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Assemblée générale de l’ONU : l’avertissement de la Russie à l’Occident sur les tensions nucléaires


Alwihda Info | Par Dr Florence Akano, journaliste indépendant et humanitaire - 3 Octobre 2024


Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est exprimé samedi dernier devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, prononçant un discours contenant des critiques pointues à l’égard de l’Occident, des condamnations des provocations perçues et des avertissements sévères sur les risques croissants de confrontation nucléaire.


Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, s'adresse au débat général de la 79ème session de l'Assemblée générale. Photo : media.un.org
Le discours de Lavrov, prononcé lors de la 79ème session de l’Assemblée générale des Nations-Unies, fait suite à un changement dans la doctrine nucléaire russe exprimé par le président Vladimir Poutine plus tôt dans la semaine. Lavrov, l’un des diplomates les plus fiables de Poutine, a dressé un sombre tableau de l’escalade des tensions, accusant l’Occident de pousser le monde vers une issue catastrophique.

«Je ne vais pas parler ici de l'absurdité et du danger de l'idée même d'essayer de lutter pour la victoire avec une puissance nucléaire, ce qu'est la Russie», a déclaré Lavrov, d'un ton sombre mais résolu. Ces mots n’étaient pas simplement une posture rhétorique ; ils ont souligné la conviction de la Russie que sa sécurité est de plus en plus menacée à mesure que l'Ukraine et ses alliés occidentaux progressent dans le conflit en cours qui sévit en Europe de l'Est depuis février 2022.

Trois jours avant le discours de Lavrov, Poutine avait indiqué un changement dans la position nucléaire de la Russie, laissant entendre que le seuil d'utilisation des armes nucléaires pourrait être abaissé. Cet ajustement est largement considéré comme une menace voilée pour les pays occidentaux, en particulier les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, qui fournissent une aide militaire à l’Ukraine. Dans son discours, Lavrov a accusé l’Occident d’utiliser l’Ukraine comme un pion dans un jeu géopolitique plus vaste visant à affaiblir et à « vaincre stratégiquement » Moscou.

Le spectre de la guerre nucléaire
La possibilité d’un affrontement nucléaire plane depuis le début du conflit russo-ukrainien. Peu avant de lancer l’invasion, le président Poutine a rappelé au monde le statut de la Russie comme « l’une des nations nucléaires les plus puissantes », mettant peu après ses forces nucléaires en état d’alerte maximale. Au cours des deux années et demie qui ont suivi, la rhétorique de Poutine concernant les armes nucléaires a fluctué, oscillant entre menaces implicites et retenue mesurée. Mercredi dernier, le message de Poutine était clair : si la Russie était attaquée par un pays bénéficiant du soutien d’une puissance nucléaire, elle considérerait cela comme une attaque conjointe.

Ce changement de rhétorique est particulièrement préoccupant alors que les forces ukrainiennes continuent de cibler les territoires russes avec des missiles et des drones. Pendant ce temps, les pays occidentaux, en particulier les États-Unis, continuent de fournir à l’Ukraine des armes de plus en plus sophistiquées, bien qu’ils se soient jusqu’à présent abstenus de fournir les armes à longue portée recherchées par le président Volodymyr Zelensky. L’administration Biden a récemment annoncé une aide militaire supplémentaire de 2,7 milliards de dollars pour l’Ukraine, mais ce plan n’incluait pas le type d’armes à longue portée qui pourraient cibler directement le sol russe, peut-être une décision calculée pour éviter de nouvelles provocations.

S'exprimant lors d'une conférence de presse après son discours à l'ONU, Lavrov, a souligné que la Russie surveillerait de près les décisions des pays occidentaux, notamment en ce qui concerne leur volonté de fournir à l'Ukraine des capacités à longue portée. « Qu’ils autorisent ou non l’Ukraine à acquérir des armes à longue portée, nous verrons alors quelle est leur compréhension de ce qu’ils ont entendu », a-t-il déclaré, laissant une ambiguïté effrayante quant à la réponse potentielle de la Russie.

