«Sangaris» devait être rapide et discrète. L'armée avait choisi de lui donner le nom d'un papillon. Il eût mieux valu celui d'une bête plus dissuasive. Près d'un mois après son lancement, les soldats français sont présents partout dans Bangui, s'interposant entre les communautés ou entre les milices, pour apporter un rien de calme à la ville. Jeudi, au carrefour situé à l'entrée de Boeing, un quartier de la capitale, les blindés étaient déployés, surveillant les alentours, se jetant dans un énième affrontement. La veille, à la tombée du jour, une fusillade et une bagarre à coups de pierres et de machettes, partie comme souvent à Bangui on ne sait trop pourquoi, avaient fait un mort et une quinzaine de blessés. Le même matin, des coups de feu avaient, là encore, tué un homme et semé la panique dans le gigantesque camp de réfugiés de l'aéroport. L'arrivée des troupes françaises a mis un peu de sérénité, tout en suscitant la colère des riverains. «Désormais nous faisons toutes les missions: de l'interposition, du convoyage, de la sécurisation», résume un officier. Cet engagement à haut risque a été lancé le 26 décembre, après deux jours de violences qui avaient conduit la capitale au bord de l'anarchie. Après être entrées dans les Ve et VIe arrondissements de la ville, hauts lieux des affrontements ces derniers temps, les troupes françaises pénétraient vendredi dans le IIIe, étendant, non sans mal, leur emprise.
En visite à Bangui vendredi, Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, s'est longuement félicité de cette petite amélioration, sans nier les difficultés rencontrées. «Toutes les missions sont dures. Ici la France prendra toutes ses responsabilités.» Récusant un éventuel enlisement, le ministre s'est exclamé: «En février, des experts disaient: au Mali, la France commence son enlisement. Heureusement que nous n'avons pas écouté les experts. Je le dis pour le Mali, et je le dis aussi pour la Centrafrique.» «Sangaris» est en route et n'a pas changé d'objectifs Officiellement, «Sangaris» est en route et n'a pas changé d'objectifs. «Nous allons encaserner et désarmer les combattants de manière impartiale.» Dans les faits, l'opération de dissuasion a rendu caduc, pour l'instant, ce désarmement et ce casernement. Les Séléka, comme la rébellion des Anti-Balaka, circulent dans leurs zones entrelacées les unes dans les autres, faisant de la carte de Bangui une véritable peau de panthère. Autre conséquence, le déploiement dans le reste du pays est remis à plus tard. Reste que la tactique semble avoir quelques résultats. La ville revit un peu, même si elle demeure à la merci d'une explosion. «Pour l'instant “Sangaris” est plantée», résume un observateur. L'issue de ces difficultés passe sans doute par la politique. «Ce dossier est avant tout politique, et la France l'avait oublié», souligne un bon connaisseur du pays. Paris envisageait, au départ, de ramener en vitesse le calme avant de traiter les problèmes de gouvernance nés du coup d'État de mars dernier. Les priorités semblent s'inverser. Avant son passage express par Bangui, Jean Yves Le Drian a longuement parlé avec le président du Tchad, Idriss Déby, parrain de la Centrafrique, avant de se rendre à Brazzaville et à Libreville. Il devait ensuite faire de nouveau étape à N'Djamena. En coulisse, la France tente d'obtenir une position commune entre Denis Sassou Nguesso, le président congolais, et son homologue tchadien. Pour la France, la première urgence est d'obtenir des Africains qu'ils demandent à l'ONU la mise en place d'une mission de maintien de la paix. Une formule qui permettrait d'obtenir plus de troupes et surtout plus de moyens financiers. La seconde consiste à remonter un semblant de gouvernement. Dans le désordre de Bangui, plus aucun fonctionnaire ne va travailler. Les ministères sont déserts. La présidence, totalement désorganisée, ne gère que le plus pressé. «C'est le vide total», explique un diplomate africain. Un vide qui rend impossible la moindre négociation et laisse à «Sangaris» et aux soldats de la mission africaine (Misca) la responsabilité totale du pays. Le Figaro