vous le fonctionnement proprement dit de la Commission électorale ?
La CENI doit être dotée d’une Direction qui sera assumée par un directeur général, un secrétaire général et un conseil d’administration.
Les décisions relatives aux élections seront rendues au nom du directeur général. Ce dernier déléguera sa signature à des agents qu’il désignera et participera aux séances du conseil d’administration en disposant d’une voix consultative. Il sera suppléé, en cas d’absence ou d’empêchement, par le secrétaire général.
Le conseil d’administration fixera les orientations générales concernant l’activité de la CENI et délibérera sur les modalités de mise en œuvre des dispositions relatives au processus électoral.
Légitimité et compétences
De qui cette direction tirera-t-elle sa légitimité ?
Le directeur général sera nommé par décret du Président de la République, sur proposition conjointe des ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Quant au secrétaire général, il sera nommé par le directeur général, après avis du conseil d’administration de la CENI.
Le président du conseil d’administration sera nommé par le Président de la République. Enfin, le Parlement, les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères nommeront respectivement les autres membres du conseil d’administration.
Le conseil d’administration sera également composé de trois personnalités qualifiées, qui ne disposeront pas de voix délibérative à l’exception des décisions relatives à l’établissement des circonscriptions électorales. Toute personne concernée par l’ordre du jour pourra être conviée à assister aux séances.
Quels seront alors les domaines de compétences de cette CENI réformée ?
La CENI devra entretenir des relations régulières avec les associations qui œuvrent pour la défense du processus électoral et des droits fondamentaux. Ces associations devront être consultées sur l’activité générale et les modifications de procédure. Elles devront aussi être associées aux réflexions au sein des groupes de travail thématiques au travers de réunions, de tables rondes et de colloques.
En tant que premier guichet d’enregistrement de l’inscription sur les listes électorales, les services électoraux des communes et des territoires devront être en charge de l’inscription des électeurs et de l’application des règlements appropriés. Des visites croisées entre les communes et les territoires devront par conséquent être régulièrement organisées.
Votre mot de la fin ?
Le gouvernement doit réformer la CENI en vue d’un nouveau départ. Cela nécessite une innovation qui permettra de garantir la sincérité des scrutins et superviser les listes électorales. Plus explicitement, la CENI doit être chargée de l’application des textes relatifs au processus électoral, à la collecte des résultats électoraux, à la redéfinition des circonscriptions électorales, ainsi qu’à leur publication et transmission au ministère de l’Intérieur.
Elle doit enfin devenir un établissement public administratif doté d’une indépendance fonctionnelle. Placée sous l’autorité administrative du ministère de l’Intérieur, elle doit statuer en toute autonomie sur les résultats électoraux. Cet établissement public doit alors compter deux entités : une entité administrative, la CENI proprement, et une entité juridictionnelle, à savoir une Cour nationale du processus électoral (CNPE).
Entretien réalisé par Roger Musandji
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