Au sommet du G20 qui s’est récemment tenu sur l’île indonésienne de Bali, Emmanuel Macron a évoqué un plan de sortie de crise dans la partie orientale du Congo-Kinshasa. En effet, lors d’une rencontre trilatérale le 21 septembre dernier, le président français s’est entretenu en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies avec ses homologues rwandais et congolais, en l’occurrence Paul Kagame et Félix Tshisekedi. Il a pris langue dans la foulée avec le président kenyan William Ruto, pourvoyeur en chef des militaires de la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) dans l’optique de lutter sur le sol congolais contre les rebelles du M23.
La feuille de route
Le président Macron compte surtout s’appuyer dans sa démarche sur les résolutions du processus de Nairobi, en étroite collaboration avec les Nations Unies, pour permettre le déploiement d’une force à grande composante régionale – le Kenya en étant une à très court terme. Elle s’attend également à la stabilisation de plusieurs villes, en particulier Bunagana, et à la reprise du processus politique entre les parties concernées. Pourquoi, tout à coup, cette volontariste implication d’Emmanuel Macron dans la guerre entre le Rwanda et le Congo-Kinshasa, par l’intermédiaire du M23 ? Un feed-back d’au moins vingt-huit années paraît sans conteste nécessaire pour mieux cerner les véritables motivations qui animent la France.
Le discours de La Baule
Tout discours étant le fruit d’un rapport entre des mots et une situation, le président François Mitterrand, homme politique sensible aux circonstances nouvelles et en mesure d’interpréter dans un court délai les signes du temps, allait enfin saisir l’occasion de surmonter ses contradictions en privilégiant le « neuf » au détriment du « raisonnable ». Le monarque républicain avait plus ou moins manifesté, à un moment donné, le souhait d’un salutaire changement d’orientation dans les rapports entre la France et le continent africain, particulièrement les pays du « pré carré ». Il avait par conséquent évoqué la démocratie, un principe universel qui venait d’apparaître aux peuples d’Europe centrale et orientale comme une évidence absolue, « au point qu’en l’espace de quelques semaines les régimes considérés comme les plus forts ont été bouleversés. Le peuple était dans les rues, sur les places, et le pouvoir ancien, sentant sa fragilité, cessait toute résistance comme s’il était déjà, et depuis longtemps, vidé de substance et qu’il le savait. »
À l’issue du discours de La Baule prononcé le 20 juin 1990 par François Mitterrand, dans le cadre de la 16ème conférence des chefs d’État d’Afrique et de France, le président Habyarimana a annoncé une libéralisation et une démocratisation du régime rwandais. Aussitôt l’adoption en 1991 d’une nouvelle constitution garantissant le multipartisme et les libertés publiques, l’on assisterait à l’infléchissement vis-à-vis des Tutsis et des rebelles. Mais cette politique d’ouverture et de conciliation déplairait aux extrémistes, tels que le Hutu Power. La signature en 1993 des accords d’Arusha dans le but de la cessation de la guerre civile et du partage du pouvoir avec le Front patriotique rwandais (FPR), les jusqu’au-boutistes hutus se sont enfin désolidarisés du président Habyarimana. L’attentat contre l’avion à bord duquel voyageaient le président rwandais et son équivalent burundais Cyprien Ntaryamira, est survenu le 6 avril 1994 à Kigali dans un contexte très tendu entre les caciques hutus et les va-t-en-guerre tutsis.
La réhabilitation de Mobutu
Isolé sur le plan diplomatique par la France, la Belgique et les États-Unis, le président-maréchal zaïrois a fini par accepter l’inacceptable. En effet, pour renouer avec ses soutiens occidentaux, Mobutu Sese Seko a mis à la disposition des troupes françaises les aéroports de Goma et de Kisangani en vue de l’intervention organisée par la France et autorisée par la résolution 9291 du 22 juin 1994 du Conseil de sécurité des Nations Unies lors du génocide des Tutsis au Rwanda. Baptisée « Turquoise », cette opération était présentée comme une initiative humanitaire. En réalité, forte d’un déploiement de plus de 2 500 hommes, elle avait pour mission de mettre fin, éventuellement par la force, aux massacres partout où cela aurait été possible. Mais cette importante intervention militaire n’a pu empêcher l’arrivée massive de millions de réfugiés hutus, parmi lesquels des génocidaires, dans le territoire zaïrois. Leur présence servirait de prétexte à Paul Kagame pour déstabiliser et piller la région du Kivu.
