© DR
Dans deux arrêts en date du 13 juin 2019, la première chambre civile de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en matière de nationalité par filiation sur le fondement de l’article 30-3 du Code civil.
Les requérants, nés en Inde, avaient tous deux saisi le TGI de Paris d’une action déclaratoire de nationalité française en se prévalant du fait que leur père, né en Inde française, a été déclaré français par jugement. Déboutés, ils interjettent appel.
La Cour d’appel rejette également leur demande sans examiner si le père avait la possession d’état de Français depuis le jugement, solution contre laquelle les requérants se pourvoient en cassation.
Ces derniers soutiennent que l’article 30-3 du Code civil instaure une fin de non-recevoir, c’est-à-dire un « moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond (…) » (article 122 du Code de procédure civile).
La particularité de la fin de non-recevoir est que l’irrecevabilité sera écartée si la situation qui en est à l’origine a été régularisée (article 126 du Code de procédure civile). En l’espèce, la régularisation consisterait à prouver la possession d’état de Français entre le jour du jugement de reconnaissance et le jour où le juge statue sur l’action déclaratoire de nationalité française.
La question qui se posait, en l’espèce, était celle de connaitre la nature de l’interdiction posée par l’article 30-3 du Code civil : s’agit-il, comme le font valoir les requérants, d’une fin de non-recevoir, permettant d’apprécier la possession d’état de Français au jour où le juge statue sur l’action déclaratoire (et donc de tenir compte d’une éventuelle régularisation) ?
L’article 30-3 du Code civil, en débat dans ces affaires, prévoit que :
« Lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français.
Le tribunal devra dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6. »
Autrement dit, ces dispositions prévoient une perte de la nationalité pour l’individu, Français par filiation, et ses ascendants (dont il tient la nationalité française) lorsqu’ils n’ont pas eu de possession d’état de Français et qu’ils ont résidé à l’étranger pendant plus de 50 ans. Cela permet de limiter les cas d’admission à la citoyenneté française lorsqu’un individu et ses ascendants n’ont eu aucune attache avec le territoire français sur une longue période.
Par une lecture a contrario, il faut comprendre que pour être admis à faire la preuve de l’acquisition de la nationalité française par filiation, il est nécessaire de démontrer la possession d’état de Français, et avoir résidé en France avant d’atteindre le 50e anniversaire suivant l’acquisition de la nationalité française (qu’on a acquise soi-même ou qu’on s’est vu transmettre par les ascendants).
Antérieurement à ces arrêts, la Cour de cassation répondait par la positive, en considérant que l’article 30-3 du Code civil instaurait une fin de non-recevoir, que la possession d'état de Français du père ou de la mère du demandeur à l'action déclaratoire de nationalité s’appréciait au jour où le juge statue sur l'action de l’intéressé (Cass. Civ. 1ère, 28 février 2018, n°17-14.239)
Or en l’espèce, la Cour de cassation rejette les pourvois et opère un revirement de jurisprudence, en estimant que l’article 30-3 du Code civil « interdit, dès lors que les conditions qu’il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude ; qu’édictant une règle de preuve, l’obstacle qu’il met à l’administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non- recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile, de sorte qu’aucune régularisation sur le fondement de l’article 126 du même code ne peut intervenir ; que la solution retenue par l’arrêt du 28 février 2018 (…) doit, donc, être abandonnée »
La Cour de cassation, en se plaçant sur le terrain du droit de la preuve, écarte le régime de la fin de non-recevoir et la possibilité de rapporter la preuve de la nationalité française par filiation.
Dans les affaires présentées devant la Cour, ni les requérants ni leurs ascendants ont résidé en France. Ils ne justifient d’aucun élément de possession d’état de Français antérieurement à la date marquant le 50e anniversaire de l’entrée en vigueur du Traité de cession par la France à l’Inde des Etablissements français dans l’Inde. Partant de là, les requérants ont perdu la nationalité française et ne sont donc plus admis à rapporter la preuve de la nationalité française par filiation, peu important que leurs ascendants aient été déclarés français par jugement.