Rejeter la proposition de paix de l’Ukraine
Lavrov a également rejeté la « formule de paix » du président Zelenskyy, la qualifiant d’« ultimatum voué à l’échec ». Zelensky a réclamé un plan de paix comprenant plusieurs éléments clés : l’expulsion complète des forces russes du territoire ukrainien, la responsabilisation pour les crimes de guerre présumés et la libération des prisonniers de guerre, entre autres conditions. Pour la Russie, ces exigences ne représentent rien de moins qu’une reddition inconditionnelle, et la réponse ironique de Lavrov montre clairement que Moscou ne voit aucune valeur à s’engager dans de telles conditions.

Au lieu de cela, Lavrov a tourné son attention vers une initiative de paix distincte de la Chine et du Brésil, qui propose une conférence de paix impliquant l’Ukraine et la Russie. L’initiative, soutenue par un groupe d’« amis pour la paix » composé principalement de pays africains et latino-américains, vise à mettre fin au conflit sans élargir le champ de bataille, ni intensifier davantage la violence. Lavrov a signalé la volonté de la Russie de soutenir cet effort, mais a souligné que toute proposition de paix doit être fondée sur des « réalités » et non sur des « conversations abstraites ».

«La résolution du conflit dépend de la résolution de ses causes profondes», a déclaré M. Lavrov, soulignant ce qu'il prétend être la suppression par le gouvernement de Kiev des russophones dans l'est de l'Ukraine et l'expansion continue de l'OTAN en Europe de l'Est. Ces arguments ont été au centre des justifications de la Russie pour ses actions en Ukraine, même si Kiev et ses alliés occidentaux les ont systématiquement rejetés.

Une critique plus large de l’Occident
Le discours de Lavrov ne s’est pas limité à la guerre en Ukraine. Il a profité de l’occasion pour lancer une critique plus large de l’ordre international dominé par l’Occident, dénonçant ce qu’il a décrit comme une approche hypocrite de la gouvernance mondiale. Lavrov a fait référence au Sommet de l’Avenir, tenu plus tôt dans la semaine, qui, selon lui, a été rempli d'« événements ambitieux » et de « déclarations bruyantes » qui finiraient par être oubliées, tout comme de nombreuses autres initiatives internationales avant lui.

Il a cité plusieurs exemples historiques pour illustrer son propos, notamment l'invasion de l'Irak par les États-Unis en 2003, l'intervention de l'OTAN en Libye en 2011 et le soutien apporté à la Géorgie lors de son conflit avec la Russie en 2008. Dans chaque cas, Lavrov a fait valoir que les puissances occidentales ont agi d’une manière contraire à leur engagement en faveur de la paix et de la stabilité.

Le ministre russe des Affaires étrangères a également tourné son attention vers le conflit israélo-palestinien en cours, exprimant sa sympathie pour le peuple palestinien, tout en condamnant la récente vague de violence à Gaza comme une « punition collective massive ». Lavrov a appelé à une cessation immédiate des hostilités et à un retour à l'objectif d'établir un État palestinien indépendant. Ses commentaires constituent une réprimande implicite adressée aux États-Unis, qui ont été l’allié fidèle d’Israël tout au long du conflit.

Le discours de Lavrov a abordé de nombreux sujets, notamment la disparité économique entre le Nord et le Sud. Il a accusé les pays occidentaux de ne pas tenir leurs promesses d’aider les pays en développement, soulignant les « promesses creuses » faites lors de divers sommets internationaux pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. Selon Lavrov, l’Occident continue d’exploiter les ressources du Sud tout en ne respectant pas ses engagements en faveur du développement durable.

Lavrov a également attaqué les Nations-Unies elles-mêmes, accusant les pays occidentaux d’essayer d’utiliser l’organisme international pour servir leurs propres « fins égoïstes ». Il a critiqué ce qu’il a décrit comme une tendance croissante au sein du Secrétariat de l’ONU à s’aligner sur les récits occidentaux, sapant ainsi le principe d’égalité souveraine qui est au cœur de la Charte des Nations-Unies.