La responsabilité morale
D’après une thèse courante dans la région des Grands Lacs, la France est confrontée à une double culpabilité : le génocide des Tutsis au Rwanda et les néfastes conséquences de l’opération Turquoise à l’origine du massacre de plus d’une quinzaine de millions de Bantouphones – congolais et rwandais – au Congo-Kinshasa. Emmanuel Macron serait-il conscient de cette lourde responsabilité morale, au point de vouloir réparer les torts tant reprochés à François Mitterrand ? Est-il plutôt l’objet du chantage de Paul Kagame, au point de cautionner le pillage et la déstabilisation du Kivu ? Espère-t-il s’affranchir des vieux démons qui hantent la conscience française en matière des Droits de l’Homme ? Suivrait-il le pas de Nicolas Sarkozy qui préconisait l’exploitation des ressources congolaises par le Rwanda ? Est-ce une volonté manifeste de réintégrer par le truchement de la crise congolo-rwandaise la géopolitique régionale, après l’éjection par les Anglo-Saxons ? Il est très difficile, voire trop risqué, de s’acquitter d’une dette de sang par des crimes aux relents fondamentalement de bantoucide. Le contentieux entre la France et le Rwanda ne se solderait jamais aux dépens de la stabilité et de l’indivisibilité du pays de Joseph Kasa Vubu et de Patrice Lumumba.
Bibliographie
- Quelle destinée pour le Congo-Kinshasa, après un si long déclin ?, G-H. Lonsi Koko, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, à paraître en novembre 2022 ;
- Le Congo déstabilisé, pillé, martyrisé…, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, 2020 ;
- Et alors, mon maréchal ?, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, novembre 2021 ;
- La conscience bantoue, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, mai 2021 ;
- Mitterrand l’Africain ?, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, mai 2015.
La feuille de route
Le président Macron compte surtout s’appuyer dans sa démarche sur les résolutions du processus de Nairobi, en étroite collaboration avec les Nations Unies, pour permettre le déploiement d’une force à grande composante régionale – le Kenya en étant une à très court terme. Elle s’attend également à la stabilisation de plusieurs villes, en particulier Bunagana, et à la reprise du processus politique entre les parties concernées. Pourquoi, tout à coup, cette volontariste implication d’Emmanuel Macron dans la guerre entre le Rwanda et le Congo-Kinshasa, par l’intermédiaire du M23 ? Un feed-back d’au moins vingt-huit années paraît sans conteste nécessaire pour mieux cerner les véritables motivations qui animent la France.