Par Fayçal Megherbi, avocat à la Cour au Barreau de Paris
Email : [email protected]
Site internet : www.faycalmegherbi.com
Les requérants, nés en Inde, avaient tous deux saisi le TGI de Paris d’une action déclaratoire de nationalité française en se prévalant du fait que leur père, né en Inde française, a été déclaré français par jugement. Déboutés, ils interjettent appel.
La Cour d’appel rejette également leur demande sans examiner si le père avait la possession d’état de Français depuis le jugement, solution contre laquelle les requérants se pourvoient en cassation.
Ces derniers soutiennent que l’article 30-3 du Code civil instaure une fin de non-recevoir, c’est-à-dire un « moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond (…) » (article 122 du Code de procédure civile).
La particularité de la fin de non-recevoir est que l’irrecevabilité sera écartée si la situation qui en est à l’origine a été régularisée (article 126 du Code de procédure civile). En l’espèce, la régularisation consisterait à prouver la possession d’état de Français entre le jour du jugement de reconnaissance et le jour où le juge statue sur l’action déclaratoire de nationalité française.
La question qui se posait, en l’espèce, était celle de connaitre la nature de l’interdiction posée par l’article 30-3 du Code civil : s’agit-il, comme le font valoir les requérants, d’une fin de non-recevoir, permettant d’apprécier la possession d’état de Français au jour où le juge statue sur l’action déclaratoire (et donc de tenir compte d’une éventuelle régularisation) ?
L’article 30-3 du Code civil, en débat dans ces affaires, prévoit que :
« Lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français.
Le tribunal devra dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6. »
Autrement dit, ces dispositions prévoient une perte de la nationalité pour l’individu, Français par filiation, et ses ascendants (dont il tient la nationalité française) lorsqu’ils n’ont pas eu de possession d’état de Français et qu’ils ont résidé à l’étranger pendant plus de 50 ans. Cela permet de limiter les cas d’admission à la citoyenneté française lorsqu’un individu et ses ascendants n’ont eu aucune attache avec le territoire français sur une longue période.
Par une lecture a contrario, il faut comprendre que pour être admis à faire la preuve de l’acquisition de la nationalité française par filiation, il est nécessaire de démontrer la possession d’état de Français, et avoir résidé en France avant d’atteindre le 50e anniversaire suivant l’acquisition de la nationalité française (qu’on a acquise soi-même ou qu’on s’est vu transmettre par les ascendants).
Antérieurement à ces arrêts, la Cour de cassation répondait par la positive, en considérant que l’article 30-3 du Code civil instaurait une fin de non-recevoir, que la possession d'état de Français du père ou de la mère du demandeur à l'action déclaratoire de nationalité s’appréciait au jour où le juge statue sur l'action de l’intéressé (Cass. Civ. 1ère, 28 février 2018, n°17-14.239)
Or en l’espèce, la Cour de cassation rejette les pourvois et opère un revirement de jurisprudence, en estimant que l’article 30-3 du Code civil « interdit, dès lors que les conditions qu’il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude ; qu’édictant une règle de preuve, l’obstacle qu’il met à l’administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non- recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile, de sorte qu’aucune régularisation sur le fondement de l’article 126 du même code ne peut intervenir ; que la solution retenue par l’arrêt du 28 février 2018 (…) doit, donc, être abandonnée »
La Cour de cassation, en se plaçant sur le terrain du droit de la preuve, écarte le régime de la fin de non-recevoir et la possibilité de rapporter la preuve de la nationalité française par filiation.
Dans les affaires présentées devant la Cour, ni les requérants ni leurs ascendants ont résidé en France. Ils ne justifient d’aucun élément de possession d’état de Français antérieurement à la date marquant le 50e anniversaire de l’entrée en vigueur du Traité de cession par la France à l’Inde des Etablissements français dans l’Inde. Partant de là, les requérants ont perdu la nationalité française et ne sont donc plus admis à rapporter la preuve de la nationalité française par filiation, peu important que leurs ascendants aient été déclarés français par jugement.
Par Fayçal Megherbi, avocat à la Cour au Barreau de Paris
Email : [email protected]
Site internet : www.faycalmegherbi.com