Il a appelé à des réformes du personnel du Secrétariat, soulignant que les représentants des pays occidentaux occupent de nombreux postes clés au sein de l'organisation. Les remarques de Lavrov reflétaient une frustration plus large en Russie, et même dans de nombreux pays du Sud, face à la domination perçue des puissances occidentales dans les institutions internationales.

Dans une réprimande acerbe, Lavrov a fait valoir que l’ONU doit rétablir la confiance en adhérant strictement au principe de la Charte de l’égalité souveraine entre les États. « Il n’est pas trop tard pour insuffler une nouvelle vie aux Nations-Unies », a affirmé Lavrov, suggérant que l’organisation doit se distancier de ce qu’il a décrit comme l’agenda occidental et plutôt promouvoir un dialogue véritable et inclusif.

Appel à un ordre mondial multipolaire
Au cœur du discours de Lavrov se trouvait l’argument selon lequel l’ordre mondial actuel, dominé par les États-Unis et leurs alliés, n’est plus tenable. Il a brossé le tableau d’un monde passant d’un système unipolaire à un système multipolaire plus équitable, dans lequel les puissances régionales et les alliances internationales joueront un rôle plus important dans la prise de décision.

«Les pays du Sud et de l'Est revendiquent de plus en plus haut et fort leurs droits à une participation à part entière aux processus de prise de décision sur tout le spectre de l'agenda international», a déclaré M. Lavrov. Il a cité l’influence croissante d’organismes régionaux tels que l’Union africaine, l’Organisation de coopération de Shanghai et la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), comme preuve de ce changement. Selon Lavrov, ces organisations jettent les bases d'un ordre mondial plus équilibré, dans lequel les intérêts de toutes les nations seraient respectés.

Il a également souligné l’influence croissante des BRICS, un groupement du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, comme exemple de contrepoids aux forums dominés par l’Occident tels que le G7. Lavrov a fait valoir que ces alliances régionales et internationales constituent un modèle de coopération plus inclusif et moins tributaire des intérêts d’une seule puissance hégémonique.

Un avertissement effrayant
Lavrov a conclu son discours par un avertissement effrayant : si l’Occident continue sur sa voie actuelle de confrontation et d’ambition hégémonique, il paiera un prix élevé. Il a réaffirmé que la Russie ne cherchait pas la confrontation, mais était prête à défendre ses intérêts, notamment en recourant aux armes nucléaires si nécessaire. «La sécurité peut soit être égale et indissociable pour tous, soit il n'y aura de sécurité pour personne», a déclaré M. Lavrov, son message étant sans équivoque.

Le discours de Lavrov à l’Assemblée générale des Nations-Unies était, à bien des égards, un microcosme des tensions géopolitiques plus larges qui ont saisi le monde depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cela reflète l’isolement croissant de Moscou par rapport à l’Occident et sa volonté de construire des alliances dans les pays du Sud, même si Moscou continue de s’opposer à ce qu’elle considère comme un empiétement occidental sur sa sphère d’influence.

Les implications du discours de Lavrov sont profondes. En abaissant le seuil d’utilisation des armes nucléaires, la Russie a ajouté une nouvelle dimension dangereuse au conflit en Ukraine, une dimension qui pourrait avoir des ramifications bien au-delà de l’Europe de l’Est. Alors que le monde regarde et attend, la question demeure : la diplomatie peut-elle prévaloir face à des divisions aussi profondes, ou le monde se précipite-t-il vers un résultat que personne ne souhaite vraiment ?

En fin de compte, le message de Lavrov était autant un plaidoyer qu’un avertissement. Il a appelé à un retour aux principes de la Charte des Nations-Unies, à un véritable dialogue entre les nations et à un monde dans lequel les intérêts de tous sont respectés. Il reste incertain si la communauté internationale entendra cet appel, mais une chose est claire : les enjeux ne pourraient pas être plus élevés.

Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy s'adresse à la 79ème session de l'Assemblée générale des Nations-Unies. Photo : stripes.com

Une Palestinienne se dispute avec un garde-frontière israélien en Cisjordanie. Photo : Mohamad Torokman/Reuters

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