Le discours de La Baule
Tout discours étant le fruit d’un rapport entre des mots et une situation, le président François Mitterrand, homme politique sensible aux circonstances nouvelles et en mesure d’interpréter dans un court délai les signes du temps, allait enfin saisir l’occasion de surmonter ses contradictions en privilégiant le « neuf » au détriment du « raisonnable ». Le monarque républicain avait plus ou moins manifesté, à un moment donné, le souhait d’un salutaire changement d’orientation dans les rapports entre la France et le continent africain, particulièrement les pays du « pré carré ». Il avait par conséquent évoqué la démocratie, un principe universel qui venait d’apparaître aux peuples d’Europe centrale et orientale comme une évidence absolue, « au point qu’en l’espace de quelques semaines les régimes considérés comme les plus forts ont été bouleversés. Le peuple était dans les rues, sur les places, et le pouvoir ancien, sentant sa fragilité, cessait toute résistance comme s’il était déjà, et depuis longtemps, vidé de substance et qu’il le savait. »
À l’issue du discours de La Baule prononcé le 20 juin 1990 par François Mitterrand, dans le cadre de la 16ème conférence des chefs d’État d’Afrique et de France, le président Habyarimana a annoncé une libéralisation et une démocratisation du régime rwandais. Aussitôt l’adoption en 1991 d’une nouvelle constitution garantissant le multipartisme et les libertés publiques, l’on assisterait à l’infléchissement vis-à-vis des Tutsis et des rebelles. Mais cette politique d’ouverture et de conciliation déplairait aux extrémistes, tels que le Hutu Power. La signature en 1993 des accords d’Arusha dans le but de la cessation de la guerre civile et du partage du pouvoir avec le Front patriotique rwandais (FPR), les jusqu’au-boutistes hutus se sont enfin désolidarisés du président Habyarimana. L’attentat contre l’avion à bord duquel voyageaient le président rwandais et son équivalent burundais Cyprien Ntaryamira, est survenu le 6 avril 1994 à Kigali dans un contexte très tendu entre les caciques hutus et les va-t-en-guerre tutsis.
La réhabilitation de Mobutu
Isolé sur le plan diplomatique par la France, la Belgique et les États-Unis, le président-maréchal zaïrois a fini par accepter l’inacceptable. En effet, pour renouer avec ses soutiens occidentaux, Mobutu Sese Seko a mis à la disposition des troupes françaises les aéroports de Goma et de Kisangani en vue de l’intervention organisée par la France et autorisée par la résolution 9291 du 22 juin 1994 du Conseil de sécurité des Nations Unies lors du génocide des Tutsis au Rwanda. Baptisée « Turquoise », cette opération était présentée comme une initiative humanitaire. En réalité, forte d’un déploiement de plus de 2 500 hommes, elle avait pour mission de mettre fin, éventuellement par la force, aux massacres partout où cela aurait été possible. Mais cette importante intervention militaire n’a pu empêcher l’arrivée massive de millions de réfugiés hutus, parmi lesquels des génocidaires, dans le territoire zaïrois. Leur présence servirait de prétexte à Paul Kagame pour déstabiliser et piller la région du Kivu.
La responsabilité morale
D’après une thèse courante dans la région des Grands Lacs, la France est confrontée à une double culpabilité : le génocide des Tutsis au Rwanda et les néfastes conséquences de l’opération Turquoise à l’origine du massacre de plus d’une quinzaine de millions de Bantouphones – congolais et rwandais – au Congo-Kinshasa. Emmanuel Macron serait-il conscient de cette lourde responsabilité morale, au point de vouloir réparer les torts tant reprochés à François Mitterrand ? Est-il plutôt l’objet du chantage de Paul Kagame, au point de cautionner le pillage et la déstabilisation du Kivu ? Espère-t-il s’affranchir des vieux démons qui hantent la conscience française en matière des Droits de l’Homme ? Suivrait-il le pas de Nicolas Sarkozy qui préconisait l’exploitation des ressources congolaises par le Rwanda ? Est-ce une volonté manifeste de réintégrer par le truchement de la crise congolo-rwandaise la géopolitique régionale, après l’éjection par les Anglo-Saxons ? Il est très difficile, voire trop risqué, de s’acquitter d’une dette de sang par des crimes aux relents fondamentalement de bantoucide. Le contentieux entre la France et le Rwanda ne se solderait jamais aux dépens de la stabilité et de l’indivisibilité du pays de Joseph Kasa Vubu et de Patrice Lumumba.
Bibliographie
- Quelle destinée pour le Congo-Kinshasa, après un si long déclin ?, G-H. Lonsi Koko, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, à paraître en novembre 2022 ;
- Le Congo déstabilisé, pillé, martyrisé…, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, 2020 ;
- Et alors, mon maréchal ?, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, novembre 2021 ;
- La conscience bantoue, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, mai 2021 ;
- Mitterrand l’Africain ?, G-H. Lonsi Koko, L’Atelier de l’Égrégore, Paris, mai 2015.